Monsieur le président qui habitez à l’Élysée, avec votre si jolie épouse, voilà déjà un bon bout de semaines que je ne vous ai pas donné de nouvelles.
Il faut dire que par chez nous on a d’autres chats à fouetter ces temps-ci. Des usines qui dégraissent, des écoles qui rétrécissent, des petits qui partent faire des voyages en avion aller simple, des grands qui se foutent à l’eau, rien que de voir arriver vos archers ça leur fiche tellement le tracsir, ils préfèrent encore se balancer à la flotte, c’est un peu terrible, non ? Au milieu de tout ça, on a quand même parfois le loisir de jeter un œil sur la télé.
C’est chouette, on vous y voit beaucoup, et votre belle aussi. Il faut que je vous dise, je la trouve plutôt réussie votre chérie. Mince, juste ce qu’il faut, grande, un peu trop pour vous peut-être, ça lui donne ce petit air penché, tête sur le côté, rentrée dans les épaules, que toutes les femmes qui accompagnent un homme à peine de leur taille connaissent bien...
Oui, bien jolie. Et portant bien le costume, en plus. De bien belles robes, de bien seyants manteaux, ballerines plates et cheveux au vent, on vous le dit, une très regardable personne. Alors, pourquoi cette nouvelle lettre, direz-vous, puisqu’en général, depuis mai dernier, c’est toujours pour vous raconter ma colère que je prends la plume ?
À vous voir parader à Londres, l’autre jour, parader c’est le mot exact, étant donné les carrosses, les dorures, les chapeaux à plumes, à poil, les traînes de quinze mètres, et tout le tralala, à vous regarder comme ça, à un moment, j’ai eu honte. J’ai eu mal à mon âme de femme, de féministe. Très honte et très mal.
Vous exposez votre épouse comme vous le faites pour vos montres, vous la montrez, vous la mettez en vitrine, c’est devenu soudain indécent. On croyait vous entendre : « Z’avez vu ? C’est moi qui ai la plus belle ! Et bien habillée, vous avez vu ? Et attendez un peu, on vous a réservé une surprise, c’est maintenant que ça devient intéressant ! » Et joignant les mots à la pensée, qu’est-ce qui a bien pu vous prendre de jouer cette scène impudique : « Vous n’avez pas chaud ? » On s’est pincé pour y croire : au quart de tour, elle démarre et elle enlève son manteau... les gars présents, estomaqués, qui se disaient : « Elle va s’arrêter là, quand même... » Ou pas... Va savoir, avec vous, on s’attend à tout à présent !
Tant de vulgarité étalée devant le monde entier, c’était écœurant de trivialité. Et vous là, debout, sourire de maquignon, regard lourd de sens : « Et encore, vous n’avez pas tout vu... » Ben si, justement, avec le boulot qu’elle avait avant vous, on avait déjà tous vu ! C’est donc pour ça que vous l’avez choisie ? Parce qu’elle est bien roulée et qu’elle fait porte-manteau de luxe dans le civil ? Drôle de marché ! Que celui qui n’a pas pensé à un montreur de bestioles au cirque lève le doigt !
En tout cas, les femmes, toutes les femmes, celles qui ont lutté pour leur indépendance, celles qui se sont battues pour être autre chose qu’une poupée qu’on remonte et qui tourne, celles qui voudraient bien qu’on les reconnaisse pour leur tête et pas le reste, celles qui se lèvent tôt matin pour gagner leur croûte à l’usine, au bureau, au magasin, celles qui chantent bien dans leur cuisine, toutes les femmes se sont senties humiliées par ce déshabillage diplomatique. Voilà, monsieur le président, vous exhibez votre épouse, et elle n’y trouve rien à redire, et c’est obscène. Nous voici revenus au Second Empire, quand des messieurs bien trimballaient de petites danseuses, histoire de montrer au voisinage qu’ils pouvaient « se le permettre ».
Vous montrez Carla Bruni comme les gamins montrent leur survêt de marque, et certains types roulent en grosse bagnole, parce que ça pose son homme. Vous vous êtes offert un joujou de standing, et c’est insupportable de machisme. Ce qui gène le plus dans tout ça, c’est qu’on la croyait une femme libre, Carla Bruni. Libre dans son boulot, ses amours, ses prises de paroles, souvent justes. Libre ? Tu parles... Libre d’ôter son manteau mauve pour redorer l’image ternie de son mec, ternie par des mensonges et des injures. Cette injure-là, faite aux femmes, c’est sûrement la pire qui soit. On est loin du salon de l’Agriculture, n’est-ce pas ? Quoique...
brigitte blang prs 57
31 mars 2008 Nicolas Sarkozy à Londres : Leçon de savoir-vivre à l’usage du président français
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