Assemblée Plénière du Conseil régional Midi-Pyrénées 27 juin 2013 Débat sur « l’acte 3 de la décentralisation »
Intervention de Guilhem Serieys, groupe Front de Gauche « Les Régions en lien avec les autres collectivités territoriales »
Dés l’exposé des motifs de la loi, l’enjeu de cette réforme est posé : il est question de rétablissement de la compétitivité, condition essentielle du retour de la croissance. C’est l’idée que la croissance économique ne passerait plus par la hausse de la demande privée et publique (pouvoir d’achat en hausse et régulation publique) mais par une amélioration de la compétitivité de l’offre. Cette logique de la compétition territoriale est idéologique et ne répond en rien aux impératifs sociaux, économiques et écologiques.
Dans la compétition mondiale, les grandes métropoles devront se livrer une guerre sans merci pour conquérir au détriment des autres les activités porteuses. La conséquence en est naturellement l’appauvrissement et la désertification des autres territoires urbains ou ruraux éliminés de cette compétition. Des politiques essentielles seront donc assurées de manière variable d’un point à l’autre du territoire national ; cela revient à exploser le cadre républicain en ce qu’il doit être caractérisé par l’égalité de traitement des citoyens.
J’ajoute que l’affirmation des métropoles comme collectivités toutes puissantes et la montée en puissance des intercommunalités au détriment des communes ne fait qu’éloigner les citoyens des lieux de décision ; c’est donc l’inverse des objectifs annoncés par les partisans de la décentralisation. L’essentiel des pouvoirs seront donc aux mains d’exécutifs non élus au suffrage universel direct et donc non responsables directement devant les citoyens. Il s’agit de substituer à une République, déjà loin d’être parfaite, une république où intercommunalités et métropoles prendraient le pas sur les institutions élues au suffrage universel .
L’un des objectifs des réformes en cours est de faire disparaître définitivement l’autonomie communale, en tout cas de vider de leurs substances les pouvoirs communaux. L’élection municipale, la plus mobilisatrice en France avec l’élection présidentielle, établit une relation démocratique forte entre une population et son maire y compris dans les grandes villes ; ce « biais démocratique » est manifestement trop gênant pour nos libéraux. Face à la cohérence du libéralisme européen, à la logique de démantèlement du modèle républicain fondé sur son unité et son indivisibilité, nous appelons citoyens, élus locaux, parlementaires à défendre l’héritage de la révolution française et du CNR.
Cette décentralisation là va augmenter les inégalités entre les territoires, mais aussi éloigner encore le citoyen de la prise de décision.
Je veux mettre en lumière les aspects de la loi qui mettent en cause directement le fondement de l’égalité républicaine. A l’échelle territoriale, la République s’est toujours refusée à hiérarchiser les collectivités locales, aucune collectivité ne peut ainsi exercer une autorité sur une autre.
Le volet qui met en place les métropoles et la Conférence territoriale de l’action publique vise à instaurer une tutelle des métropoles et des régions sur les autres collectivités.
La région serait donc à la tête d’une structure de plus, bureaucratique et non élue : la CTAP, Conférence Territoriale de l’Action Publique (CTAP). Dirigée par le Président de région elle rassemblera les grands élus de la région (Présidents de chaque département, des grandes agglomérations, des maires des villes plus de 100 000 habitants et de 4 (4 !) représentants des autres maires).
Le président et le préfet de région seront maîtres de l’ordre du jour. La CTAP élaborera un Pacte de gouvernance territoriale qui s’imposera à chaque collectivité. Elle émettra un avis sur les demandes de toute collectivité locale d’assurer à titre expérimental des compétences relevant d’une autre collectivité, pouvant ainsi recomposer la responsabilité de chaque collectivité et redistribuer à la carte les compétences. Avec une carte des compétences établie au gré des majorités et des combinaisons politiques, le risque est grand de voir se mettre en place un véritable patchwork, tant au sein de chaque région qu’entre elles. Ce serait l’éclatement de la gestion territoriale et du cadre républicain. Se profile la fin de l’unité de la loi sur le territoire et se crée les conditions de l’expérimentation législative dans une région, vieux rêve des antirépublicains. Notons par ailleurs que les moyens de pression sur les communes et les groupements de communes seraient renforcés par les conditions qui leurs seraient imposées. Pas de subventions pour un projet qui n’entrerait pas dans les orientations fixées par le schéma régional (symétriquement, pas de subvention du département pour un projet non conforme au schéma départemental). La liberté communale est singulièrement mise à mal
Le Sénat a entièrement réécrit en première lecture ce premier volet de la réforme, qui traite des compétences des collectivités et de leur coordination.
Au final, la commission des lois du Sénat a rétabli la clause de compétence générale pour toutes les collectivités locales, obtenu que la « conférence territoriale » devienne « un lieu de dialogue souple », et réduit en cendres « le pacte de gouvernance » qui a été supprimé. « On fait confiance à la liberté des collectivités territoriales et à leur capacité d’initiative », résume le président de la commission des lois, qui n’est pas mécontent de montrer que « le Sénat a joué pleinement son rôle dans la réécriture du texte ».
Ce désaveu infligé par le Sénat au gouvernement est un véritable point d’appui pour tous les républicains qui veulent voir ce projet de loi retiré de l’ordre du jour parlementaire.
J’ajoute que le maintien de la clause de compétence générale pour toutes les collectivités est une condition essentielle du maintien de la libre administration des territoires et de l’exercice de la démocratie. En particulier, des pans entiers de la vie territoriale seraient menacés d’extinction avec la suppression de la clauses générale de compétence, surtout dans ce contexte austéritaire. Je pense aux financements d’équipements dans les territoires les plus pauvres, je pense aux financements du mouvement associatif, à l’éducation populaire ou encore à la culture.
Concernant ensuite la métropolisation avec les eurométropoles comme illustration, constituées d’ensembles continus de 400 000 habitants (Lille, Lyon, Marseille sont visés), il s’agit d’un triomphe. Outre les compétences classiques des interco type PLH, ou transports collectifs urbains, l’attribution obligatoire de compétences nouvelles comme l’urbanisme en lieu et place des communes, le tourisme, gestion des milieux aquatiques, gestion des aires d’accueil. Elles pourront exercer toutes les compétences des autres collectivités (développement économique notamment pour les Régions), action sociale des départements et celles de l’Etat (y compris les grands équipements).
L’intercommunalité instituée autour de grandes agglomérations, accentue les déséquilibres territoriaux avec le reste des territoires. Le projet de loi favorise explicitement la formation de nouvelles métropoles au statut et aux compétences renforcées, en en faisant les vrais lieux de pouvoir. Ces mastodontes urbains auraient la mainmise sur les communes intégrées et structureraient fortement les autres territoires, réduisant le département à un simple guichet social et les communes à des entités sans consistance dont le seul pouvoir sera de faire les mariages et de donner le nom des rues….
Les citoyens auront encore moins de pouvoir de contrôle sur leurs élus et de possibilités d’implication dans la démocratie locale puisque les compétences communales seront vidées de leur substance. La résistance des communes à la métropolisation est saine et doit être défendue. Contrairement à ce qu’écrivent certains plumitifs aux ordres, cela n’a rien de ringard et de réactionnaire. C’est la résistance de la démocratie communale ; c’est la résistance de la souveraineté populaire qui veut garder le pouvoir d’élire ses élus, d’avoir prise ainsi sur le choix de la politique à mettre en œuvre sur le territoire où ils vivent.
La collectivité locale centrale de la République Française est la Commune. La libre administration des communes, inscrite dans notre droit fondamental actuel, est l’héritière du combat pour les libertés commencé dès le Moyen-âge par la revendication de la liberté communale. L’élection des conseillers municipaux au suffrage universel direct a été une conquête des républicains contre tous les pouvoirs autoritaires et anti démocratiques de l’ancien régime, de l’Empire ou du régime de Vichy.
Les commnunes se voient totalement dépecées, en particulier au profit des interco. Elles n’auront pas voix au chapitre, pas même en matière de transfert d’équipement. De façon pratique, elles n’ont aucun moyen de s’opposer seule.
Après l’insistance des présidents de région à être “chef de file” en matière de soutien au développement économique, on peut s’interroger sur la cohérence d’une compétence qui sera elle même en compétition avec les métropoles.
Au delà, l’accent est mis très fortement dans l’accord gouvernement régions (15 engagements pour la croissance et l’emploi) sur le développement à l’export des PME. Outre que cela concerne une minorité d’entre elles, que l’exportation ne représente que 20% de notre PIB, on voit aussi renforcé le mythe de l’innovation ; un des corollaires du productivisme au sens où il s’entend comme l’idée d’inventer des objets dont l’enjeu est non pas d’être utile mais de trouver des débouchés des clients. Cela pose évidemment le problème de la mise en concurrence sur un plan social et du coût écologique de ce type de développement. La loi aurait pu être l’occasion d’affirmer des conditions sociales, écologiques ou encore d’utilité sociale à ces activités en contre-partie des aides publiques. Plus précisément encore, la loi aurait pu mettre au cœur le soutien à l’économie sociale et solidaire, à la relocalisation aux circuits cours, à la transition écologique. Au lieu de cela sont confirmées les actions de soutien à l’internationalisation et à l’innovation des PME et des entreprises intermédiaires. Compétitivité oblige !
On assiste dans ce projet de loi à un grand lâchage par l’Etat de ses responsabilités. Sous le couvert d’approfondissement de la décentralisation, l’Etat se défausse dans des domaines clés de ses prérogatives.
Les Régions se voient attribuer :
l’ensemble de la formation pro tous bénéficiaires confondus, et en assumera l’achat public pour le compte des CG et de pôle emploi (donc de l’Etat). (art 9) Au passage leur marchandisation n’est pas remise en cause.
l’ensemble de l’apprentissage et des centres d’apprentis (si conventionnés préalablement avec l’Etat) (Art 13).
L’orientation y compris scolaire leur est dévolue. (art 15) Il ne s’agit pas seulement de reprocher un transfert des compétences sans transférer les ressources correspondantes, comme on l’entend souvent. Même avec les ressources suffisantes, il est nuisible que certaines compétences de service public national ne soient plus assurées par l’Etat mais par les régions.
Ainsi pour la formation professionnelle, l’apprentissage, l’orientation et l’enseignement supérieur. Le code de l’éducation serait modifié, permettant à la région d’être, d’une façon générale, compétente en matière de formation professionnelle en direction des jeunes, des adultes, des personnes handicapées et des personnes détenues. Un nouvel article ferait de la région le maître d’ouvrage pour arrêter la carte des formations professionnelles initiales, établir la liste des ouvertures et fermetures de sections de FP dans les établissements du second degré. Plus de cadrage national au niveau de l’apprentissage pour les conventions puisque le contenu de la convention type serait déterminé par chaque région, sans clauses de caractères obligatoires ! Quant à l’orientation, l’Education nationale en est en grande partie dessaisie : elle ne se fait plus sous l’autorité du délégué à l’information de l’orientation, mais sous la houlette de la région qui l’organise : que deviennent les CIO, dès lors que différents types d’organismes peuvent être reconnus comme participants au service public.
Il est clairement dit que la région organise le service public de l’orientation tout au long de la vie, que les personnels d’orientation relevant du Ministère de l’EN sont placés sous l’autorité de la région et que la charge des CIO est transférée à la région, comme aussi les biens meubles et immeubles.
Pour les transports, la région, chargée de l’aménagement, du développement, de la cohérence et de la mise en valeur du réseau ferré d’intérêt local est appelée à poursuivre le processus de se substituer aux carences de l’Etat et au démantèlement de la SNCF, avec transfert de la propriété d’infrastructure ferroviaire correspondant.
-Aucune protection des services publics stratégiques : comme le transport ferroviaire ou le numérique, il est même des articles qui favorisent leur mise en concurrence (art 36 pour les transports). Il prévoit clairement la poursuite du démantèlement de l’organisation nationale des transports ferroviaires en particulier dans le domaine du fret. Un réseau ferroviaire régional est ainsi créé, les régions prenant à leur charge la construction, l’exploitation et l’entretien de l’infrastructure (possibilité de contrat de partenariat PP).
En matière de numérique les régions exercent une compétence quasi exclusive sur les réseaux (infrastructures)et il est affirmé que le secteur public doit prendre en charge ce qui est coûteux et non rentable et laisser au secteur privé les zones les plus rentables.
Il y a bien sûr un lien entre le type de scrutin et le contenu des politiques menées, un lien entre le mode de scrutin et la capacité pour la souveraineté populaire à définir l’intérêt général.
Pour l’intercommunalité, les élus communautaires seront désignés dans l’ordre de la liste. Pour les communes de plus de 1000 habitants, des sièges seront réservés à l’opposition. Ce qui ne permet pas de confronter des projets contradictoires concomitants aux élections municipales. On restera dans la logique de superposition d’intérêts communaux particuliers et non de projets partagés fondés sur des périmètres de solidarité. Innovation trompeuse car ces élus seront moins encore l’expression de l’équipe municipale et sans responsabilité directe devant le peuple.
L’élection du Conseil départemental (nouveau nom du conseil général) se fera par canton au scrutin binominal paritaire à deux tours. On n’élira plus une personne par canton, mais un couple : un homme et une femme, tout en conservant le même nombre de conseillers départementaux. Le nombre de cantons sera donc divisé par 2, avec donc un nouveau redécoupage. C’est une nouvelle usine à gaz électorale, unique au monde, fruit du génie bureaucratique solférinien.
Elle est justifiée par deux arguments : 1. imposer la parité, 2. rééquilibrer les territoires. Il existe un moyen beaucoup plus simple d’atteindre ces objectifs : le scrutin de liste départemental à la proportionnelle, avec une liste paritaire (alternance homme/femme comme aux élections municipales, régionales ou européennes) et une représentation équilibrée des territoires du département dans chaque liste pour préserver un ancrage territorial. Un tel scrutin peut être mis en place sans augmenter le nombre de conseillers, sans redécoupage arbitraire, tout en garantissant la parité de genre et une représentation démocratique. Etait-ce ceci qui gênait nos génies bureaucratiques, plus soucieux de renforcer le bipartisme PS / UMP que d’assurer une juste représentation des sensibilités ? Derrière ce mode surréaliste de scrutin pour les élections départementales se cache un autre objectif : limiter les compétences du département à celles d’un guichet social aux moyens réduits.
Cette proposition a été repoussée au Sénat par l’opposition de la droite et l’abstention du PCF et des verts.
Face à la logique de la compétition entre les territoires il ne s’agit pas de défendre l’idée que la commune reste le seul lieu de gestion pertinent de l’intérêt général. Nulle intention dans mon propos de contester qu’il peut y avoir différents niveaux d’échelles pertinentes selon les sujets à traiter. La modernité ne consiste pas à évincer les citoyens pour confier la gestion à des experts ; la modernité implique au contraire de faire de cette gestion un enjeu de la citoyenneté et des instances de décision collective. Le propre de la République est de servir l’intérêt général ; c’est sous cet auspice qu’il faut établir les modalités de fonctionnement démocratique des collectivités locales.
L’efficacité économique fondée sur la rationalité instrumentale ne produit pas l’intérêt général, bien au contraire, tant les expertises sont soumises aux puissances des lobbys et des intérêts financiers. Une vraie réforme des collectivités territoriales devrait au contraire de ce qui se fait actuellement être fondée sur les principes suivant :
1) Garantir l’unité et l’indivisibilité de la République en faisant de la loi nationale l’impératif qui garantit l’égalité de tous sur le même territoire ;
2) Donner la prééminence à une logique de coopération et de solidarité entre les territoires et entre les institutions locales ;
3) Soumettre toutes les autorités à la légitimité démocratique de la souveraineté populaire à travers le suffrage universel et le contrôle citoyen.
On voit à quel point le discours démagogique sur « la décentralisation qui rapproche les décisions du citoyen » est creux et mensonger. La décentralisation qu’on nous propose vise à dessaisir les citoyens de toute maitrise sur le territoire qu’ils habitent. On confie la gouvernance de ce territoire à de grandes agglomérations, dans l’objectif avoué de transformer leurs territoires en enjeux de la compétition mondiale, jouant les territoires les uns contre les autres. Tout est d’ailleurs ordonné pour que l’Etat se défausse davantage encore de ses responsabilités, telle la formation, subordonnée aux besoins régionaux spécifiques et aux intérêts proprement économiques. Cette nouvelle architecture institutionnelle renforce un ensemble de grands potentats locaux et urbains, affaiblit le pouvoir des citoyens et corrélativement la force de l’Etat et de la loi républicaine. Il est donc du devoir de tout élu responsable du mandat que lui a donné le peuple, du devoir de tout démocrate et de tout républicain attaché aux libertés communales et à l’égalité de tous devant la même loi, bref du devoir de tout citoyen, de tout mettre en œuvre pour faire échec à cet acte 3 de la décentralisation, à rejeter cette loi en l’état. Ce projet de loi doit être retiré purement et simplement de l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
La défiance des citoyens à l’égard des responsables politiques atteint son seuil critique. Cahuzac, élection Villeneuve sur Lot… C’est pourquoi la réplique doit être forte et claire. Au lieu de ce bricolage anti-républicain, que le gouvernement ait le courage de refonder les institutions en s’appuyant sur le peuple. Nous défendons la perspective d’un processus constituant pour une nouvelle République, une 6ème République. Redéfinir les règles sociales et démocratiques est le moyen pour que le peuple se ressaisisse de sa citoyenneté.
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