L’autorégulation du marché ne fonctionne pas, les Etats sont de retour ! (article du Monde)

mercredi 14 mai 2008.
 

... La crise des subprimes nous a fait passer de l’avers de la mondialisation à son revers, avec pour conséquence de ralentir l’économie mondiale "réelle" de deux bons points. L’hyper-finance a perdu le nord. Les marchés financiers, au lieu de se corriger et de descendre à un nouvel équilibre, conformément à la théorie libérale, roulent en toupie vers l’abîme.

L’incapacité de se reprendre a été illustrée en fin de semaine passée. Les ministres des finances du G7 ont formulé une demande de bon sens aux banques : qu’on en finisse ! Plutôt que d’annoncer de nouvelles pertes chaque semaine, aggravant le climat, pourquoi ne pas récurer une bonne fois pour toutes vos bilans. "Vous avez cent jours pour le faire", ont dit les Messieurs et la Dame du G7.

Impossible, ont répondu les banquiers, réunis au sein de l’IIF (Institute of International Finance) à Francfort. Pourquoi ? Parce que récurer impose de savoir ce que vaut chacun des crédits en magasin, et pour le savoir encore faut-il qu’il y ait un marché où se dit le prix. Or, nombre des "produits structurés", ces jolis instruments si savamment inventés par les banques pour les truffer de subprimes, ne trouvent plus preneur et n’ont donc plus de prix.

Pas grave, dit le G7, vous, les grandes banques, mettez-vous autour d’une table et entendez-vous pour fixer un prix, c’est vous qui "ferez le marché". Hélas, a répondu Josef Ackermann, président de l’IIF : les règles comptables nous obligent à apprécier les produits à valeur de marché et "nous interdisent d’anticiper les prix futurs dans nos évaluations". Or, c’est vous, les autorités politiques et monétaires du G7, qui avez fixé les normes comptables au sein du comité de Bâle...

En clair, c’est toute la construction qui dysfonctionne, et rien ne vient permettre de sortir du cercle vicieux implacable : la défiance entraîne une baisse des prix qui entraîne la défiance. La crise financière continue.

Le récurage complet imposera 1 000 milliards de dollars de pertes, calcule le FMI. C’est trop, ont estimé beaucoup d’autres experts qui avancent des chiffres autour de 420 milliards (OCDE) et 650 milliards (Crédit Suisse). A l’heure qu’il est, les banques ont comptabilisé 300 milliards de pertes. Le nettoyage est loin d’être achevé.

Pour sortir de la spirale, ni la baisse des taux (de 1,25 %) depuis août, ni le versement sans compter de liquidités aux banques, ni rien, n’y suffisait. Il fallait une force extérieure. C’est ce que les banques centrales ont compris. L’occasion fut donnée par le sauvetage de la banque d’investissement Bear Stearns, organisé il y a un mois par la Federal Reserve.

La FED imposa un rachat à faible coût, de façon à sanctionner les actionnaires qui sont coupables d’avoir laissé les dirigeants prendre trop de risques. Mais elle dut aussi accepter au passage de "prendre en pension" des produits structurés en échange de son bon et propre argent. La FED, puis la BCE, puis la Banque d’Angleterre, qui n’acceptaient que les excellents crédits comme les bons du Trésor, se résolvent à prendre en garantie ces produits suspects. Les banques centrales ne se contentent plus d’observer l’hyper-finance de loin, avec beaucoup de critiques comme la BCE, elles y sont entrées de force.

Quoi qu’on en pense, l’intervention des banques centrales a changé la donne. Comme, parallèlement, les autorités politiques alignent aussi les concessions (plan de relance Bush de 168 milliards de dollars et plan du Sénat américain de se porter garant des prêts hypothécaires), le sentiment majoritaire est que le gros de la tempête est passé.

L’heure est à la reconstruction. Le G7, le FMI, l’IIF, l’OCDE et nombre d’autres organismes publics ou privés demandent des corrections radicales. Il faut tout revoir, depuis les modalités de la revente des crédits découpés en tranches (titrisation) jusqu’aux règles comptables, en passant par l’imposition des mêmes ratios de capital à toutes les catégories de banques, la réorganisation des superviseurs et les rémunérations par bonus qui excitent la testostérone des traders (étude scientifique sérieuse citée par le Financial Times du 15 avril).

Le tournant est certain : l’autorégulation ne fonctionne pas, les Etats sont de retour. Mais le débat de fond reste le même : comment réguler plus étroitement sans (trop) freiner la compétition et l’innovation ? Et sans non plus se faire d’illusions. Même si des contrôles plus serrés parviennent à boucher le trou ouvert par les subprimes, le mauvais génie de la finance ressortira lors de la prochaine crise par une autre défaillance. »

Eric Le Boucher.

http://www.lemonde.fr


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