Les droits sociaux à la dérive dans l’union européenne.
** Dans un contexte de quasi récession économique pour l’UE (seulement 0,4 % de croissance du PIB en 2023), des gouvernements de l’union européenne deviennent de plus en plus répressifs contre les organisations syndicales mais aussi associatives. La grave crise de la démocratie politique se double d’une crise de la démocratie sociale. Nous partageons ici une étude sur ce sujet du site d’information « haut de gamme » Élucid – média.
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Les droits sociaux sont gravement menacés dans toute l’Europe
par Frédéric Farah
Source : Élucid média. https://elucid.media/politique/droi...
Le flot des nouvelles ne connait aucun cessez-le-feu et pourtant, le mauvais temps sur les droits sociaux devrait être observé. La confédération syndicale internationale (ITUC) a publié comme chaque année son index qui mesure la situation des droits sociaux dans le monde : le constat est alarmant pour l’Europe.
publié le 20/08/2024 Par Frédéric Farah
Ce travail a vocation à classer 151 nations en fonction de 97 indicateurs qui se réfèrent à la jurisprudence internationale en la matière, et particulièrement sur les textes issus du Bureau International du Travail (BIT). De cette mobilisation technique se dégagent des indices d’évaluation. Le meilleur score est de 1, qui est jugé haut en fonction de l’observation des droits des travailleurs, jusqu’à 5+ qui représente la situation la plus dégradée.
Si cela peut paraître a priori surprenant tant l’Europe représente en la matière un exemple pour le reste du monde, la réalité est que les droits des salariés connaissent une inquiétante érosion et que les attaques à l’égard des syndicats se multiplient.
La dégradation rapide et impressionnante des droits sociaux en Europe Cette situation se traduit par la dégradation de la note européenne, qui passe de 1,84 en 2014 (la première année du calcul de l’indice) à 2,73 en 2024. De toutes les régions comparées, l’Europe est celle qui connaît la plus forte dégradation en dix ans. Des pays se détachent négativement du peloton européen, particulièrement la Finlande dont l’État providence subit des attaques répétées depuis l’élection d’une coalition de droite au pouvoir, ce qui s’est traduit par une restriction du droit de grève, des réductions de la couverture de la protection sociale et un dialogue social largement miné.
En Belgique et en France souligne le rapport, les grévistes ont été stigmatisés et les grèves criminalisées. Des syndicats dits « jaunes », c’est-à-dire sous influence des employeurs, ont été créés en Albanie, Grèce, Macédoine du Nord, ou aux Pays-Bas pour empêcher une représentation indépendante et démocratique des travailleurs.
Des États comme la Bulgarie et la Roumanie ont montré au contraire des progrès en matière de droits sociaux. La première a vu les syndicats emporter une bataille conduite depuis 25 ans pour reconnaître aux salariés la possibilité de s’organiser en syndicats. Mais ces éléments encourageants ne doivent pas être l’arbre qui cache la forêt, car le rapport indique de manière alarmante que 73 % des pays européens violent le droit de grève, 54 % d’entre eux violent les négociations collectives, 41 % excluent les travailleurs des droits de créer et de rejoindre un syndicat.
Un enjeu démocratique fort L’attaque à l’égard des droits sociaux et des organisations syndicales est l’une des manifestations de la crise de nos démocraties. Cette dernière n’a pas seulement pour espace un Parlement, mais aussi et surtout les lieux de travail. L’un de combats du mouvement syndical en France au cours du XXe siècle a été de faire entrer le délégué syndical dans l’entreprise.
Plus encore, le Préambule de la Constitution de 1946, qui fait partie du bloc de constitutionnalité, a fait accéder les droits sociaux au plus haut dans la hiérarchie des normes. C’est autour de la démocratie sociale que s’est réécrit notre contrat social après-guerre. Les lois Auroux de 1982 ont eu aussi pour vocation de dynamiser la négociation sociale. C’est un autre moment clef de notre histoire sociale.
Mais depuis les années 1990, c’est une course au moins-disant social qui emporte le monde dans le sillage de la mondialisation, et l’Europe, loin d’être le bouclier protecteur de cet arasement des droits sociaux, s’est faite très largement la courroie de transmission de ce mouvement. L’un des reproches qui ont été adressés de manière récurrente à l’Union, c’est sa difficulté à faire prévaloir une Europe sociale devenue un serpent de mer depuis la naissance du marché unique en 1993. Pire encore, l’affirmation de la concurrence libre et non faussée comme fondement du droit économique européen a entraîné une fragilisation des droits sociaux désormais soumis à cet impératif et à celui de la compétitivité.
Politiquement, l’Europe penche à droite voire à l’extrême droite : plus de 20 gouvernements européens se situent aujourd’hui de ce côté de l’échiquier parmi les 27 pays de l’UE. Il est peu probable que le mieux-disant social l’emporte. Au-delà de cette conjecture politique très défavorable aux travailleurs, ce sont les mouvements de fond qui apparaissent comme difficiles à contrecarrer. Le développement du capitalisme de plateforme comme Uber, Amazon ou encore l’expansion de l’intelligence artificielle produisent et vont produire des effets de forte ampleur quant à la situation des travailleurs.
En effet, le capitalisme de plateforme tout comme l’intelligence artificielle produisent une polarisation des emplois. D’une part, ils requièrent des emplois très qualifiés, mais aussi à l’autre pôle, des emplois peu qualifiés et souvent précaires. D’autre part, les travailleurs sont moins mobiles que le capital et se retrouvent en concurrence avec d’autres pour les tâches les moins qualifiées. Dans ce cadre émerge un discours qui laisse entendre que les protections des travailleurs, des salaires trop avantageux ou des droits sociaux protecteurs, sont un frein à l’emploi et à la compétitivité.
Ce discours se diffuse très largement depuis plus de trente ans. L’avertissement de la déclaration de Philadelphie en 1944 doit rester présent à l’esprit : « Il n’y a pas de paix possible sans justice sociale ». N’oublions pas encore en ces temps politiques troublés que les démocraties européennes avaient été érigées en barrière contre les extrémismes au lendemain de la guerre.
Or, depuis plus de quarante ans désormais, l’État social est entré dans la tempête. Dans le cas français, le livre de Pierre Rosanvallon, La crise de l’État providence, paru en 1981 marquait à son insu le coup d’envoi de quatre décennies de critiques et d’attaques à son égard. On peut penser aux attaques répétées contre le droit du travail considéré comme un obstacle à la création d’emplois, nourrissant de la sorte les comportements des « patrons voyous » décidés à s’en affranchir pour dégager plus de profit. La montée des accidents de travail et du mal-être au travail est aussi le témoignage de l’excès de pression ou du souci condamnable de réduire le coût des protections des travailleurs.
L’Union européenne présente désormais un visage préoccupant aussi bien socialement que politiquement. Elle reste un des rares espaces au monde où la paix civile est présente, mais cet état de fait ne peut durer si les coups de boutoir contre la société salariale se poursuivent et que le sentiment de dépossession des citoyens s’amplifie.
Il ne faudrait pas que sur les décombres d’une démocratie sociale et politique, s’ouvrent les chemins des pires aventures dont l’histoire nous a appris très profondément le caractère funeste..
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