En 1971, mon beau-père malade me demanda de prendre en charge ses oiseaux (une cage de tarins, une cage de chardonnerets). Pour un militant politique très actif, il s’agissait d’une lourde tâche ; aussi, je me fixai l’objectif de les rendre heureux mais aussi les plus autonomes possible. Ce fut plus facile que je ne l’avais pensé.
J’installai deux branches de conifères (régulièrement changées) dans la salle à manger avec du papier journal dessous, les deux cages ouvertes à côté. Une tarine sortit immédiatement, fit un petit tour comme si elle avait toujours volé en liberté, revint dans sa cage, sortit à nouveau pour rendre visite aux chardonnerets qui la suivirent lorsqu’elle reprit son envol, bientôt imités par le vieux tarin.
Je craignais surtout de ne pouvoir gérer la propreté de l’appartement. En fait, la "tarine maline" comprit vite et transmit probablement le message puisque dès le lendemain, je ne vis plus une seule crotte hors du journal posé sous les branches dans lesquelles ils dormaient chaque nuit. Par contre, ils revinrent manger les graines et se baigner dans les cages ( sans respecter la séparation entre espèces).
Que dire sur la vie dans un appartement du centre ville toulousain (Rue des Blanchers) avec des oiseaux en liberté ?
Gais et joueurs, ils aimaient par exemple se positionner, l’un derrière la cruche, l’autre derrière une bouteille ou une casserole... et tenter d’attraper l’ongle de mon index selon qu’il jaillissait à leur droite, à leur gauche ou par dessus. Il suffisait de peu pour les rendre joyeux : porter un chardon chargé de pucerons, porter une branche d’aulne ou de bouleau avec leurs fruits, changer quotidiennement l’eau de leur baignoire...
Quelques temps après l’ouverture des cages, le couple propriétaire de l’appartement (entrepreneurs en tissus à Mazamet) frappa à notre porte pour une raison indépendante de nous. Ils furent tous les deux estomaqués par ces oiseaux faisant leur vie dans toutes les pièces, en particulier dans la salle à manger qui était cirée. Anne Marie les invita à boire un café et leur fit aimablement constater qu’ils ne faisaient jamais leurs besoins ailleurs que sur le papier. Le mari s’amusa rapidement du petit manège. Sa femme resta nerveuse plus longtemps ; le samedi suivant, elle revint nous présenter ses excuses en nous portant un magnifique tissu rouge à la fois léger et chaud pour confectionner un manteau d’hiver pour femme.
Durant plusieurs mois, j’ai assuré la distribution des journaux Rouge pour chaque cellule dans cet appartement. Plusieurs camarades furent intéressés par l’expérience. C’était le cas par exemple d’un élève en médecine qui exerce actuellement à Toulouse : Francis March.
Les tarins ont très bon caractère, les chardonnerets aussi, dans l’ensemble. Je ne les ai jamais vus se disputer même pour la nourriture. Ils étaient capables d’une forte solidarité, y compris entre espèces différentes. Ainsi, je vis un chardonneret aider à nourrir le vieux tarin malade (avec des graines prédigérées comme ils font avec leurs petits ou par affection dans un couple).
La tarine maline jouait un rôle d’animatrice incontestée du groupe. Le jeune premier chardonneret l’aimait à la folie, passant son temps à se montrer sous son plus bel aspect (dans la nature, il est facile d’observer le même manège amoureux des mâles chardonnerets élégants).
J’ai essayé par deux fois d’ajouter des femelles canari pour équilibrer le nombre de mâles et de femelles mais je ne suis arrivé à rien (ni propres, ni gymnastes, ni attirantes pour les autres espèces, ni...) les tarins les ignorant et les chardonnerets marquant sans cesse leur mépris.
Je garde un souvenir très ému de ces oiseaux de mon beau-père, pour leur intelligence, leur beauté, leur chant ( chardonnerets), leur vitalité, leur agilité (les tarins passaient beaucoup de temps à faire de la gymnastique sur les bouts de branche ou sur le grand trapèze que j’avais confectionné). Quarante cinq ans plus tard, lorsque je vois un chardonneret ou un tarin, que de souvenirs me reviennent en mémoire.
Je ne peux terminer sans signaler que l’étape suivante s’est mal terminée. Laisser les fenêtres ouvertes pour qu’ils puissent aller et venir n’a pas paru poser de problème au départ même s’ils ne partaient pas loin. Mise à part la tarine maline que nous n’avons pas vu revenir un jour sans en connaître la raison, les autres sont morts dans l’année après avoir ouvert les fenêtres ou placé les cages ouvertes à l’extérieur de celles-ci. Je crois qu’ils ont été tués par les pigeons pour un mobile que j’ignore.
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