Ceux qui se remplissent les poches (France) : Caisse des Dépôts et Consignations

jeudi 22 août 2024.
 

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La Caisse des dépôts invente un « golden parachute » d’un nouveau type

Numéro deux de la CDC, Olivier Sichel a démissionné de la fonction publique et a aussitôt été réembauché avec un contrat de droit privé. Mediapart, qui avait saisi la Cada, est parvenu à l’obtenir. Il offre à son bénéficiaire des indemnités de départ sulfureuses, proches de celles en vigueur dans les groupes du CAC 40.

estC’est un point de bascule dans l’histoire de la privatisation rampante de la haute fonction publique. L’histoire a déjà été racontée : Éric Lombard, le patron de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), a accepté que son numéro deux Olivier Sichel, directeur général délégué de l’établissement public, démissionne le 31 décembre 2023 de la fonction publique, puis soit réembauché dès le lendemain dans les mêmes fonctions, mais avec un contrat de travail de droit privé.

Un contrat qui prévoit une clause sans précédent dans un établissement public à caractère administratif : une sorte de « golden parachute » (ou parachute doré), digne du CAC 40, permettant à son bénéficiaire de percevoir un tas d’or d’ici quelques années.

Si au cours de ces dernières années, la sphère publique a déjà été contaminée par le virus de la privatisation, jamais, jusqu’à présent, on avait osé dans un établissement public à caractère administratif franchir un pas de plus, en prévoyant au profit d’un fonctionnaire démissionnaire aussitôt réembauché l’un de ces « golden parachutes » qui ont fréquemment fait scandale au sein des plus grandes entreprises privées françaises.

C’est pourtant ce tabou que vient de briser le patron de la CDC, bras armé financier de l’État, en accordant à son bras droit de colossales indemnités en cas de rupture de son contrat de travail. Une première qui risque de faire beaucoup de vagues.

Ce « golden parachute », la direction de la CDC a tout fait pour essayer d’en cacher l’existence. Et nous nous sommes heurté à de nombreuses difficultés avant de pouvoir en obtenir la confirmation.

Notre histoire commence le 27 mars, quand nous avons publié une enquête sur ce pantouflage hors norme, dans laquelle nous révélions aussi que, de ce fait, le comité exécutif de la CDC n’était plus, pour la première fois depuis deux siècles, composé majoritairement de fonctionnaires. Un signe supplémentaire de la privatisation des postes clés de la République, qui s’est accélérée depuis 2017 sous les deux quinquennats d’Emmanuel Macron.

Le goût immodéré pour l’opacité du patron de la CDC Dans le prolongement de cette enquête, nous avons cherché à vérifier si, autorisant le changement de statut de son bras droit, Éric Lombard n’avait pas accordé des avantages non révélés à Olivier Sichel, pouvant avoir un coût pour les finances publiques. Nous avons donc demandé au patron de la CDC communication du contrat initial de droit public et du nouveau contrat de travail de droit privé du directeur général délégué.

La réponse nous a été donnée par l’une de ses collaboratrices : non. « En retour à votre demande de transmission du contrat de travail d’Olivier Sichel, nous vous invitons à saisir la Cada [Commission d’accès aux documents administratifs – ndlr], qui jugera de l’opportunité ou non de vous transmettre ce document. De notre côté, nous pensons qu’il s’agit d’une pièce relevant du domaine privé. »

Nous avons donc saisi la Cada, comme on nous y invitait. La Commission, confirmant sa jurisprudence tout en la rendant beaucoup plus exigeante, a rendu un avis novateur qui a entièrement donné droit à nos demandes.

Lorsque l’on examine ce nouveau contrat de travail, qu’Olivier Sichel nous a finalement lui-même adressé, en y adjoignant des commentaires (voir les annexes de cet article), on comprend vite les raisons pour lesquelles Éric Lombard a fait tout son possible pour que ce document reste secret.

Car les dispositions qu’il comprend sont sans précédent pour un établissement public à caractère administratif, a fortiori parce qu’elles remplacent de manière extrêmement généreuse, à la faveur de la démission de la fonction publique de l’intéressé, des dispositions strictes d’un contrat de droit public qui lui étaient applicables quand il occupait les mêmes fonctions.

Le coup de pouce de l’Élysée Pour en prendre la mesure, il suffit d’examiner les deux contrats de travail de l’intéressé, celui de droit public puis celui de droit privé, et de décrypter ce qu’ils révèlent. Olivier Sichel est ainsi recruté comme numéro deux de la CDC à partir du 1er janvier 2018, avec le titre de directeur général adjoint puis, à partir de mars 2020, de directeur général délégué.

De 2018 à 2023, il travaille sous le statut de fonctionnaire détaché sur un contrat de droit public signé le 24 décembre 2017. Point très important, son contrat précise en son article 9 : « En application de l’article 52 1° du décret du 17 janvier 1986 modifié susvisé, la rupture du présent contrat n’ouvrira pas droit à indemnité. » Ce qui est la règle générale : les fonctionnaires ne profitent jamais d’indemnité pour rupture de leur contrat de travail.

Par décret du président de la République, daté du 31 décembre 2023, la démission présentée par Olivier Sichel, inspecteur général des finances, est acceptée à compter du 1er janvier 2024. Ce qui permet à l’intéressé, à compter de cette date, de conserver ses fonctions et de bénéficier d’un contrat de droit privé, signé le 20 décembre 2023, beaucoup plus avantageux.

La première surprise qu’apporte l’examen de ces contrats de travail a trait aux rémunérations. Celle d’Olivier Sichel s’élève à 373 000 euros annuels, auxquels s’ajoute une part variable qui peut aller jusqu’à 20 %, soit au total 448 000 euros. Par contraste, en 2018, dans le contrat initial de droit public, la rémunération était de 340 000 euros, plus une prime variable de + 20 %, soit au total 408 000 euros. D’une époque à l’autre, la rémunération a donc enregistré une augmentation de 10 %.

On remarquera que le montant de la rémunération d’Olivier Sichel atteint désormais le plafond applicable à celui des dirigeants d’établissements et d’entreprises publiques en vigueur, soit 450 000 euros. Ce qui est surprenant. Pourquoi le numéro deux de la CDC est-il payé autant que le numéro un de cet établissement, Éric Lombard, alors que la différence de responsabilités devrait se traduire par une moindre rémunération ? Manifestement, Éric Lombard a voulu faire preuve de la plus grande largesse possible au bénéfice de son numéro deux.

Autre constat, Olivier Sichel fait valoir dans les commentaires adressés à Mediapart que sa rémunération n’a pas augmenté depuis son passage au statut de contractuel de droit privé. « Vous constaterez, à la comparaison avec mon précédent contrat, qu’il n’est pas prévu dans le présent contrat d’évolution de mon salaire : la rémunération brute est identique, la rémunération nette est en baisse », nous écrit-il.

Il n’y a pourtant aucune vertu à cela, quoi que l’intéressé semble sous-entendre, puisque ladite rémunération était déjà à son maximum légal : la vérité est donc qu’il n’était tout simplement pas possible d’augmenter davantage Olivier Sichel et que cette situation n’est nullement le résultat d’une retenue de l’intéressé et de son directeur général, mais d’une contrainte légale.

Olivier Sichel fait en outre valoir la baisse de sa rémunération nette. Et pour cause : devenant contractuel de droit privé, la base de ses cotisations retraite n’est plus limitée à son traitement de fonctionnaire, 80 000 euros brut environ, mais à huit fois le plafond de la Sécurité sociale. Soit 371 000 euros brut, ou, si l’on préfère, 291 000 euros de plus que la base de cotisation retenue en tant que fonctionnaire.

Il cotise donc plus, mais omet de préciser qu’en contrepartie, il bénéficie de deux importants nouveaux avantages par rapport à sa situation précédente de fonctionnaire. Un, en cotisant sur une base près de cinq fois plus large qu’auparavant, il percevra le moment venu une bien meilleure retraite. Deux, son employeur contribuera également à la constitution de ce supplément de retraite, en cotisant à hauteur d’environ 15 % sur le montant de sa rémunération, et supportera de ce fait une charge sociale supplémentaire.

Tout cela aboutit à une première conclusion : Olivier Sichel a très habilement conduit sa carrière, pour cumuler le plus possible d’avantages financiers. Le fait d’attendre six ans pour passer au statut privé le 1er janvier 2024 lui a en effet permis de bénéficier, grâce à la poursuite de son avancement dans la fonction publique, à la fois d’une promotion au grade d’inspecteur général des finances en 2020 et d’une augmentation de son traitement de l’indice.

Ainsi, sa retraite de fonctionnaire, calculée pour toute la carrière sur le niveau l’indice le plus élevé, 1 334, correspondant à son traitement des six derniers mois de 2023, aura pu progresser en six ans de 50 %. Soit, pour une carrière complète en qualité de fonctionnaire, une retraite mensuelle brute qui aurait ainsi augmenté de 3 700 euros environ à près de 5 600 euros.

À partir de 2024, l’indice du traitement d’Olivier Sichel ne pouvant plus progresser, celui-ci avait tout intérêt à basculer sur un contrat de droit privé, qui lui procurera ainsi une retraite supplémentaire beaucoup plus confortable, calculée sur une base de 371 000 euros au lieu du plafond de 80 000 euros dans la fonction publique.

Ce choix est d’autant plus approprié qu’Olivier Sichel a déjà interrompu quelques années sa carrière de fonctionnaire pour travailler dans le cadre d’un contrat de droit privé, ce qui lui a déjà permis d’acquérir des droits à la retraite, notamment au titre du régime complémentaire Agirc-Arrco, dans lequel il accumule donc de nouveaux points depuis le 1er janvier 2024.

Un pactole de plus de 900 000 euros Le plus stupéfiant est cependant à venir : Olivier Sichel bénéficie désormais bel et bien d’un véritable « golden parachute » que lui garantit la CDC. En effet, selon l’article 7 de son nouveau contrat, il est stipulé ceci :

Illustration 4Agrandir l’image : Illustration 4 Extrait du nouveau contrat de travail d’Olivier Sichel. En clair, en cas de rupture de son contrat de travail, Olivier Sichel pourra prétendre au cumul d’une indemnité prévue par la convention collective, plus une année de rémunération fixe et variable. Son contrat de droit privé lui ouvre de considérables droits nouveaux pour sa retraite et une très généreuse indemnité de départ, inexistante dans son précédent contrat. Qu’on en juge : « L’indemnité forfaitaire de rupture d’un montant représentant une année de sa rémunération globale brute annuelle (fixe + variable cible) en vigueur à cette date » représente 448 000 euros.

S’agissant des indemnités légales et/ou conventionnelles de licenciement en vigueur, dans les commentaires qu’il nous a adressés, Olivier Sichel se projette en 2028 pour son départ éventuel, du fait de la fin du mandat du directeur général. En fait, le mandat de ce dernier s’achève en mai 2026 puisqu’il sera alors atteint par la limite d’âge de 68 ans, mais retenons l’échéance de 2028. La convention collective prévoit que l’indemnité soit calculée sur le salaire annuel brut de base à raison de 1/24e par année d’ancienneté.

En 2028, Olivier Sichel aura acquis onze années d’ancienneté puisqu’il a bénéficié contractuellement d’une reprise de l’ancienneté – six années – qu’il a acquise lorsqu’il était fonctionnaire de 2018 à 2023 , soit 11/24e de 373 000 euros, donc 171 000 euros. Au total, Olivier Sichel pourra donc prétendre, s’il est mis fin à ses fonctions, à 619 000 euros au lieu de… rien du tout s’il était resté fonctionnaire.

Cerise sur le gâteau, ces indemnités de rupture de contrat de travail bénéficient d’un régime fiscal de faveur. Elles sont en effet exonérées d’impôt sur le revenu à hauteur de 278 208 euros en 2024, c’est-à-dire l’équivalent d’une somme d’environ 506 000 euros brut, qui serait entièrement soumise à l’impôt sur le revenu. Tout compte fait, Olivier Sichel est donc susceptible de percevoir à son départ l’équivalent de 901 000 euros brut en totalité soumis à l’impôt sur le revenu !

Au total, il est probable que le coût du changement de contrat d’Olivier Sichel approchera le moment venu le million d’euros. Comment un tel passe-droit a-t-il pu être accordé à l’intéressé puisqu’il n’est assorti d’aucune contrepartie positive pour la CDC ?

Pour justifier ces avantages, l’intéressé avance cet argument : « Une indemnité forfaitaire pour rupture de contrat est prévue, correspondant à 12 mois de salaire pour pallier l’insécurité professionnelle inhérente à l’exercice des fonctions de directeur général délégué et prendre en compte les responsabilités de mon poste. En effet mes fonctions de directeur général délégué auprès d’Éric Lombard, directeur général du groupe Caisse des dépôts, comprennent une délégation de pouvoir pour l’assister dans ses fonctions de direction. Cette délégation de pouvoir, unique au sein de l’établissement, a pour effet de me transférer l’intégralité de la responsabilité qui y est attachée. D’autre part, elles impliquent une forte dépendance vis-à-vis de la propre situation professionnelle du directeur général. »

L’argument peine pourtant à emporter la conviction. Depuis qu’il est directeur général délégué en 2020, Olivier Sichel a travaillé sous le statut de fonctionnaire sans donc bénéficier d’une quelconque indemnité de départ et, pourtant, il était exposé aux mêmes risques de dépendance à la situation d’Éric Lombard que ceux qu’il décrit, notamment lors du renouvellement du mandat de ce dernier fin 2022 (particulièrement laborieux en raison du peu d’empressement du président de la République à le reconduire). Olivier Sichel pouvait donc parfaitement continuer d’exercer ses fonctions sous le statut de fonctionnaire.

Une conseillère d’État à la rescousse En outre, la CDC a toujours eu des numéros deux, généralement hauts fonctionnaires, dont le sort était aussi lié à celui du directeur général en place. Ceux-ci étaient tout aussi susceptibles d’être remerciés. Pour autant, ils ont accepté cette fonction sans bénéficier de la moindre indemnité de rupture. Après avoir été placé pendant six ans dans la même situation, Olivier Sichel a considéré, avec le concours d’Éric Lombard et de la directrice des ressources humaines et à ce titre signataire de son nouveau contrat, la conseillère d’État Aurélie Robineau-Israël, qu’il méritait plus d’égards financiers que son directeur général lui-même, lequel n’a droit à aucune indemnité.

Olivier Sichel a ainsi incontestablement fait une bonne affaire et bénéficié d’un incroyable effet d’aubaine, puisqu’il serait de toute façon resté dans ses fonctions. En revanche, tel n’est pas le cas pour la Caisse des dépôts. En cas de rupture du contrat de travail, celle-ci n’aurait eu à payer aucune indemnité de départ et charges sociales associées.

En application du nouveau contrat de droit privé d’Olivier Sichel, la CDC devra payer les 619 000 euros d’indemnité de départ, plus les charges sociales y afférentes, car à ce niveau, une indemnité de départ est soumise à 100 % aux cotisations sociales, sans parler du supplément de cotisation retraite au fil des années sur une base de cotisation de 371 000 euros au lieu de 80 000 euros.

Au total, il est probable que le coût du changement de contrat d’Olivier Sichel approchera le moment venu le million d’euros. Comment un tel passe-droit a-t-il pu être accordé à l’intéressé puisqu’il n’est assorti d’aucune contrepartie positive pour la CDC ? Au contraire, pour le même service rendu, l’institution va supporter une très lourde charge au profit d’un seul de ses agents pour le traiter, sans raison, mieux que son directeur général et que d’autres cadres dirigeants de la CDC qui, eux, demeurent fonctionnaires.

La question concerne au premier chef Éric Lombard, patron de la CDC, qui a autorisé ce dispositif pour une raison inexpliquée. Mediapart a souhaité l’interroger mais il n’a pas répondu à nos questions. La question concerne tout autant la commission de surveillance de la CDC, où siège un représentant de la direction du Trésor, notamment au sein de son comité des nominations et des rémunérations. Elle concerne enfin l’Élysée, qui se mêle continûment de la vie interne de la CDC mais qui, cette fois, a laissé faire et même entériné le changement de statut d’Olivier Sichel.

L’indignation de la CGT L’affaire risque par conséquent de faire beaucoup de vagues. D’abord, c’est le genre d’affaire qui retient ordinairement l’attention de la Cour des comptes. Les syndicats de la CDC vont aussi dire à coup sûr leur indignation. Interrogé, Jean-Philippe Gasparotto, secrétaire général de la CGT du groupe Caisse des dépôts, donne le ton : « Les nouveaux éléments révélés par Mediapart lèvent tout doute : l’unique motivation de ce mouvement est bien personnelle et vénale… une telle clause aurait été impossible si Olivier Sichel était resté dans un cadre d’emploi statutaire public. »

Le syndicaliste parle d’« une pure injustice sociale », « si l’on considère que, dans le même temps, la CDC, pour des raisons d’économie budgétaire, a mis fin à l’emploi de dizaines de contractuels de droit public ou de fonctionnaires détachés, et que dans les filiales opérationnelles comme CDC Habitat, l’emploi précaire sous toutes ses formes s’est considérablement développé et sert de variable d’ajustement structurelle ».

Enfin, explique le responsable syndical, « cette opération, contraire aux valeurs du service public, vient fragiliser le statut d’établissement public spécial et de groupe public d’intérêt général de la CDC. Pour la première fois de sa longue histoire, la CDC est majoritairement pilotée par une direction de statut privé non soumise aux statuts de la fonction publique. Souhaitons que la future présidence de la Commission de surveillance, qui normalement devrait échoir à un ou une députée du Nouveau Front populaire, corrige cette inquiétante dérive ».

L’affaire risque de faire des vagues bien au-delà de la CDC. Car ce tour de bonneteau a des chances d’être copié en d’autres établissements par d’autres hauts fonctionnaires. C’est cela l’autre danger de l’affaire Sichel : si la puissance publique ne s’en mêle pas, elle risque de faire école. Et la privatisation de la haute fonction publique de s’accélérer.

Laurent Mauduit


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