En Chine, on réinvente le droit du travail...

mercredi 16 avril 2008.
 

En vingt ans, la Chine est devenue le cœur de l’industrie mondiale. AU détriment la condition ouvrière ?

Cai Chongguo : Sous le régime communiste, l’économie planifiée englobait toute l’activité salariée : chacun avait la sécurité de l’emploi, la sécurité sociale pratiquement totale, l’école gratuite, etc. Le basculement vers l’économie de marché a été très brutal : entre 1993 et 1994, les licenciements ont été massifs et les entreprises d’Etat ont été démantelées tandis que les sociétés privées et étrangères se sont rapidement développées. Un code du travail existe sur le papier mais il n’est jamais appliqué : chaque gouvernement de province joue sur les salaires, distribue des terrains et des subventions pour attirer les entreprises.

Les fonctionnaires sont très corrompus et de leur bonne entente avec les patrons dépend leur ascension professionnelle, ils font donc tout pour entretenir la croissance explosive de la Chine. Les premières victimes en sont les paysans migrants qui en essayant de trouver du travail dans les zones urbaines se retrouvent tassés dans des dortoirs à faire des semaines de sept jours, 14 heures quotidiennes dans des mines ou sur des chantiers où les accidents de travail graves se multiplient.

Comment expliquez-vous que le gouvernement ait promulgué la nouvelle loi sur le contrat de travail qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2008 ?

Une véritable prise de conscience a eu lieu ces dernières années sur la question du travail : les mouvements sociaux se sont multipliés un peu partout dans le pays et la presse relaie de plus en plus ces conflits. La nouvelle loi sur le contrat de travail confirme l’idée que le gouvernement est de plus en plus préoccupé par le risque de trouble de l’ordre public. Depuis deux ans, les autorités communiquaient sur des slogans vantant « l’harmonie sociale ». Il faut dire que les conflits les plus durs se soldent souvent par l’usage de la force et que la répression fait souvent des victimes.

Cette nouvelle loi a un caractère réellement protecteur : elle impose un contrat de travail, favorise les CDI, limite la période de stage et ajoute des clauses de compensation en cas de licenciement. Elle offre même la possibilité de négociation collective, même si le droit de grève n’est pas instauré. Le problème c’est que sans représentants syndicaux élus par les salariés, aucune défense des droits ne peut être assurée. Un sondage a été réalisé auprès des travailleurs chinois : en cas de conflit salarial, ils se tournent volontiers vers les journalistes ou les associations, mais seulement 1% déclarent rapporter leurs difficultés au syndicat officiel (le seul autorisé).

Un sursaut est-il néanmoins possible, qui permettrait une application plus rigoureuse du droit du travail ?

La couverture des syndicats indépendants est encore ridicule dans le pays. Avec le China Labour Party, nous nous efforçons d’apporter de l’aide aux travailleurs en conflit. En 2007, un patron d’usine de chaussure dans le Guangdong a voulu abaisser les salaires sous les 60€ mensuels : une véritable émeute a éclaté à la suite de laquelle six employés ont été emprisonnés pour des peines de 3 à 5 ans. Nous avons apporté un soutien juridique et nous avons fait libérer ces personnes. Nous fournissons également une expertise juridique pour les mouvements sociaux spontanés afin qu’ils puissent formuler leurs revendications plus efficacement mais la majeure partie du temps, ces mouvements sont étouffés.

Les Chinois réalisent cependant peu à peu qu’ils peuvent exiger des droits, la presse aide d’ailleurs beaucoup à cette prise de conscience. En juin 2007, la ville de Xiaman a lancé un projet de construction d’usine chimique contre lequel des dizaines de milliers de personnes ont protesté, du fait des risques sanitaires et écologiques : l’ information a circulé sur Internet, les journaux l’ont relayée et la nouvelle s’est répandue dans tout le pays. Finalement, des concertations ont été ouvertes qui ont mené à l’annulation du chantier. La possibilité même d’une telle négociation est une vraie nouveauté en Chine : le gouvernement local a eu peur d’être sanctionné par la capitale pour le désordre causé par les manifestations, c’est pourquoi il a opté pour une option plus pacifique. Ce type de victoires populaires est un signe d’espoir pour toutes les revendications : sociales, sanitaires, écologiques, etc. Leur accumulation pourrait permettre d’affermir la prise de conscience que les Chinois peuvent faire plier le gouvernement et les entreprises.

Cai Chongguo est rédacteur en chef du China Labour Bulletin (en anglais) et tient un blog francophone : Le journal d’un Chinois.


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