C’est l’histoire de trois présidents de la République qui se retrouvent à l’Élysée le même jour. Le premier, grand maître de la mise en scène politique, s’est affublé d’un nouveau costume et se veut recruteur d’un nouveau genre. Les deux autres sont consultés dans une facétie politique où chacun se demande quel monstre face à eux le système politique a engendré. Dans un contexte où l’Assemblée nationale ressemble plus à un terrain miné qu’à un hémicycle fonctionnel, Emmanuel Macron semble avoir trouvé une nouvelle vocation : celle de chef de casting pour le poste de Premier ministre. François Hollande et Nicolas Sarkozy ne sont pas les seuls à avoir été consultés pour cette saison particulière de « Qui veut épouser le poste de Premier ministre ? ».
François Bayrou, Laurent Wauquiez, Xavier Bertrand, Bernard Cazeneuve, les présidents de régions, bientôt peut-être les plus de 2000 collaborateurs parlementaires puis tous les descendants de dirigeants français depuis Vercingétorix. Si le suspens de cette séquence semblait tendre vers la fin lundi avec le nom de Thierry Beaudet circulant largement pour Matignon, il est relancé mardi avec des « consultations téléphoniques », point d’orgue de plusieurs semaines de déconstruction systématique de ce qui faisait depuis 1968 le cadre d’une certaine stabilité politique.
Son discours lors du 65ème anniversaire de la Constitution le 4 octobre 2023, aurait pu sonner comme un avertissement du tournant kafkaïen qu’allait prendre la présidence actuelle. « Nos institutions conservent, pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, toutes leurs forces », « Pour préserver la Constitution, [...] il faut d’abord la faire vivre. User de tout ce qu’elle permet et s’interdire tout ce qu’elle ne permet pas. » Emmanuel Macron navigue dans un monde où les règles changent à chaque instant. Il restera non seulement dans l’histoire comme le disrupteur politique hors pair qu’il a été, mais également comme un curieux et imprévisible exégète institutionnel. En réinventant l’interprétation de la Constitution française, il provoque trois nouveautés institutionnelles préoccupantes.
Plus longue qu’un été d’écolier français, la latence gouvernementale atteint un record. Emmanuel Macron a instauré le plus long gouvernement démissionnaire de l’histoire de la Ve République. Christopher Nolan de la politique, il plie à sa volonté le temps et la logique. Créateur du gouvernement démissionnaire permanent, il rend impossible l’exercice des fonctions d’un Premier ministre telles que le disposent les articles 20 et 21 de la Constitution. Bien que juridiquement toléré, ce vide révèle une faille préoccupante dans nos institutions.
Ensuite, traditionnellement, c’était le Premier ministre qui subissait la crise politique en étant le fusible du président. Emmanuel Macron a innové en utilisant l’Assemblée nationale comme fusible, la dissolvant pour échapper à la crise engendrée par les débats sur la loi immigration et le désaveu, voire la haine, croissante des Français à son encontre. Cette utilisation de l’article 12 de la Constitution diffère radicalement des dissolutions précédentes, qui visaient soit à résoudre une crise (1962), soit à aligner l’Assemblée sur le président (1981, 1988), soit à réduire une majorité présidentielle trop importante (1997). Ici, le président pratique une stratégie de la terre brûlée préférant sa tranquillité d’esprit pour mener ses projets favoris, à l’international notamment, à la stabilité politique, qui sera mise à rude épreuve dès l’ouverture de la session parlementaire mais surtout lors des débats sur le projet de loi de finances.
Enfin, en refusant de nommer Lucie Castets, Macron s’arroge un droit de censure préalable, comme un Platon moderne qui déciderait qui mérite d’entrer dans sa République idéale, bafouant les articles 8 et 49 de la Constitution. Or, dans un régime parlementaire traditionnel, le rôle du président est de rassembler, pas de diviser, préalable indispensable à la mise en œuvre de nouvelles politiques publiques. Il consiste à identifier et désigner une personnalité capable de rassembler une majorité parlementaire. Invoquer le risque d’instabilité institutionnelle comme évoqué par le président éloigne d’une forme de jurisprudence qui opérait jusque-là, où la légitimité du gouvernement découle principalement de son soutien par une majorité à l’assemblée et non du fait du Prince. Et ce, surtout dans une configuration comme celle que nous connaissons où même une alliance sans LFI ni le RN désirée par la macronie, ne permettrait pas une majorité absolue dans l’hémicycle. Il est essentiel de demeurer attentif aux dérapages institutionnels. La Constitution, qui assure le fonctionnement de notre démocratie, ne doit pas être réduite à un instrument servant les ambitions politiques d’une seule personne.
Article de Gaspard Gantzer, Clara Reulet
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