Premières réflexions après la réunion du Front de Gauche : il va falloir vider l’abcès

samedi 27 septembre 2014.
 

« Rien n’est plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue ! » Victor Hugo.

Article original : http://robert-duguet.fr/

Cette réunion a rassemblé entre 200 et 250 militants et cadres politiques. Les différentes interventions qui ont été faites permettent un tracé de l’état d’esprit général : malgré les difficultés de la période, les militants pensent qu’il faut continuer l’expérience du Front de Gauche. La divergence exprimée au moment des municipales entre les deux plus importantes composantes du Front, le PCF et le PG, sur la question de l’autonomie vis-à-vis du social-libéralisme, a été traitée par les militants qui se sont exprimés dans une volonté de dépassement. Beaucoup de responsables locaux ou thématiques ont dit leur volonté d’aller vers un Front de Gauche rassemblant directement les citoyens, sans pour autant naturellement rejeter l’apport spécifique et important des organisations politiques. Depuis la fin de la campagne présidentielle, la représentation nationale n’a pas su traiter cette revendication, pourtant émanant de ceux qui s’étaient investi pleinement dans la campagne et dans la construction du Front de Gauche. Aujourd’hui on ne sent pas une volonté de répondre sur cette question.

Un exemple tout à fait intéressant : le délégué de Morlaix a fait l’état dans sa ville de la construction de l’unité locale. Les militants ont traduit dans les faits cette aspiration qui était exprimée après le beau score de Jean Luc Mélenchon à la présidentielle, associer ceux et celles qui avaient soutenu la candidature. A Morlaix on peut adhérer au FdG directement. Résultats : la tenue d’assises locales a permis l’adhésion de 65 personnes, la capacité de réunions locales s’élève à 120, 60% des adhérents ne sont pas encartés. La campagne des municipales a permis de réaliser un score tout à fait honorable de 15,5%.

Toutefois malgré cette volonté militante de défendre l’acquis du Front de Gauche, les contradictions ne sont pas estompées : elles continuent à s’exprimer. Pierre Laurent, au nom du PCF, a dit en substance que réduire la crise du FdG à la question de l’autonomie vis-à-vis du PS était réducteur ; remarquons que le porte-parole du PCF se garde bien de parler d’un parti échu aujourd’hui sur des positions social-libérales. C’est dédouaner la stratégie de la direction national du PCF qui a négocié des postes d’élus avec le PS aux municipales, rendant la position du Front de Gauche complètement illisible : toutefois l’orientation en demi-teintes de Pierre Laurent s’appuie sur un PCF complètement éclaté. Il n’y a plus un PCF centralisé, mais plusieurs PCF : par exemple à Yerres, le PC local a présenté une liste autonome par rapport au PS. On relèvera que la position de Christian Picquet est venue plus ouvertement en renfort de celle de Pierre Laurent, en disant que les positions actuelles du Front de Gauche, et particulièrement celles de Jean Luc Mélenchon, nous éloignaient du projet originel : une orientation plus évidente qui nous ramène à une ligne classique d’union de la gauche, ou alliance rouge-rose-vert, nous plaçant à nouveau à la remorque du social-libéralisme. Cette contradiction demeure et elle se reposera immanquablement pour 2017, si Hollande va jusque-là. Il faudra bien que les militants vident l’abcès… Nous sommes aujourd’hui au bout de l’accord avec le PCF, continuer en demi-teintes en voyant que de manière tout à fait évidente, il y a deux orientations stratégiques dans le FdG, c’est se condamner à l’immobilisme. Si Pierre Laurent ménage sa propre organisation, en raison du fait que beaucoup de communistes se sont engagés dans la ligne de l’autonomie vis-à-vis du PS, Christian Picquet a joué plus ouvertement le rôle d’estafette de la ligne Laurent.

Je pense qu’il faut entamer une réflexion sur la ligne politique à mettre en œuvre d’une part, et les moyens de l’appliquer d’autre part. Pour que les unités locales du Front de Gauche se construisent, ce qui inclut la question de l’adhésion directe, il faut un point d’appui, une ligne politique. Celle-ci est à l’état d’ébauche aujourd’hui. Pour 2017, nous sommes enfermés dans la nasse de la logique césariste de la Vème république : le ralliement du PS et de l’exécutif au néo-libéralisme nous placerait dans une position de suicide politique si nous nous rallions à une ligne classique d’union de la gauche en désespoir de cause. La question politique posée, à la fois par le discours de Jean Luc Mélenchon à Grenoble à l’issue du remue-méninge du PG, de même ébauchée dans le dernier texte d’Ensemble, est celle de la Constituante. Il faut discuter en détail de cette affaire. Il ne s’agit pas d’entrer dans un débat de spécialistes constitutionnels et de détailler quelles seront dans la VIème république à venir les pouvoirs respectifs du parlement et du président de la république. La république à venir sera sociale ou ne sera pas. Il faut donc que le peuple s’en mêle. Le mouvement social a été provisoirement défait par la politique des gouvernements Hollande. Des conflits sociaux à venir, il y en aura : le problème est de proposer une sortie politique par le haut. La question de la recomposition du corpus politique de la république se trouve aujourd’hui posée : est-ce qu’une campagne présidentielle opposant Juppé ou Sarkozy à Marine le Pen exprime aujourd’hui les rapports de forces sociaux réels dans le pays ? Bien évidemment, non !

La position défendue par Jean Luc Mélenchon à Grenoble lors du remue-méninge du PG, et l’intervention qu’il a faite dans la réunion de ce samedi 6 septembre, ébauche en termes nouveaux la question de la république sociale, il faut que les militants s’en saisissent. J’ai été particulièrement interpellé par l’intervention du philosophe et militant du FdG Henry Pena Ruys sur la question de l’Etat. Après l’expérience de la Commune de Paris et suite à la publication du Manifeste Communiste, Marx produit un rectificatif où il explique que la machine de l’Etat ne peut être saisie pour réaliser l’émancipation du travail salarié, elle doit être brisée. Marx disait de la Commune qu’elle était l’ébauche de « la forme enfin découverte de l’émancipation du travail social », en brisant la machine de l’Etat elle posait les bases de la production du travail sur une autre orientation économique. La dégénérescence césariste de la République, issue du coup d’Etat à froid de 1958, est aujourd’hui l’obstacle à tout mouvement d’émancipation sociale.

De Gaulle a mis en œuvre les principes de Charles Maurras et du nationalisme intégral : pour Maurras il y a le pays légal et le pays réel. Par-delà le pays légal, héritage républicain de la révolution française, il y a le pays réel. Le monarque ou le bonaparte s’adresse au peuple, au pays réel, d’où la dégénérescence de la vie démocratique dans la Vème république et la centralisation absolue issue de l’élection du Bonaparte au suffrage universel. Le Bonaparte donne l’illusion qu’il arbitre les conflits entre les groupes sociaux ou classes. En fait il est soumis aux intérêts de la classe dominante qui lui a donné ce pouvoir : le PS a accompagné ce processus jusqu’à son terme. Jean Luc Mélenchon a raison de dire que « le PS ne dérive pas, il est rendu au port ». La politique actuelle est totalement soumise au MEDEF et à l’Union européenne. La difficulté à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui, c’est que pour donner une réponse par le haut, nous avons besoin d’une montée en puissance du mouvement social, lequel mouvement social a été provisoirement chloroformé par la politique de Hollande. C’est le peuple qui est l’acteur souverain de la constituante. Sans son intervention directe il n’y aura ni Constituante et ni 6ème république. En contrepartie sans le travail théorique et politique de formulation des tâches transitoires vers le socialisme, le mouvement social, même s’élevant à la puissance d’une insurrection, s’essoufflera et laissera place à la réaction. Dans le compte rendu journalistique fait par Médiapart, la question de la constituante est posée comme une proposition de Mélenchon qui, si elle ne suscite pas de réaction négative, n’entraîne pas une adhésion des militants. C’est une vue photographique des débats, sans doute elle n’est pas reprise mais on ne peut l’appréhender si on reste figés sur le jeu des appareils politiques, c’est le pouls de la société qu’il faut prendre, pas celui de Pierre Laurent et de Christian Picquet !

L’attitude à avoir vis-à-vis des frondeurs et de la gauche du PS découle en quelque sorte de cette analyse. Il n’y a plus de place pour une aile gauche dans le PS. Les députés qui ont mené la fronde sur la question de l’austérité n’ont pas été jusqu’à sanctionner le gouvernement par leur vote. Que feront-ils demain ? Entre résistance ou collaboration, un moment donné il faut choisir : ou le mandat du peuple, ou les tractations de carrière pour sauver leur poste d’élus. Ils ne veulent pas rompre ; pourtant, en raison de la liquidation des traditions du parti d’Epinay sous la houlette blairiste de Manuel Valls, ils seront vraisemblablement placés devant le fait accompli. Je pense que la politique de destruction du mouvement socialiste ira jusqu’à son terme et que la scission leur sera imposée.

Un dernier point que m’inspire cette réunion nationale, c’est la faiblesse des interventions sur les questions internationales : nous sommes beaucoup trop enfermés dans les réalités hexagonales, il faut renouer avec notre histoire et notre tradition internationaliste : ce qui se passe dans les pays du sud de l’Europe, plus lourdement touchés par la crise du néo-libéralisme, en particulier la Grèce et l’Espagne, doit nous mordre la nuque : le développement de nouvelles formations politiques, Syriza en Grèce et Podemos en Espagne ne se sont pas faites à partir de l’aile gauche des partis traditionnels du mouvement ouvrier contrairement aux Linke allemands ou au Front de Gauche en France. C’est une réalité qu’il faut méditer pour agir demain. Ces organisations expriment la montée de couches sociales plus jeunes dans le champ politique et elles se définissent dans l’affrontement avec le système politique en place, tout en participant par ailleurs aux consultations électorales. L’article de Marianne ci-joint pose une question importante : pourquoi Podemos progresse alors que le FdG recule ?

Christian Picquet disait, polémiquant à mots couverts en fait contre Jean Luc Mélenchon, qu’on s’éloigne du projet originel du Front de Gauche. C’est vrai ! Le Front de Gauche dans sa forme historique n’est plus adapté au combat qu’il faut mener. On peut difficilement avancer, quand votre principal allié, vous plante un poignard dans le dos. Il faut avoir le courage de dire que maintenant il va falloir vider l’abcès à partir de notre compréhension actuelle de la situation et de ce qu’il convient d’y faire.


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