Forum sociaux mondiaux : les lignes bougent enfin ! (par Bernard Cassen)

samedi 5 avril 2008.
 

Dans son récent message, Gus Massiah a identifié 12 questions stratégiques que le prochain Conseil international (CI) du FSM réuni à Abuja devrait examiner. Dans la mesure où certaines d’entre elles se décomposent en plusieurs sous-rubriques, nous sommes en face de plus d’une vingtaine de sujets ainsi susceptibles d’être débattus.

Dans leur grande majorité, ces questions sont posées et débattues depuis pratiquement le début des Forums, tant au niveau international et continental que national. Elles se situent dans la logique de leur développement, mais sans rien changer au cadre actuel. Même si elles sont de la plus haute importance, elles n’impliquent aucune révision stratégique.

En revanche, trois des questions posées par Gus sont partiellement ou totalement nouvelles, et il faut se féliciter qu’elles soient enfin mises sur la table. Ce qui témoigne d’une libération de la parole par rapport à une pensée orthodoxe très présente, voire encore dominante au sein du CI et dans un très grand nombre des composantes du mouvement altermondialiste, notamment en France.

Je prends ces questions dans l’ordre.

QUESTION 5 : « Comment les FSM permettent de peser sur l’environnement socio-politique ».

Parmi les hypothèses citées par Gus, figurent :

- « par les luttes », ce qui est une évidence ;

- « par l’énoncé d’alternatives ; des propositions opérationnelles ». Là aussi, en première lecture, c’est une évidence puisque chaque Forum produit des dizaines, voire des centaines de propositions alternatives, plus ou moins opérationnelles.

Ce qui serait nouveau, ce serait de regrouper et d’articuler, sur chaque grand thème (eau, dette, médias, libre-échange, etc.), les propositions faisant l’objet du maximum de consensus entre les organisations ou réseaux qui les portent. On aboutirait ainsi à une série de BLOCS cohérents de propositions, donc des blocs lisibles aussi bien pour les militants et les médias que par l’opinion publique. Ce qui n’est pas le cas actuellement.

L’étape suivante, encore plus mobilisatrice, serait d’articuler le maximum de blocs entre eux pour aboutir à un DOCUMENT FAISANT A LA FOIS SENS ET PROJET.

Chaque partie de ce document serait 100 % Forum, mais si l’on tient absolument à ce qu’il ne soit pas considéré comme un document DU Forum, et pour respecter la Charte à la lettre, il pourrait être adopté :

- soit par l’assemblée des mouvements sociaux, avec le risque que certaines organisations ayant formulé des propositions récusent cette instance, faute de garanties sur sa représentativité ;

- soit par une coordination des réseaux et organisations ayant formulé des propositions reprises dans le document. Cette coordination se ferait formellement à l’extérieur du cadre du Forum.

En l’absence d’un tel document, la fonction de proposition des Forums restera une coquille vide et un motif de frustration pour les militants. Ils savent parfaitement qu’une liste de 200 ou 300 propositions n’a aucun caractère opérationnel, à supposer même qu’elle soit lue.

C’est pour pallier cette carence criante que 19 militants altermondialistes (dont plusieurs membres du CI) présents au FSM de Porto Alegre de janvier 2005 avaient élaboré le Manifeste de Porto Alegre dont je vous joins à nouveau le texte en annexe. Ce texte, n’engageant que ses signataires, reprenait exclusivement des propositions issues du Forum, en tentant de les organiser de manière logique, et sans pour autant prétendre à l’exhaustivité. Ce Manifeste a fait l’objet de critiques virulentes (et sans aucun fondement) de la part de certains représentants de l’orthodoxie Forum.

Le moment serait peut-être venu de reprendre cette démarche en la faisant assumer non plus par des individus (ce qui était la seule solution possible lors du FSM de 2005), mais par des réseaux et des organisations. L’Appel de Bamako, rédigé à l’initiative du Forum mondial des alternatives à la veille du FSM « polycentrique » de Bamako en janvier 2006, s’était engagé dans cette voie, ce qui n’avait pas empêché les critiques des mêmes membres de l’orthodoxie Forum. Mais deux ans se sont écoulés...

QUESTION 8 « Quelles articulations entre les stratégies nationales et le processus altermondialiste ».

Les luttes sont d’abord nationales, dans des contextes variant considérablement d’un pays à l’autre. A partir de ces situations nationales, des coordinations continentales et internationales peuvent et doivent être bâties. C’est une illusion de croire que l’on peut faire l’inverse : définir une position « mondiale », dans l’euphorie d’un atelier ou d’un séminaire lors d’un Forum, voire d’un réseau, puis, de retour au pays, essayer de la mettre en oeuvre. On constate d’ailleurs que certaines organisations prennent des positions avancées dans des Forums se tenant à des milliers de kilomètres de chez elles et les oublient dans l’avion du retour...

Les réseaux sont des outils précieux, mais leur poids dépend de la représentativité de leurs composantes nationales. Si ces dernières ne sont pas suffisamment fortes, un appel du réseau en tant que tel pour une à une action dans un pays donné n’aura que peu d’impact.

Certains rétorqueront que c’est bien du haut vers le bas, que fonctionnent la mondialisation néolibérale et sa variante continentale qu’est la construction européenne. Le FMI, la Banque mondiale, l’OMC, l’OCDE, le Conseil européen élaborent effectivement des positions communes, et les gouvernements les mettent ensuite en œuvre. Mais ces gouvernements sont eux-mêmes membres de ces institutions et ils édictent des règles qu’ils voulaient de toute manière appliquer !

Cette procédure en apparence « top-down » ne peut fonctionner pour le mouvement altermondialiste qui doit marcher au « bottom-up ». Le « bottom » ce sont les périmètres nationaux et le « up » ce sont les coordinations inter-nationales.

Pour le commun des mortels, poser la question de l’articulation entre des stratégies nationales et tout processus supra-étatique, revient à enfoncer une porte ouverte, tant la chose tombe sous le sens. Pour certaines composantes du mouvement altermondialiste, c’est cependant une nouveauté. Il n’est jamais trop tard.

QUESTION 9 « Quelles alliances possibles avec certains gouvernements ? Quelle place pour les partis dans le processus altermondialiste ? »

Poser ces questions, ce qui ne préjuge pas les réponses - était jusqu’ici de l’ordre du tabou. Il faut se féliciter que le colloque international « Altermondialisme et post-altermondialisme » tenu à Paris en janvier dernier, avec la participation de plusieurs membres du CI, ait facilité ce déblocage. Pour les organisateurs de cette rencontre - l’association Mémoire des luttes et la revue Utopie critique - le post-altermondialisme tente précisément de répondre à ces deux questions. Il doit exister à côté de l’altermondialisme, mais il ne s’y substitue pas. L’Appel final de ce colloque est disponible sur le site « medelu.org ».

Postérieurement à ce colloque, le 20 février 2008, un document très important, « Perspectives et réflexions syndicales sur le FSM », a été publié par la nouvelle Confédération syndicale internationale (CSI). Il témoigne d’une considérable avancée de la réflexion du mouvement syndical international sur le processus des Forums, qui va bien au-delà de celle de nombre d’autres composantes du mouvement altermondialiste. Il mérite donc une lecture très attentive. En particulier cette affirmation : « Nous pensons que l’avenir du Forum dépend de sa capacité à progresser dans deux directions : d’une part maintenir l’espace ouvert, tel que conçu dans la Charte de principes et, d’autre part, oser le positionnement politique ».

Cette position de la CSI nous conforte dans l’idée que la démarche que nous appelons post-altermondialiste est compatible avec celle d’acteur majeurs du mouvement social mondial


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