François Mitterand et la Révolution française

jeudi 19 juin 2008.
 

Extraits du Discours du Jeu de Paume, Versailles, salle du jeu de paume, 20 juin 1989

[...] Assurément, avec la Révolution, bien des inégalités ne furent pas vaincues. L’abolition de l’esclavage ne fut acquise qu’un demi-siècle plus tard. La résistance armée à l’Europe coalisée prit après la victoire le visage de la conquête. La persécution religieuse ignora la liberté de conscience qui venait d’être proclamée. Rien ne vint corriger la discrimination dont les femmes étaient victimes. Et on vit par la suite à quel point la cruelle condition ouvrière de la révolution industrielle devait nier, ruiner en fait, la liberté et l’égalité érigées en principe par la révolution politique.

Mais la Révolution a fait la République. Celle-ci ne peut sans se renier oublier ce qu’elle est, d’où elle vient, la pensée dont elle procède, l’idéal qu’elle assume, le mouvement qu’elle incarne. Car la République n’est pas une forme vide, elle contient un ensemble d’institutions et de règles, de droits et de devoirs qu’on appelle la démocratie. [...]

Quelle leçon tirer, s’il en est une, de ce tourbillon d’événements, sinon que rien n’est achevé, que rien ne s’achève jamais. Que le combat change de forme mais pas de sens. Que de nouveaux orages surgissent du plus clair horizon, d’autres dominations se substituent à celles que l’on avait détruites, qu’apparaissent d’incessantes ruptures entre l’idéal et le réel.

Qu’on en débatte vivement, tant mieux ; c’est un signe de vitalité de notre démocratie. La preuve que la révolution n’est pas un objet inerte, que les questions posées n’ont rien perdu de leur modernité. Mais s’il y a débat, et il y a débat - et sur quel ton, comme si à distance les adversai-res de la Révolution avaient repris espoir, - occupons la place qui nous revient, celle d’héritiers fidèles et fiers, déployons le drapeau et donnons à la République l’élan auquel aspire notre peuple.


Portée univeselle de la Révolution

« Dès le début, la Révolution française ne fut pas l’affaire des seuls Français. »

François MITTERRAND

Extraits du Discours d’ouverture du Congrès mondial du Bicentenaire, Sorbonne, 6 juillet 1989

« Sur le moment, vous le savez, en Europe et en Amérique, on commenta avec passion ce renversement tumultueux d’un ordre séculaire. D’Angleterre, Burke prit sa plume hostile, Thomas Paine lui répondit et, outre Rhin, Fichte à son tour se mobilisa pour rectifier les jugements du public sur la Révolution française en affirmant le droit de l’humanité au changement.

Chacun connaît les réactions de Goethe au soir de Valmy et ces anecdotes qui sont peut-être légende mais disent le vrai sur un état d’esprit. Kant interrompant sa promenade quotidienne à Koenigsberg à l’annonce de la prise de la Bastille ; Hegel tout jeune homme, plantant un arbre de la liberté dans la cour du collège de Tübingen en compagnie, dit-on, de ses amis les poètes Hölderlin et Schelling.

Si ceux-là et bien d’autres encore réagirent si vivement à l’événement, c’est que la Révolution française était partie prenante d’une onde sensible dans l’Europe entière. En témoignèrent les révolutions genevoise, batave, brabançonne. La République de Mayence, le soulèvement irlandais. Et la Pologne. Bien des militants de ces tentatives défaites, trouvèrent asile en France. Ils y prirent à nos côtés part à la Révolution qui souvent les fit citoyens français.

D’autres, comme Miranda, y forgèrent des convictions qu’ils mirent ensuite au service de la libération de l’Amérique latine. Bref, dès le début, la Révolution française ne fut pas l’affaire des seuls Français. Je puis dire sans risque de me tromper que ce mouvement, avec le temps, ne fait que se confirmer et s’étendre.

Les acteurs du début de la Révolution, dès la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, avaient conscience de la portée universelle de leurs proclamations. Carnot, dans le langage de l’époque, y voyait l’honneur de la France, « ce grand magasin où les peuples qui veulent recouvrer leurs droits, viendront se pourvoir des moyens d’exterminer les tyrans ».

D’une certaine manière, ce pronostic s’est vérifié, y compris contre les prétentions dominatrices de l’Occident. Quel meilleur exemple en donner que ces déclarations de responsables du mouvement nationaliste algérien qui, à trois époques différentes, éprouvèrent le besoin pour conforter la légitimité de leur lutte d’évoquer les idéaux de 1789 ?

Je pourrais multiplier les citations. La Révolution française servit à beaucoup de référence dans la lutte contre certains comportements de la France elle-même et il ne faut pas voir dans cette contradiction une condamnation mais au contraire une justification. »


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