Des taxes globales pour le vivant ( ATTAC)

vendredi 16 février 2007.
 

L’altermondialisme se trouve à un tournant : celui qui mène de la critique du capitalisme néolibéral à l’élaboration de propositions alternatives, à laquelle participent maintenant tous les continents, dont l’Afrique qui vient d’accueillir à Nairobi le 7e Forum social mondial.

Face à la marchandisation accélérée de la société, l’enjeu du XXIe siècle est d’assurer à tous les êtres humains l’accès aux biens publics mondiaux, appelés aussi biens communs de l’humanité, dont il faut affirmer le caractère inaliénable : notamment les connaissances, le climat, l’eau et toutes les ressources vitales. Mais, pour que ces biens soient produits ou protégés, des financements publics sont indispensables. C’est à cet impératif qu’entend répondre la proposition de « taxes globales pour le vivant ». Globales parce qu’elles ont vocation à s’appliquer dans le monde entier et à un grand nombre de sujets. Pour le vivant parce qu’elles portent sur les éléments essentiels à la perpétuation de la vie et à l’obtention d’une vie digne pour tous, en termes de droits fondamentaux à l’éducation, à la santé et au logement.

L’idée de ces taxes progresse. Leur principe a été reconnu dans le rapport remis par Jean-Pierre Landau au Président de la République française en 2004 et a reçu un modeste début d’application avec une taxe sur les billets d’avion, destinée à financer la « Facilité internationale d’achat de médicaments ». Lors de l’Assemblée Générale des Nations Unies de 2004, 111 chefs d’Etats ont adopté le Rapport dit « quadripartite » calqué sur le Rapport Landau. Plus généralement, le principe de taxes globales peut être étendu dans au moins quatre directions.

En premier lieu, une taxe sur l’ensemble des transactions financières. Sur les transactions de change d’abord : une taxe à taux faible (la célèbre taxe Tobin) en période calme et à taux très élevé pour décourager toute spéculation dès les premiers signes d’emballement de celle-ci (taxe dite Spahn, du nom de son inventeur). Et aussi sur les échanges de titres financiers (actions, obligations et produits dérivés) dont les cours grimpent d’autant plus que, dans le système productif, le travail est davantage pressuré. Ce type de taxe avait déjà été imaginé par Keynes sous le nom d’impôt de Bourse pour limiter la pression exercée par les rentiers de la finance, car le contrôle des mouvements de capitaux est une condition de la maîtrise des politiques monétaires.

En deuxième lieu, un impôt unique mondial sur les bénéfices consolidés des sociétés. Aujourd’hui, les firmes multinationales peuvent déclarer des bénéfices importants dans les pays où ils sont peu ou pas imposés et des pertes ou de faibles bénéfices là où ils sont davantage imposés. Un tel impôt ferait fondre les principaux avantages du dumping fiscal, lié à l’existence des paradis fiscaux et des zones off shore.

En troisième lieu, un impôt égal sur les revenus du travail et ceux du capital. Les inégalités, au Nord comme au Sud de la planète, sont devenues insupportables. Deux mesures pourraient les atténuer fortement : une limitation des écarts de revenus versés dans les entreprises dans une fourchette de 1 à 5, assortie d’une progressivité de l’impôt sur le revenu avec une tranche supérieure au taux de 100% ; et l’instauration d’un salaire minimum dans tous les pays, progressant au rythme de la productivité.

En quatrième lieu, une taxe sur le carbone. Les conséquences du réchauffement climatique ne pourront être circonscrites avec le marché des permis d’émission de gaz à effet de serre qui est incapable d’atteindre les objectifs même limités du Protocole de Kyoto. Il faut donc rendre les normes plus sévères et imposer le carbone émis. On mettrait ainsi les pays riches en face de leurs responsabilités, de telle sorte qu’une certaine équité soit rétablie vis-à-vis des pays en développement qui seraient appelés dans l’avenir à s’intégrer dans la régulation climatique internationale. Enfin, dans l’attente d’une reconversion de la politique énergétique, une taxe sur les déchets nucléaires est nécessaire.

Quelle est la cohérence de ces taxes globales pour le vivant ? Elles unifient les propositions d’alternatives au capitalisme néolibéral en portant le fer en son cœur même : le droit pour le capital de circuler partout et ainsi de s’approprier, en les marchandisant de plus en plus, le travail et l’ensemble du vivant, sources de la richesse. De la naissance du mouvement ouvrier au XIXe siècle à l’altermondialisme luttant contre le capitalisme total au XXIe, l’intuition est la même : l’émancipation humaine est possible. Mais, depuis Marx, premier analyste de la mondialisation, la lutte pour l’émancipation s’est élargie car on a pris conscience que les dominations sont multiples (du capital sur le travail, du Nord sur le Sud, des hommes sur les femmes) et elle a changé de dimension car la crise écologique menace la survie de notre espèce.

Comment s’y prendre pour refonder, dans toutes les sphères de la société, la démocratie, seule capable de conduire une véritable transformation sociale ? Le Manifeste altermondialiste que publie ATTAC (Editons Mille et une nuits, 2007) avance une centaine de propositions concrètes pour « scier les piliers du néolibéralisme » et « construire un monde solidaire, écologique et démocratique » en France, en Europe et dans le monde. Les taxes globales pour le vivant en sont une partie essentielle pour changer le cours des choses et en réunir les moyens. La marchandisation du monde n’est pas une fatalité.

Aurélie Trouvé et Jean-Marie Harribey

Co-présidents d’ATTAC


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