Le patron des députés de la Droite républicaine et le secrétaire général de l’Élysée ont largement encouragé la nomination de cet « homme de consensus », qui a surtout su s’arranger avec lui-même et ses propres idées.
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Depuis sa nomination à Matignon, les amis politiques de Michel Barnier louent partout ses capacités de « discussion », de « concertation », de « négociation ». « Un homme du consensus », titre même Le Monde. Mais ces dernières années, ce vétéran de la politique a surtout dû négocier et s’arranger avec lui-même, ses propres idées et ses engagements passés, lui qui s’est longtemps présenté comme un « gaulliste social » et un modéré, avant d’opérer une mue radicale et un virage droitier à la veille de la présidentielle de 2022.
Candidat à l’époque à la primaire du parti Les Républicains (LR), face à Éric Ciotti et Valérie Pécresse, cet ancien commissaire européen (2010-2014) et négociateur du Brexit (2016-2020), aux accents un temps fédéralistes, a bazardé pour l’occasion son héritage et adopté des obsessions souverainistes et « anti-immigration », soucieux de donner des gages à la base du parti, sans doute. Ainsi qu’à Laurent Wauquiez, ancien rival en Auvergne-Rhône-Alpes qu’il qualifiait jadis de « populiste », mais dont il a fini par se rapprocher.
En 2021, soudain, Michel Barnier s’est ainsi fait le partisan d’un « moratoire » sur l’immigration, du rétablissement de la double peine ou d’un durcissement du regroupement familial, lui qui affirmait encore, en 2014, que la France a « besoin d’immigration pour garantir la pérennité de notre système de solidarité et le dynamisme de notre économie ». Pas si éloigné du « Frexit judiciaire » prôné par le Rassemblement national (RN), il est allé jusqu’à plaider pour la mise en place d’un « bouclier constitutionnel » censé permettre de contourner les normes européennes, consternant ses anciens collègues à Bruxelles.
Son score à la primaire de la droite aurait pu le rendre modeste, voire le disqualifier pour Matignon : en décembre 2021, Michel Barnier a en effet obtenu 23,9 % des suffrages des adhérent·es de LR, un parti qui, aujourd’hui, ne pèse même plus 10 % des sièges à l’Assemblée nationale. Mais le voilà, à 73 ans, premier ministre d’Emmanuel Macron – le plus âgé de la Ve République (il est deux fois plus vieux que Gabriel Attal) –, chargé de « constituer un gouvernement de rassemblement au service du pays », selon le communiqué de l’Élysée.
« C’est assez incroyable d’apparaître, à mon âge, comme quelqu’un de neuf », confiait-il au Monde, il y a déjà trois ans. S’il n’en revenait pas lui-même, c’est qu’il y a quelques raisons : Michel Barnier fut élu plus jeune conseiller général de France en 1973, puis benjamin des député·es en 1978 (il avait voté contre la dépénalisation de l’homosexualité), avant d’être nommé quatre fois ministre – dans les gouvernements de Balladur, Juppé, Raffarin, et jusqu’à Fillon. « Un fossile », a lâché jeudi le député RN Jean-Philippe Tanguy.
Un rapprochement avec Wauquiez et Kohler
Mais qu’a-t-il pu se passer depuis son livre de 2014, intitulé Se reposer ou être libre (Gallimard), dans lequel Michel Barnier écrivait que « fermer nos frontières et nous recroqueviller serait à coup sûr sacrifier l’avenir au présent » (une citation de Pierre Mendès France) ? À Mediapart, il expliquait en 2021 : « La situation s’est dégradée. [Depuis 2014], il y a un million d’étrangers en plus. Il ne faut pas se faire d’illusions. Le pays va au-devant d’affrontements graves si on ne prend pas de décisions claires. »
Michel Barnier a surtout topé, dès 2021, avec Laurent Wauquiez, l’actuel patron des député·es de la Droite républicaine (ex-LR), censé avoir « eu raison avant d’autres sur un certain nombre de sujets ». Suivant ce modèle, il avait ainsi démarré toutes ses interventions publiques, lors de sa campagne pour la primaire à droite, sur le même refrain : immigration et sécurité, « deux préalables » à tout. Et enfourché le combat de Laurent Wauquiez contre « l’assistanat ».
Sans surprise, celui-ci n’a donc eu aucun mal à adresser jeudi ses « félicitations à Michel Barnier […], un homme d’une grande qualité qui a tous les atouts pour réussir dans cette difficile mission qui lui est confiée ». Son groupe ne votera évidemment pas de motion de censure. Le patron des député·es de la Droite républicaine n’a toutefois pas précisé si sa formation resterait sur sa position de ne pas entrer au gouvernement.
L’autre soutien de poids de Michel Barnier s’appelle Alexis Kohler. Si l’on en croit Le Monde, le secrétaire général de l’Élysée serait resté en contact avec lui depuis qu’Emmanuel Macron avait envisagé, en 2020, de le nommer à Matignon pour succéder à Édouard Philippe... « Ça fait des mois que Barnier courtise Kohler, confirme l’un de ses anciens collègues de gouvernement à Mediapart. Sa nomination montre surtout que le vrai pouvoir, c’est Kohler. »
À l’époque, le Savoyard avait décliné la proposition, convaincu notamment que le chef de l’État l’avait laissé tomber un an plus tôt, alors qu’il rêvait de prendre la tête de la Commission européenne. Amer, Michel Barnier avait par la suite dénoncé une présidence « verticale, arrogante et solitaire ». Mais aux yeux d’Alexis Kohler, il satisfaisait désormais aux deux principaux critères fixés par Emmanuel Macron : la « non-censurabilité » par l’Assemblée « et la capacité à faire des coalitions ». La capacité à brader quelques convictions aussi, peut-être.
La rédaction de Mediapart
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