Les libéraux n’aiment pas la liberté (par Denis Colin)

jeudi 3 juillet 2008.
 

Qu’est-ce qu’un libéral ? Il y a tant de réponses possibles à cette question que, lorsqu’un dirigeant du PS se proclame « libéral », on ne peut déterminer ce qu’il veut vraiment dire. Il y a sûrement quelques acceptions du terme « libéral » qu’on pourrait revendiquer sans rougir : être un partisan de la séparation des pouvoirs, des libertés individuelles, d’un enseignement libéral, non asservi aux besoins de la reproduction du capital, etc. Mais, au moins de ce côté-ci de l’Atlantique, un libéral est d’abord un partisan de l’économie de marché et un adversaire de l’intervention de l’État dans l’économie. En même temps, le renouveau du libéralisme s’est appuyé sur sa prétention à défendre la liberté et même à prendre en compte les aspirations « libertaires ». En défendant le « tout-marché », les libéraux ne seraient pas seulement des défenseurs de l’efficacité, et donc du bien-être, mais aussi des défenseurs de l’individu menacé par les étatistes.

Si on s’intéresse à ce libéralisme réellement existant, il faut en démonter le noyau dur : si on excepte la liberté des plus riches et des plus puissants, il est, en fait, un adversaire déclaré de la liberté dans toutes ses acceptions courantes.

Sur le plan institutionnel, les libéraux réels d’aujourd’hui ont oublié les leçons des ancêtres dont ils se réclament, en particulier pour la question décisive de la séparation des pouvoirs. La Constitution française la bafoue : le pouvoir législatif est soumis à l’exécutif - ne serait-ce que par le droit de dissolution, la maîtrise de l’ordre du jour ou la limitation du domaine de la loi. Le pouvoir judiciaire n’a qu’une indépendance formelle : les procureurs sont subordonnés au ministre de la Justice et la carrière des juges dépend du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) présidé ... par le chef de l’exécutif. Ce n’est pas une spécificité française : partout les exécutifs s’imposent face au législatif et les tendances bonapartistes sont aussi nettes aux USA qu’en Grande-Bretagne ou en Italie. La marche au « bipartisme » élimine de la représentation politique toute une partie du peuple et revient à un rétablissement sournois du suffrage censitaire.

Mais les libéraux réels ne sont pas non plus des défenseurs des libertés individuelles. Du Patriot Act à l’empilement des lois sécuritaires en France, les libertés individuelles élémentaires sont liquidées. L’instauration de camps de détention pour les immigrés en Europe constitue le couronnement (provisoire) du libéralisme réel.

Le libéralisme économique doit être caractérisé comme une imposture qui donne des justifications à la domination. Il n’est en effet une liberté que pour les possédants suffisamment puissants pour imposer leur loi et en tirer le meilleur parti. Il a pour contrepartie la soumission de la masse du peuple - salariés, mais aussi petits producteurs indépendants - à la tyrannie du capital financier.

Le libéralisme « sociétal » se comprend dans ce contexte. Les systèmes de justification de la domination fondés sur la religion semblent aujourd’hui des entraves à la marche en avant du capitalisme - par exemple dans les industries de la manipulation du vivant. Certaines fractions du capital préfèrent donc l’alliance de la finance et de la liberté des moeurs à la vieille morale qui sentait l’encens. Mais, de ce côté-là, on ne pourra pas non plus trouver l’émancipation des individus - seulement, comme le disait Marcuse, une « désublimation répressive ».

Au total, donc, si être socialiste ou communiste doit encore avoir un sens, il ne peut résider dans la confusion avec le libéralisme, mais seulement dans la défense de la liberté comme lutte contre la domination, une liberté qui s’oppose frontalement à la liberté de dominer et d’exploiter réclamée par les libéraux.

Cet article est paru dans le numéro du 30 juin du journal L’Humanité.


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