UN AN APRES LE 29 MAI 2005 ATTAC : décodage d’une grave crise interne

lundi 12 juin 2006.
 

L’association ATTAC a joué un rôle très important dans la gauche altermondialiste française depuis 8 ans. Aujourd’hui, elle connaît une crise. L’article ci-dessous, écrit par Jérôme Manouchian et publié par Respublica, analyse les causes de celle-ci.

"Crise" d’ATTAC, "guerre civile interne" ? Qu’en est-il de l’espoir suscité par sa création et son développement, de sa déception pour beaucoup dans les épisodes récents ? Quel est son avenir ?

Le Monde Diplomatique crée ATTAC France

Le besoin d’un rassemblement nouveau était tellement grand qu’il a suffi d’un éditorial d’Ignacio Ramonet dans le Diplo pour susciter un engouement caractérisé par des milliers de lettres reçues en réponse à l’appel pour la création d’une association pour lutter pour une taxe Tobin afin de" désarmer les marchés".

Donc tout naturellement, l’association ATTAC est née sous l’aile protectrice du Diplo et le président fondateur fut Bernard Cassen, directeur général du Monde Diplomatique. Vu que l’enthousiasme était grand et par peur d’un noyautage d’une organisation sur l’association naissante, la structuration d’alors a été faite à l’aide d’une usine à gaz anti-démocratique donnant le pouvoir au CA à une majorité de 18 membres fondateurs (représentants des organisations du mouvement social) sur 30 membres du CA en tout. Les 12 autres étant élus par les adhérents d’ATTAC. L’avenir montrera que le noyautage s’est bien, en fait, effectué mais pas là ou on ne s’y attendait pas, c’est-à-dire à l’intérieur du collège des fondateurs jusqu’ à produire une majorité du collège des fondateurs non en phase avec l’enthousiasme majoritaire des adhérents.

Le développement fulgurant d’ATTAC France

Crée en 1998 dans le marasme politique et social d’une France qui commençait à désespérer de son gouvernement de gauche, la percée d’ATTAC France est fulgurante : en 5 ans l’association passe de 0 à près de 30000 adhérents en 2003. Elle apporte à l’ensemble du mouvement social et même au champ politique, toujours tourné uniquement vers l’hexagone, l’idée du lien entre la mondialisation néolibérale et la vie de tous les jours. Elle théorise, dans un travail d’éducation populaire tourné vers l’action, les raisons du détricotage de toutes les politiques qu’elles soient nationales, européennes ou internationales, par des instances supra-nationales. Un espoir naît. Les militants s’engouffrent dans cette espérance tellement les organisations traditionnelles sont prises à contre-pied par leur incompréhension de la réalité du monde.

La direction menée par Bernard Cassen, puis par Jacques Nikonoff (désigné pour lui succéder à la quasi-unanimité du collège des fondateurs d’alors), a réussi à guider ce bateau plein d’enthousiasme à la conquête du nouveau monde. L’intelligence politique de Christophe Aguiton (fondateur de SUD-PTT, proche des Indigènes communautaristes, membre de la LCR) promu secrétaire général aux débuts d’ATTAC, et dont la culture politique est différente de celle de Bernard Cassen et de Jacques Nikonoff, permit de faire d’ATTAC un "Babel culturel" de la culture altermondialiste dans un pays, la France, plutôt habitué à se déchirer entre proches et à se diviser organisationnellement. Christophe Aguiton est le seul de sa sensibilité à comprendre qu’on ne peut pas aller vers la transformation sociale sans au minimum un compromis avec "les laïques et les républicains de gauche". Rappelons que la France est championne du monde du nombre d’organisations politiques et syndicales. Donc la réussite d’ATTAC France fut de ce point de vue exemplaire et brillante. Par ailleurs, ATTAC favorise la création d’outils collectifs de lutte : le Forum des autorités locales (FAL), les Etats généraux de la santé et de l’assurance-maladie (EGSAM), la Convergence nationale des collectifs de défense et de promotion des services publics (ex-Guérêt), etc. ATTAC crée une nouvelle réflexion autour des médias notamment et n’a pas été pour rien dans le développement des forums sociaux.

Le 29 mai 2005 : ATTAC France fait la différence !

A coté et avec le Collectif du 29 mai organisant les meetings avec les leaders du non de gauche, le gigantesque travail d’éducation populaire d’ATTAC France : plusieurs centaines de réunions publiques, traité constitutionnel européen (TCE) en main, ont lieu. Alors que les meetings rassurent les militants et les sympathisants, le travail de décodage du TCE organisé par ATTAC France, article par article, fait son oeuvre. Les citoyens des couches populaires sont pour la première fois présents dans les réunions, et pour beaucoup d’entre eux, ressortent de ces réunions de "décryptage" du TCE, prêts, à leur tour, à faire le travail "d’éduc pop" auprès de leurs familles, amis et collègues de travail et de loisirs. On connait la suite. Cette réussite montre que le processus ATTAC a réussi à créer dans plus de 200 comités locaux des équipes soudées d’origines diverses doués d’une efficacité redoutable quand ils comprennent bien la situation.

Le 30 mai au matin : une nouvelle période s’ouvre prenant ATTAC France à contre-pied

Après cette victoire de classe (les seules couches majoritairement pour le oui furent les couches moyennes supérieures et les chefs d’entreprise) contre le néolibéralisme, beaucoup de militants d’ATTAC France crurent au père Noël à savoir que du fait qu’ATTAC France a contribué de façon décisive à la victoire du non au TCE, on devait avoir un afflux d’adhésions. Ils ont eu tort car les adhésions n’arrivent jamais en "récompense" par rapport au passé mais pour permettre de réaliser un espoir. La victoire du 29 mai a fait que nous avons changé de période. Dans toutes les têtes des "vrais gens" (un responsable d’ATTAC appelle ainsi les citoyens non intoxiqués par un militantisme dans le microcosme), a germé l’idée suivante : puisqu’il est possible d’avoir des victoires partielles contre le libéralisme (idée confortée par les poussées anti-libérales en Amérique du Sud et par la victoire l’année suivante contre le CPE), posons-nous le problème d’une politique alternative au néolibéralisme. Les "vrais gens "veulent passer d’un non au néolibéralisme à un oui à une alternative. Mais autant on peut taire des divergences quant on s’oppose au conformisme dominant, autant pour proposer un projet alternatif, il faut prendre les divergences à bras le corps pour pouvoir faire ensuite, ce qu’un responsable d’ATTAC appelle les compromis dynamiques nécessaires. L’incapacité d’ATTAC France de vivre cette nouvelle période provoque la "crise". Fin 2005, perte de près de 5000 adhérents pour arriver à 25000 adhérents.

La "crise" d’ATTAC

Alors que beaucoup de comités locaux souhaitaient que le "national" se rabiboche, le principe de réalité de la nouvelle période obligeait à la clarification, au débat puis au compromis dynamiques.

Les successeurs de Christophe Aguiton décident de passer à l’offensive contre la direction d’ATTAC France. Au lieu d’avoir le courage de porter le débat sur les divergences et de produire les "compromis nécessaires", ils décident de "bétonner" à partir de leur majorité au Collège des fondateurs ce qui leur permet d’empêcher les débats dans l’association, d’empêcher les fenêtres de discussion dans les débats d’orientation et de produire un texte d’orientation qui ne répond ni aux interrogations des adhérents ni à celles des citoyens, de refuser le débat et d’attaquer uniquement la direction sur "le style de direction" ce qui bien sûr n’a aucun sens dans la mesure ou la plupart des décisions sont prises au consensus après discussion.

La situation nécessitait de débattre sur :

- croissance-décroissance

- quelle politique énergétique dans une politique alternative ?

- laïcité-communautarisme

- quel modèle de développement ?

- rôle d’ATTAC par rapport aux autres organisations : ATTAC doit-il être un forum social permanent ? une organisation cartellisée ? diluée dans le mouvement social ou une organisation qui appartient uniquement à ses adhérents et qui, dans le cadre du mouvement social et de ses collectifs, à un rôle spécifique d’éducation populaire ?

- Quelles propositions pour l’emploi, contre la précarité, pour les services publics, pour la protection sociale, pour la laïcité ?

Puis de lancer des campagnes d’éducation populaire sur les compromis dynamiques trouvés.

Au lieu de cela, les successeurs de Christophe Aguiton employèrent la proposition du consensus a priori (on ne parle que de sujets qui font l’unanimité, donc exit par exemple la laïcité) contre le débat transparent contradictoire et fraternel et la recherche des compromis dynamiques tranché par le suffrage universel des seuls adhérents.

Par ailleurs, sachant que le changement de statuts donnant plus de poids aux adhérents au CA au détriment du collège des fondateurs demandait les caractéristiques suivantes :

- vote sur plusieurs propositions (instauration du suffrage universel total, diverses propositions sur l’augmentation du nombre d’élus en provenance des adhérents, vote sur une liste ouverte des fondateurs soumise aux votes des adhérents, etc.)

- nécessité d’un vote sur plusieurs mois permettant aux comités locaux de faire du porte-à-porte pour obtenir le quorum de 66% au premier tour et 50% au deuxième tour La décision prise par la majorité du collège des fondateurs (également majoritaire au CA) fut celle d’un vote de quelques semaines sur une seule proposition.

De ce fait, on peut craindre une faible mobilisation des adhérents et que les statuts ne seront pas changé. La majorité statutaire risque donc de rester dans les mains de la majorité du collège des fondateurs indépendamment des positions des adhérents quelque soient les arrangements hors statuts qui pourront être pris par ailleurs.

La "crise " éclate aux grands jours quand, le 7 juillet 2005, les 3 vice-présidents (Dufour, George et Massiah) focalisent leurs attaques sur le "style de direction" (tout en masquant les divergences de fond) vite appuyée par la majorité des organisations fondatrices. Susan George, toujours elle, a adressé aux adhérents la "bonne liste" qui doit être suivi par les adhérents pour être dans la ligne !

Aujourd’hui, ce sont les adhérents qui doivent voter par correspondance sur deux petites semaines sur deux votes :

oui ou non sur la liste "bloquée "des 18 postes du collège des fondateurs

sur 61 candidats des adhérents (dont Jacques Nikonoff) sur lesquels seuls 12 seront élus statutairement si les statuts ne sont pas changés contre 24 si les statuts sont changés.

Il est à noter que le collège des fondateurs s’est engagé à tenir compte des 24 adhérents actifs même si les statuts ne sont pas changés. Mais juridiquement, cette promesse paraît illusoire si quelqu’un demandait l’application des statuts.

Rendez-vous est pris pour l’AG nationale d’ATTAC les 17 et 18 juin à Rennes. Nous y verrons alors plus clair.

Jerôme Manouchian


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