Sarkozy-Kadhafi : quelques leçons du procès avant les réquisitions du parquet et les plaidoiries

dimanche 30 mars 2025.
 

Alors que le procès des financements libyens entre, lundi 24 mars, dans sa dernière phase, Mediapart fait le point sur les enseignements de deux mois et demi de débats intenses, qui ont révélé de nombreuses failles dans la défense de Nicolas Sarkozy et de ses coprévenus.

https://www.mediapart.fr/journal/fr...[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20250323-174503&M_BT=1489664863989

Deux mois et demi après son ouverture devant le tribunal de Paris, le procès des financements libyens s’apprête à entrer, lundi 24 mars, dans sa toute dernière ligne droite.

L’examen des faits étant terminé, place désormais au droit avec les plaidoiries des parties civiles (24 mars), suivies des réquisitions du Parquet national financier (PNF), qui représente l’accusation (25, 26 et 27 mars), et enfin aux plaidoiries de la défense des prévenus (du 31 mars au 10 avril au plus tard). Le tribunal mettra ensuite son jugement en délibéré. Cela signifie qu’il ne devrait pas être connu avant plusieurs mois.

En attendant, et sans préjuger de la décision finale, quelques enseignements factuels et analyses peuvent d’ores et déjà être tirés des vingt-neuf journées d’audiences de ce procès pour corruption unique en son genre, le plus dense, le plus grave que l’histoire politique et pénale française ait connu ; on peut l’affirmer sans risque de se tromper avec un ancien chef de l’État et trois anciens ministres sur le banc des prévenus.

Sur le fond, le procès a permis de faire émerger des éléments nouveaux et de donner un relief inédit à d’autres déjà connus.

Sur la forme, qui n’est jamais, dit-on, que du fond qui remonte à la surface, la stratégie de défense du principal mis en cause, Nicolas Sarkozy, a montré au fil des audiences des failles et des fragilités que tout le talent oratoire de l’ancien président n’aura pas suffi à masquer.

Car c’est aussi cela le procès des financements libyens : un grand procès des faits contre les mots.

Des arguments qui s’annulent

Tout a commencé à la barre du tribunal par une démonstration de force de Nicolas Sarkozy. Mi-lion, mi-tribun, l’ancien président a impressionné dans les premiers jours de janvier. C’est tout son corps qui semblait parler pour dire la folie de l’accusation qui le vise. Durant les débats, l’ex-président, endossant le costume du prévenu-avocat, n’a pas répondu aux questions du tribunal, il a plaidé sans relâche. Avec « [s]es tripes », et souvent sur le ton de l’évidence : « Mais ça n’a aucun sens ! », s’est-il indigné un nombre incalculable de fois.

Nicolas Sarkozy est poursuivi pour corruption, association de malfaiteurs, recel de détournements de fonds publics et financement illicite de campagne électorale. Il a martelé ses deux principaux axes de défense :

cette affaire n’est qu’un « complot » ourdi par le régime Kadhafi en 2011 à la veille des premiers bombardements de la coalition militaire dirigée par la France ; le dossier est vide, sans la moindre « preuve » après dix années d’instruction judiciaire. Mais un mois plus tard, lors de l’audience du 10 février, le même Sarkozy est pourtant bien obligé d’admettre qu’il existe des « indices graves », mais qu’« ils ne sont pas concordants », a-t-il ajouté, précautionneux.

Confronté aux éléments objectifs du dossier – des rendez-vous secrets à Tripoli, la fréquentation d’intermédiaires sulfureux, des virements bancaires dans les paradis fiscaux, des retraits en cash, des espèces dans la campagne présidentielle, les exfiltrations suspectes d’un dignitaire libyen, des contreparties en faveur du régime Kadhafi, etc. –, il a ensuite été interrogé sur la thèse audacieuse défendue par ses deux plus proches collaborateurs et coprévenus, les ex-ministres de l’intérieur Claude Guéant et Brice Hortefeux.

Pour faire coïncider leur défense avec celle de Sarkozy, les autres prévenus sont obligés de livrer au tribunal des explications au-delà de toute rationalité.

Selon eux, oui, le clan Kadhafi a versé de l’argent en 2006 en pensant financer la campagne présidentielle de 2007, mais tous les fonds occultes ont été conservés par l’agent de corruption présumé Ziad Takieddine, qui aurait manœuvré l’équipe Sarkozy en amont pour escroquer le régime Kadhafi en aval. Nicolas Sarkozy, qui avait déjà avancé cette hypothèse durant l’instruction, approuve : ce « goret » de Takieddine est un « manipulateur » et un « escroc » qui a « abusé » de la « naïveté » de Claude Guéant et de Brice Hortefeux pour arnaquer la dictature Kadhafi.

Non seulement cette hypothèse est contredite par les pièces du dossier – Takieddine n’a pas gardé tout l’argent libyen pour lui, c’est un fait –, mais la supposer invalide en soi les deux axes de défense de… Nicolas Sarkozy :

le régime Kadhafi était donc de bonne foi et légitime à formuler ses accusations en 2011 s’il a bien versé de l’argent en pensant financer sa campagne quatre ans plus tôt ; le dossier est tout sauf vide.

Condamnés à l’invraisemblance

Nicolas Sarkozy a passé beaucoup de son temps à la barre à lâcher les siens, parfois sans pitié, pour essayer de s’extraire à titre personnel de l’incendie judiciaire, ainsi qu’il l’avait fait durant l’enquête. À bien l’écouter, il aura été, en somme, le ministre de l’intérieur le moins bien informé de France et le président le plus mal entouré de la République, et il n’est jamais concerné en rien par les agissements de ses plus proches subordonnés.

La stratégie est hautement risquée. D’une part, Sarkozy a pu donner l’impression en se défendant de la sorte d’être plus que jamais le chef de l’association dont il dément l’existence, tous les faits reprochés à ses principaux complices présumés ayant été réalisés sous son autorité et pour son compte, d’après l’enquête.

D’autre part – les audiences l’ont montré de manière éclatante –, cette posture a laissé un espace minuscule à ses coprévenus. Pour pouvoir faire coïncider leur défense avec celle de Sarkozy, ceux-ci ont été obligés de donner au tribunal des explications au-delà de toute rationalité afin d’expliquer les nombreuses anormalités relevées à leur égard.

Un ancien président ivre de son verbe qui paraît avoir confondu le prétoire avec une estrade de meeting ou le « 20 heures » d’une grande chaîne de télévision.

Ce fut le cas de Claude Guéant et de Brice Hortefeux avec leurs rencontres secrètes à Tripoli et leur fréquentation habituelle de l’intermédiaire Ziad Takieddine hors de tout cadre réglementaire, de Claude Guéant encore avec sa chambre forte ouverte le temps de la campagne de 2007, d’Éric Woerth avec les espèces de cette même campagne ou de Thierry Gaubert avec ses 440 000 euros d’argent libyen perçus aux Bahamas.

Mais que s’est-il passé pour que Nicolas Sarkozy se retrouve dans une telle posture après deux mois et demi d’audience ? Il s’est passé un procès dans ce qu’il peut produire de mieux dans un dossier d’une telle sensibilité : la rencontre d’une enquête titanesque et de l’oralité des débats, dirigés avec tact par la présidente du tribunal, Nathalie Gavarino, et ses deux assesseurs.

D’un côté, il y a eu un ancien président ivre de son verbe qui paraît avoir confondu le prétoire avec une estrade de meeting ou le « 20 heures » d’une grande chaîne de télévision, allant jusqu’à chercher parfois la confrontation frontalement : « Je ne suis pas en sucre, allez-y ! », avait-il lancé une fois à un procureur dont il trouvait la question trop hésitante, comme un boxeur qui demanderait à son adversaire de taper plus fort.

De l’autre, au contraire, des magistrats qui ont pris soin de ne pas alimenter ce spectacle mais de poser patiemment, méthodiquement, sans rechercher l’éclat de l’effet d’audience, des briques factuelles les unes sur les autres.

Le « piège » qui n’en était pas un

L’accusation a marqué un point fondamental, quoique passé un peu inaperçu, dès le 16 janvier à l’occasion du premier interrogatoire de Claude Guéant. Ce dernier était alors interrogé sur une rencontre secrète qu’il a eue à Tripoli, le 1er octobre 2005, comme directeur de cabinet de Sarkozy, avec un dignitaire libyen infréquentable, Abdallah Senoussi, considéré comme le numéro deux du régime.

Chef des services secrets militaires et beau-frère de Kadhafi, Senoussi avait été condamné six ans plus tôt à la perpétuité par la justice française pour avoir été le cerveau de l’attentat terroriste contre l’avion de ligne DC-10 d’UTA (170 morts en 1989), dont des familles de victimes se sont constituées parties civiles au procès des financements libyens.

Pour tenter d’expliquer son dîner avec un terroriste d’État recherché par la justice de son pays, rendez-vous qui s’est tenu dans le dos de l’ambassade de France en Libye, sans traducteur, sans diplomate, sans garde du corps, mais en présence de l’agent de corruption présumé Ziad Takieddine, Claude Guéant a avancé la thèse d’un « piège » tendu par l’intermédiaire.

Le 1er octobre 2005 est le point zéro du pacte de corruption présumé, pour le Parquet national financier.

Déjà déstabilisé par les questions de la présidente Gavarino, qui a essayé de trouver la moindre vraisemblance dans son récit – il n’a prévenu personne a posteriori de sa supposée mésaventure et a continué de fréquenter Takieddine –, Claude Guéant n’a pas semblé avoir vu venir le coup que s’apprêtait à lui porter le procureur Quentin Dandoy, du Parquet national financier.

Le magistrat s’est levé, a allumé son micro et a fait converger deux documents saisis pendant l’enquête qui, mis en regard, prouvent que le rendez-vous était prévu, selon lui. Le premier document est une note manuscrite à en-tête du ministère de l’intérieur sur laquelle on peut lire sous la main de Claude Guéant ces annotations : « Libye », « 22 sept 2005 dîner Takieddine », « Tripoli 1er oct 2005 ».

Or, les archives numériques de Ziad Takieddine portent la trace d’une note concernant ce dîner du 22 septembre 2005 avec le bras droit de Sarkozy. Son titre : « Visite de CG ». Et parmi les « points à aborder », on trouve la mention « Dîner avec le numéro 2 (patron de la sécurité et de la défense) », « sans l’ambassadeur », mais avec « ZT ». Soit la description parfaite du dîner qui aura effectivement lieu une semaine plus tard avec Senoussi.

Pour l’accusation, c’est un point crucial. Ce dîner est celui durant lequel a été discuté pour la première fois un soutien financier de la Libye à la candidature de Nicolas Sarkozy, selon les témoignages concordants de Takieddine et Senoussi. C’est, pour le PNF, le point zéro du pacte de corruption reproché aux prévenus. Et s’il n’est pas impromptu comme le prétend Guéant, mais bien programmé main dans la main avec Takieddine, qui est l’émissaire de Senoussi, alors c’est le premier domino qui tombe, et tout le reste glisse comme sur un toboggan.

Car la chronologie est parlante : le 6 octobre 2005, cinq jours après le dîner Guéant-Senoussi-Takieddine, Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur, se rend à Tripoli pour rencontrer Kadhafi ; le 26 novembre, l’avocat et ami de Sarkozy, Thierry Herzog, va en Libye pour proposer un plan dans le but de faire sauter le mandat d’arrêt visant Senoussi dans l’affaire de l’attentat du DC-10 ; le 21 décembre, Brice Hortefeux, ministre des collectivités territoriales françaises, se rend à son tour à Tripoli, où, exactement dans les mêmes circonstances que Guéant trois mois plus tôt, il rencontre lui aussi secrètement Senoussi en présence de Takieddine.

À la barre du tribunal, Brice Hortefeux a également plaidé le « guet-apens » en déroulant le fil d’une histoire, il faut bien le dire, à dormir debout. « Je me demande si vous croyez vous-même à ce que vous dites », finira par lui lancer un autre procureur du PNF, Sébastien de La Touanne.

De l’argent libyen effectivement versé

Tout cela n’a rien d’anecdotique. En effet, dans les jours qui ont suivi le tête-à-tête avec Senoussi, la Libye de Kadhafi va opérer un premier virement vers une société offshore de Takieddine, Rossfield Limited, sans justification économique. Une partie de ces fonds libyens – près d’un demi-million d’euros – va atterrir sur le compte aux Bahamas d’un ancien collaborateur de Nicolas Sarkozy, Thierry Gaubert.

Véritable homme de l’ombre des relations Takieddine-Hortefeux-Guéant quand Nicolas Sarkozy était ministre de l’intérieur, Gaubert inscrira sur une note d’agenda, juste avant de recevoir l’argent, cette mention : « Ns-Campagne ».

Durant l’instruction, il avait assuré que « Ns » n’avait pas de lien avec Nicolas Sarkozy et que le mot « campagne » pouvait vouloir dire plein de choses. À la barre du tribunal, il dira finalement qu’il avait lu ce jour-là dans la presse un article sur la future campagne présidentielle de Sarkozy.

Quant à l’argent libyen retrouvé sur son compte, il a livré entre l’enquête et le procès quatre versions différentes, toutes plus irrationnelles les unes que les autres. Mais comme Gaubert le confiera lui-même à la barre dans une drôle de phrase, son objectif était avant tout de montrer que cet argent n’avait « pas de lien avec la campagne présidentielle ». Si tel est réellement le cas, la vérité devrait suffire.

Outre le virement Gaubert, le procès a aussi permis de détailler comment Takieddine avait sorti en espèces 1,2 million d’euros prélevés depuis un compte suisse sur son pactole libyen avant la campagne présidentielle de 2007, sans lien avec le financement de son train de vie qui était supporté par d’autres comptes, selon l’accusation. Certains de ces retraits en cash, de 200 000, 275 000 ou 300 000 euros, avaient d’ailleurs attiré l’attention de la banque de l’intermédiaire pour leur caractère inhabituel, a rappelé la présidente du tribunal.

Le carnet qui pèse lourd

Un autre événement a marqué le procès. Lors de l’audience du 10 février, Nicolas Sarkozy, qui a pourtant mis un point d’honneur à avoir réponse à tout, s’est montré sec comme jamais devant une simple page noircie à la main. Il s’agit d’un extrait des carnets manuscrits de l’ancien premier ministre et ministre du pétrole libyen, Choukri Ghanem, qui avait consigné à la date du 29 avril 2007 des versements du régime libyen en faveur de la campagne présidentielle de Sarkozy.

Non seulement plusieurs montants évoqués – 3 millions de Saïf al-Islam Kadhafi et 2 millions d’Abdallah Senoussi – correspondent précisément à ceux retrouvés sur les comptes de la société Rossfield Limited de Takieddine, mais la date de rédaction de cette note, dont l’authenticité a été validée par plusieurs polices européennes (Norvège, Hollande, France), est un élément supplémentaire prouvant que l’affaire ne peut pas avoir été une création de kadhafistes revanchards au moment de la guerre de 2011.

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Jamais une simple feuille n’avait pesé aussi lourd. Et face à ce bout de papier, Nicolas Sarkozy a louvoyé. Il a dit ne pas contester « forcément l’authenticité » du document tout en affirmant « douter de sa véracité ».

En réalité, le contenu des carnets de Ghanem, dont la rédaction quasi quotidienne s’étale de 2006 à 2012, a été confirmé par d’innombrables éléments extérieurs sur telle ou telle anecdote rapportée, y compris par… un ancien collaborateur de Nicolas Sarkozy, Boris Boillon, s’agissant d’un épisode lié à la libération des infirmières bulgares.

Choukri Ghanem a été retrouvé mort, flottant dans le Danube, à Vienne (Autriche), le 29 avril 2012.

Le cash de la campagne

Des rendez-vous confidentiels ont donc eu lieu et de l’argent a été effectivement versé, mais des fonds suspects ont-ils atterri dans la campagne présidentielle ? Un homme est venu, le 17 mars, donner une réponse : le commandant de police Frédéric Vidal, c’est-à-dire le policier de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) qui a dirigé pendant une décennie l’enquête sur l’affaire libyenne.

Concis et d’une redoutable efficacité, son témoignage a éclairé la stratégie policière mise en place durant l’enquête pour tirer le fil, minuscule au début, d’une possible circulation d’espèces en grosses coupures non déclarées pendant la campagne de 2007.

Rétrospectivement, c’est stupide.

Nicolas Sarkozy au sujet de la chambre forte louée par Claude Guéant durant la campagne de 2007 Cash peut rimer avec crash. Confronté aux découvertes policières, Éric Woerth a eu le plus grand mal à expliquer l’origine de cet argent. Selon sa version, il provient de dons envoyés anonymement par la poste de la part de militants discrets ou déposés tout aussi anonymement par d’autres à l’accueil de l’Union pour un mouvement populaire (UMP, aujourd’hui Les Républicains, LR). Une version qui avait été démentie durant l’enquête par des salariés du parti.

« On peut aussi parler de la couleur des enveloppes, si vous voulez », a déclaré le 13 février avec morgue Éric Woerth à la barre, manifestement excédé par l’insistance des questions de la présidente Gavarino.

Quant à Claude Guéant, soupçonné d’avoir pu entreposer du cash en quantité dans une immense chambre forte qu’il avait louée durant la campagne, il n’en a pas démordu : foin d’argent liquide, il a déposé dans ce fichu coffre des documents, notamment… des anciens discours de Nicolas Sarkozy pour les besoins de l’édification de sa doctrine présidentielle. « Bien sûr […], rétrospectivement, c’est stupide », a réagi l’ancien président, impitoyable avec Claude Guéant durant les audiences.

Des contreparties

Le procès a également réservé son lot de surprises pour la période qui a suivi cette première séquence couvrant la période 2005-2007. Parmi l’une des contreparties au pacte de corruption présumé reproché à l’équipe Sarkozy se trouvent les diligences menées en France pour rendre inopérant le mandat d’arrêt visant Abdallah Senoussi dans le dossier de l’attentat contre le DC-10.

On savait que l’avocat et ami de Sarkozy, Thierry Herzog, s’était rendu fin 2005 en Libye sur ce thème. Mais une note retrouvée dans l’ordinateur de Takieddine a jeté le trouble sur la persistance dans le temps de ses manœuvres. Celle-ci concerne une réunion qui s’est tenue le 16 mai 2009 à l’Élysée entre Claude Guéant, secrétaire général de l’Élysée, et Ziad Takieddine – l’existence de ce rendez-vous a été vérifiée grâce aux archives de la présidence. Dans sa note, Takieddine évoquait le sujet abordé : « mettre de côté » le mandat d’arrêt Senoussi.

De 2005 à 2009, le sujet du mandat d’arrêt du terroriste Senoussi a été suivi de très près par l’équipe Sarkozy.

À l’audience du 15 janvier, Claude Guéant a confirmé pour la première fois le contenu de sa réunion avec Takieddine, à savoir la « fermeture du dossier Senoussi », sans que sa réponse ait permis de comprendre avec précision ce qu’il entendait par là. Il n’en demeure pas moins que l’affirmation du bras droit de Sarkozy vient démontrer que de 2005 à 2009, le sujet du mandat d’arrêt du terroriste Senoussi a été suivi de très près par l’Élysée, et que Claude Guéant a continué d’accorder sa confiance à Takieddine en dépit du prétendu « piège » que celui-ci lui aurait tendu quatre ans plus tôt à Tripoli.

Le procès a d’ailleurs permis de mettre en lumière le fait que Ziad Takieddine a bien été impliqué dans l’affaire de la libération des infirmières bulgares et dans l’organisation du fastueux accueil de Mouammar Kadhafi à Paris en décembre 2007, deux contreparties présumées du pacte corruptif de 2005.

Autre contrepartie possible : le nucléaire. Nicolas Sarkozy a expliqué que ce n’est pas lui, mais son prédécesseur Jacques Chirac qui avait ouvert la porte à une possible coopération nucléaire avec la Libye. Le fait d’avoir signé un mémorandum en 2007 pour la vente d’un réacteur à Kadhafi n’avait aucune consistance particulière, et n’avait pas été suivi d’effets. « C’est de la diplomatie. Ça permet de donner un contenu aux visites », a minimisé l’ancien président, comme si le nucléaire pouvait être un pot de fleurs que l’on met sur une étagère pour faire joli.

Problème : l’ancienne patronne du géant français du nucléaire, Anne Lauvergeon, est venue expliquer à la barre, le 30 janvier, que s’il ne s’était rien passé, c’est parce qu’elle s’était opposée avec ses équipes à la vente d’un réacteur à la dictature : « Il y a des choses qu’on ne fait pas […]. On ne peut pas vendre du nucléaire à un pays qui ne fonctionne pas de manière rationnelle. »

Anne Lauvergeon a même raconté que Claude Guéant lui avait demandé de manière insistante de coopérer avec la Libye à l’issue d’une réunion au printemps 2010. Ce que l’ancien numéro deux de l’Élysée sous Sarkozy a confirmé à la barre. Il a assuré, au contraire de Sarkozy, que « des travaux » avaient été « réalisés » sur le sujet à « intervalles réguliers », mais que le dossier avait buté sur les « manquements d’Areva, qui n’a pas bougé ».

Sauver Bachir Saleh

Le procès a été riche d’enseignements sur un autre épisode majeur de l’affaire : la double exfiltration par la France du directeur de cabinet de Kadhafi, Bachir Saleh, l’homme de tous les secrets financiers du régime. Une première fois en novembre 2011, après avoir été arrêté par les révolutionnaires libyens pourtant soutenus par Sarkozy. Une seconde fois en mai 2012, au lendemain de révélations de Mediapart sur les financements libyens.

Après avoir juré durant l’instruction ne s’être « jamais » mêlé de la première exfiltration, Nicolas Sarkozy a finalement reconnu à l’audience du 5 février avoir « donné un accord politique » à celle-ci, mais n’avoir été au courant de rien par la suite. Et notamment de l’implication de l’agent de corruption présumé Alexandre Djouhri, qui a mis à disposition un jet privé pour que le bras droit de Kadhafi puisse fuir la Libye et trouver refuge en France.

Quant à la seconde exfiltration, qui a eu lieu le 3 mai 2012 sous la supervision du chef du renseignement intérieur, Bernard Squarcini, et une fois encore d’Alexandre Djouhri, Nicolas Sarkozy a promis n’en avoir rien su. Une version difficilement crédible quand on sait que l’on parle du plus proche collaborateur d’un dictateur déchu que la France protège alors qu’il est visé par un mandat d’arrêt d’Interpol.

Une note déclassifiée de la DCRI permet de mieux comprendre l’importance de protéger Bachir Saleh, le bras droit de Kadhafi.

« La fiche Interpol n’est pas prioritaire », a expliqué Sarkozy à la barre. Ce qui comptait pour lui à ce moment-là, dit-il, c’était le meeting qu’il s’apprêtait à donner pour sa campagne présidentielle à Paris : « J’ai 120 000 personnes qui vont venir au Trocadéro avec les préoccupations qui sont les miennes : “Est-ce qu’il va pleuvoir ?” »

Le cas Saleh est particulièrement éclairant. Le PNF a exhumé du dossier judiciaire une note déclassifiée du 19 septembre 2011, émanant de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI, aujourd’hui Direction générale de la sécurité intérieure, DGSI), qui affirme que l’avocat personnel de Bachir Saleh avait confié aux services spéciaux français que son client était celui qui, au sein du premier cercle de Kadhafi, avait « fait obstacle » à la diffusion d’éléments compromettants sur la corruption franco-libyenne pendant la guerre.

Personne n’y comprend rien, projetée au tribunal le 13 février, a ajouté encore un peu plus d’agitation dans la défense de Sarkozy. Cette archive télévisuelle montrait une accolade chaleureuse et amicale à Tripoli, en juillet 2007, entre l’ancien président et le bras droit de Kadhafi à une date où les deux hommes n’étaient pas censés se connaître, d’après Sarkozy.

« Les images montrent le contraire de ce qu’on veut démontrer. Cette vidéo ne témoigne d’aucune proximité ! », s’est exclamé, le 19 février, Nicolas Sarkozy à la barre. Toujours aussi convaincu que ce sont les mots qui façonnent le réel, et non l’inverse.

Fabrice Arfi et Karl Laske


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