Une (légère) faille dans l’idéologie capitaliste (par Michel Husson)

samedi 8 novembre 2008.
 

La débâcle idéologique provoquée par la crise est bien illustrée par les aveux d’Alan Greenspan, l’ancien président de la Réserve fédérale américaine (Fed). Lors de son audition devant une commission parlementaire, il a reconnu être « dans un état de choc et d’incrédulité » après avoir « trouvé une faille dans l’idéologie capitaliste ».

Ce sont en effet plusieurs théorèmes essentiels du discours néo-libéral qui viennent d’être pulvérisés. Le premier est que c’est une très bonne idée de lui laisser faire n’importe quoi (la déréglementer), parce qu’elle est capable de se fixer à elle-même des limites raisonnables (de s’auto-réguler). Or, ces limites ont été explosées grâce à des financiers d’une perverse complexité, les produits dérivés et la titrisation en étant les plus beaux fleurons. Il faut lire les explications assez pathétiques de Nicole El Karoui qui forme à Polytechnique les futurs traders - les « quants ». Elle maintient que la titrisation n’était « pas absurde » car elle « devait sécuriser les banques de détail en minimisant les risques qu’elles maîtrisaient mal » tout en concédant qu’« à trop grande échelle, on ne savait plus ce qu’on faisait ». La crise montre que la finance est une source de déséquilibres et de catastrophes, et qu’il faut donc la réduire au minimum : c’est une première conclusion.

Le second théorème était que la financiarisation, en permettant une « allocation optimale des ressources », conduisait à une croissance soutenue et donc à cette « mondialisation heureuse » dont parlait Alain Minc. Là encore, la crise sert de révélateur. Cela vaut d’abord pour les Etats- Unis, où on s’aperçoit que la croissance à crédit n’était qu’une illusion, puisqu’elle ne profitait qu’à une couche sociale extraordinairement étroite. Mais le constat va au-delà, et même l’OCDE a été obligée de le reconnaître dans son dernier rapport, Croissance et inégalités, où est établi un lien très net entre la pauvreté et une répartition des revenus de plus en plus défavorable aux salariés.

Cette analyse rejoint curieusement celle de Marriner Stoddard Eccles, qui présida la banque centrale américaine de 1934 à 1948. Il écrivait dans ses mémoires que « Si le revenu national avait été mieux réparti - en d’autres termes, si les entreprises avaient fait moins de profits, si les classes les plus aisées avaient eu moins de revenus, et si les ménages les plus modestes en avaient eu davantage - notre économie aurait été beaucoup plus stable ». C’est la deuxième conclusion à tirer de cette crise : elle est au fond un « produit dérivé » d’un partage des richesses défavorable à la satisfaction des besoins sociaux.

Il y en a, bien sûr, pour rejeter ces conclusions, comme l’économiste Charles Wyplosz qui déclare, dans Le Nouvel Observateur du 23 octobre, être « effaré par l’instrumentalisation idéologique de la crise ». Ce qui est effarant, c’est plutôt la capacité des avocats de la finance à retourner leur veste et c’est faire oeuvre de salubrité politique que de démasquer ces retournements, comme a commencé à le faire Frédéric Lordon [1]. Les robinets d’eau tiède déversés dans les médias quant à la nécessaire « régulation » de la finance ne servent qu’à éviter la question qui fâche : peut-on vraiment extirper la finance parasitaire et ainsi séparer le bon grain de l’ivraie ? Et surtout, peut-on le faire sans toucher à un capitalisme dont les profits sont gonflés par le recul des salaires et des budgets sociaux mais qui ne les investit pas pour autant, sous prétexte que les besoins prioritaires ne sont pas assez rentables.

HUSSON Michel

Notes

[1] Voir son article, « Les disqualifiés », dans Le Monde diplomatique de novembre.


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