Nominations au gouvernement Barnier : « vers une droitisation de la macronie »

samedi 28 septembre 2024.
 

Michel Barnier a proposé à Emmanuel Macron une liste de 38 noms pour le nouveau gouvernement. Quels enseignements tirer de ce casting ?

David Bornstein - Hier soir, Michel Barnier a proposé à Emmanuel Macron une liste de 38 noms pour le nouveau gouvernement, dont 16 ministres de plein exercice. Bruno Retailleau (LR) est notamment pressenti à l’intérieur. Laurent Wauquiez, Xavier Bertrand, Gérald Darmanin ne seraient pas présents. Sur 16 ministres de plein exercice, 7 seraient macronistes, 3 LR, 2 MoDem, 1 Horizon, 1 UDI, 1 seul divers gauche. Michel Barnier a promis une liste définitive « avant dimanche ». Quels enseignements tirer de ce premier casting ? Entretien.

Mathias Bernard - Bruno Retailleau pourrait être nommé au ministère de l’Intérieur, l’un des postes clés du gouvernement. Ce dernier a été très actif pour « durcir » le texte de la loi immigration il y a quelques mois. Que nous dit ce choix de la part de Michel Barnier ?

Mathias Bernard : La présence de Bruno Retailleau s’explique par des éléments de calcul politique car il est président du groupe LR au Sénat. On sait que l’appui de la majorité sénatoriale sera un élément important pour le futur gouvernement. Mais les positions exprimées par Bruno Retailleau, notamment sur les questions de sécurité, d’immigration, d’identité nationale, en font aussi quelqu’un qui peut être accepté par le Rassemblement national. Sa présence à l’intérieur serait donc un marqueur droitier destiné à rassurer ou à attirer à une partie de l’électorat RN. Ce qui est assez intéressant, c’est que Retailleau serait présent dans un gouvernement où figurent un nombre important de macronistes ou de centristes. Il signale une forme de droitisation de la macronie qu’on avait déjà pu observer fin 2023 avec le vote de la loi immigration. Tout cela s’inscrit dans une continuité et un temps relativement long.

On remarque que les personnalités rejetées par le RN – Xavier Bertrand, Gérald Darmanin, Eric Dupont-Moretti – ne seraient pas nominées a priori…

Mathias Bernard : on est là dans une démarche pragmatique, pas forcément idéologique. Dans la mesure où Emmanuel Macron a choisi une option d’opposition au Nouveau Front populaire, la seule possibilité de survie de ce gouvernement à l’Assemblée nationale repose sur une abstention bienveillante du RN. Il faut donc éviter de provoquer le RN. Si les députés RN décidaient de joindre leurs voix à celles du Nouveau Front populaire en votant la censure, ce gouvernement tomberait immédiatement.

Après des législatives où le NFP termine en tête, la gauche dénonce un coup de force. Ce gouvernement ne va-t-il pas souffrir d’un manque de légitimité ? Doit-on s’attendre à de fortes tensions (LFI a déjà appelé à des manifestations ce week-end) ou même à une crise institutionnelle ?

Mathias Bernard : Pour l’instant, la crise est de nature politique. Elle est liée à une évolution du paysage politique depuis 2017, avec la constitution de trois pôles quasiment inconciliables et au poids électoral comparable. Du fait de cette tripartition, il est très difficile de trouver une majorité. Le risque de crise institutionnelle est aussi présent, en raison de la manière dont le président de la République a géré cette séquence en se substituant aux parlementaires pour décider quelle était la majorité qui avait le plus de chances d’être stable à l’Assemblée nationale. Dans une démocratie parlementaire classique, il aurait nommé la coalition arrivée en tête : ce premier ministre aurait ou n’aurait pas obtenu de majorité mais cela aurait permis de décanter les choses. En interprétant les élections, Emmanuel Macron s’est mis en première ligne et n’a pas permis au jeu parlementaire de s’enclencher, nourrissant le procès en illégitimité du futur gouvernement. Ce procès peut effectivement créer une contestation forte, y compris dans la rue.

Quel regard l’historien que vous êtes porte cette séquence politique ? Jugez-vous la Ve République à bout de souffle ?

Mathias Bernard : C’est la structuration du champ politique en deux pôles, enclenchée par la Ve République, qui est d’abord à bout de souffle. Jusqu’à l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, on avait une bipolarisation droite gauche qui fonctionnait, qui structurait le paysage politique et qui permettait de dégager des majorités. Ce paysage était adapté au mode de scrutin majoritaire, c’était cohérent. Désormais, cet éclatement en trois forces rappelle la IVe République. On avait alors les communistes, les gaullistes et la troisième force « modérée » qui allait des socialistes à la droite d’Antoine Pinay et sur laquelle s’appuyait la plupart des majorités gouvernementales. Finalement ce phénomène de tripartition n’est pas nouveau, mais il a été masqué pendant près de 60 ans par le fort clivage droite gauche, contemporain de la mise en œuvre de la Ve République et de l’élection présidentielle, qui s’effectue au scrutin majoritaire à deux tours.

Aujourd’hui le système bipolaire est bien mort et il serait cohérent d’aller vers un système parlementaire, qui est le seul à pouvoir gérer la pluralité des sensibilités politiques. La toute-puissance du président dans notre système institutionnel est complètement en décalage avec la réalité politique du pays, qui suppose plutôt des coalitions entre les forces politiques. On constate ailleurs à quel point l’élection présidentielle au suffrage universel est devenue un élément perturbateur pour la constitution de coalitions. Ainsi Laurent Wauquiez ne rejoint pas ce gouvernement par calcul en vue de la prochaine présidentielle. Idem pour une certaine gauche qui ne veut pas jouer le jeu de l’union nationale.

La structuration politique en trois blocs devrait donc amener à un dépassement de la Ve République ?

Mathias Bernard : L’élection présidentielle est la mère de toutes les élections et dans le cadre d’un scrutin majoritaire à deux tours, deux candidats sont en finale dans une logique bloc contre bloc. Or, quand on a trois blocs égaux, il n’y a pas de majorité possible (cela aurait été la même chose avec un gouvernement NFP) et finalement, deux électeurs sur trois ne sont pas représentés. Dans un tel paysage politique, une culture de coalition est indispensable pour dégager des majorités. On dit que la France n’a pas la culture de coalition, c’est pas exact : les coalitions existaient sous la Troisième et la IVe République. Ces régimes ont duré 90 ans pratiquement. Ce qui rend impossible la culture de coalition, c’est le mode de fonctionnement actuel de la Ve République. Dans ce contexte, le gouvernement Barnier sera très fragile mais tout autre gouvernement l’aurait été de la même manière.

Emmanuel Macron a pesé et va peser sur la composition du gouvernement. Il promettait de s’effacer or l’on constate que ce n’est pas le cas. Le présidentialisme n’est donc pas mort ?

Mathias Bernard : En refusant de nommer un premier ministre issu de la coalition arrivée en tête et en conduisant lui-même des négociations avec les partis politiques pour tenter une construire une majorité, Emmanuel Macron est allé nettement au-delà des pouvoirs qu’un système parlementaire octroie au président de la République. Cette manière de faire, inédite, s’explique en grande partie par sa personnalité. Mais elle révèle aussi l’ambiguïté fondamentale du système de la Ve République, qui est un régime théoriquement parlementaire, mais présidentiel dans l’esprit et la pratique. Jusqu’alors, la nature parlementaire du régime réapparaissait lorsque le président de la République n’avait pas de majorité à l’Assemblée nationale : c’était le cas des cohabitations de 1986, 1993 et 1997. En endossant le premier rôle ces dernières semaines, Emmanuel Macron a fait prévaloir une lecture présidentialiste des institutions – qui est toutefois fortement contestée par une partie de la classe politique, comme l’atteste la procédure de destitution enclenchée par la gauche à l’Assemblée nationale. Cette tension entre l’affirmation du présidentialisme et la résistance du parlementarisme risque fort de s’exacerber dans les prochains mois, jusqu’à ce que la prochaine élection entraîne une nouvelle forme de décantation du paysage politique.

Propos recueillis par David Bornstein.

Mathias Bernard, Historien, Université Clermont Auvergne (UCA)


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