Capitalisme Une seule éthique : le profit (par Michel Husson)

mardi 13 mai 2008.
 

Sous les applaudissements, de Sarkozy à Rocard, voilà Laurence Parisot qui s’attaque courageusement aux patrons voyous. Et tout le monde, ou presque, d’applaudir la nouvelle chevalière blanche qui va nettoyer les écuries d’Augias et moraliser le capitalisme. C’est oublier l’hymne à la précarité dont notre héroïne faisait un principe essentiel, en amour et dans le travail. C’est surtout ne rien comprendre au capitalisme réellement existant.

Commençons par le petit bout de la lorgnette. Michel de Virville, l’homme qui a négocié le prix du silence de Gautier-Sauvagnac est aussi l’auteur, en 2004, d’un rapport Pour un Code du travail plus efficace, particulièrement réactionnaire. Mais, dans une autre vie, il avait été aussi le conseiller social du cardinal Lustiger.

Autre exemple personnalisé : Daniel Bouton, le PDG de Jérôme Kerviel, avait pondu en 2002 un rapport intitulé Pour un meilleur gouvernement des entreprises cotées, qui insistait particulièrement sur le risque que le hors-bilan devienne une « zone de non-droit soustraite aux règles d’évaluation et d’information ». Cette recommandation prend tout son sel aujourd’hui, car c’est exactement sur ce type de pratique que la Société générale, sous l’égide du même Bouton, avait construit sa réussite.

Tout cela pour dire que les mécanismes fondamentaux du système l’emportent toujours sur les grandes déclarations et les bonnes intentions dont l’enfer est pavé. Le capitalisme ne connaît qu’un seul critère de réussite : le profit maximal. C’est après tout ce qu’on apprend dans tous les manuels d’économie les plus orthodoxes, où l’on aura du mal à trouver la moindre pincée d’éthique. Et les deux grands ressorts de ce système sont l’exploitation et la concurrence.

Prenons par exemple un patron qui licencie, restructure ou délocalise. S’il est une bonne âme, cela le fait souffrir. Mais s’il ne se résigne pas à prendre ces pénibles décisions, la concurrence va le conduire à la faillite. Et c’est vrai, dans une large mesure. Le crime social qu’il commet en mettant des salariés à la porte est parfaitement légal et pourtant pas moins grave que tel abus de biens sociaux. Mais Sarkozy veille : le même qui dénonce un jour les patrons voyous s’empresse, le lendemain, de dépénaliser les délits patronaux encore soumis à la loi et reçoit l’assentiment de la patronne du Medef.

L’éthique du capitalisme lui vient toujours de l’extérieur. C’est seulement quand il est solidement encadré par une législation et une réglementation qu’il se plie à la morale. Or, le capitalisme s’est aujourd’hui largement libéré des pressions qui pourraient réfréner ses ardeurs. Que ce soit dans le domaine social ou spéculatif, on voit bien qu’il fait à peu près ce qu’il veut et se montre particulièrement innovant. Cet amoralisme débridé repose sur de solides bases matérielles : un rapport des forces sociales favorable, et la mondialisation qui lui permet de retirer ses billes à la moindre menace de « rigidité » excessive.

De l’intérieur du système, les observateurs les plus lucides peuvent bien souligner les risques d’une telle dérive. Mais il n’existe pas, à l’échelle mondiale, d’institution capable de modifier les règles du jeu de ce capitalisme mondialisé. La concurrence fait rage entre pays et entre capitaux, rendant impossible tout projet de régulation : partout le mauvais capitalisme chasse le bon.

De toute manière, les solutions avancées ne sont pas à la hauteur de l’enjeu. Ainsi, Patrick Artus peut bien écrire que « le capitalisme est en train de s’autodétruire » mais ses recettes sont d’une naïveté confondante. Il recommande par exemple d’« accepter un rendement plus faible des placements, une rentabilité plus faible du capital » (Flash Natixis n°42, 29 janvier 2008) ou encore que la finance renonce aux « actifs artificiels dont le sous-jacent n’aboutit pas au financement d’investissements utiles » (Flash Natixis n°87, 29 février 2008). Il se rend bien compte que cela « changerait évidemment le rôle de la finance ». Et, assurément, le capitalisme lui-même. Mais un capitalisme qui accepterait de lui-même « une rentabilité plus faible du capital », cela n’existe pas.

Il n’y a donc rien à attendre d’une auto-réforme, et tous les discours sur la responsabilité, la transparence, la gouvernance, ne sont que du marketing. La seule morale que le capitalisme ait jamais connue, c’est celle qui lui a été imposée : par les luttes sociales et par les craintes qu’elles ont pu éveiller chez lui.


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