Dans l’Ain, une violente agression raciste aux cris de « sale bougnoule » devant le tribunal

mercredi 10 juillet 2024.
 

Ce lundi, deux hommes étaient jugés en comparution immédiate à Bourg-en-Bresse pour une violente agression raciste survenue la semaine dernière dans le pays de Gex. Compte-rendu d’audience.

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BourgBourg-en-Bresse (Ain). La vidéo, qui défile à l’audience, est glaçante. On y voit deux individus tabasser un homme à terre devant l’entrée d’un immeuble. Les images, qui ne durent que quelques secondes, sont presque insoutenables. Le bruit l’est encore davantage. À chaque coup porté, la tête de la victime heurte la vitre de la porte, avec fracas. Jusqu’à ce que l’auteure de la vidéo, une voisine, fasse fuir les agresseurs et crie, apeurée : « C’est filmé bande de racelards, rentrez chez vous ! ».

Cette scène, d’une extrême violence, s’est déroulée la semaine dernière, à quelques jours du premier tour des législatives. Les auteurs de l’agression, Maxime B., 25 ans, et Adrien V., 23 ans, sont sans antécédents judiciaires. Travaillant dans les travaux publics et la mécanique, ils disposent d’un emploi et d’une situation stable. Ils étaient jugés en comparution immédiate, ce lundi 1er juillet, au tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse, pour violences volontaires sur la personne de Mourad B., 37 ans, avec trois circonstances aggravantes : en réunion, en état d’ébriété et du fait de l’appartenance supposée ou réelle à la race ou à la religion, comme l’a révélé Le Parisien.

Illustration 1Agrandir l’image : Illustration 1 Captures d’écran de la vidéo de l’agression de Mourad à Cessy. © Photomontage Mediapart À l’audience, le président du tribunal rappelle la brutalité des faits. Nous sommes le soir du 26 juin à Cessy (Ain), au cœur du pays de Gex et à quelques kilomètres de la frontière suisse. Les deux hommes sortent d’un restaurant italien. Déjà, selon les propos du patron du lieu rapportés par le président du tribunal, ils auraient proféré pendant le repas des « blagues » à caractère raciste à une serveuse d’origine asiatique.

En état d’ébriété sur la voie publique, Maxime B. et Adrien V. crient et interpellent le voisinage. Depuis le balcon de son appartement, Mourad B. leur demande alors de baisser le son. Le ton monte. Des insultes fusent, certaines caractère raciste. « On est en France », « descend sale bougnoule », lâche Adrien V., selon plusieurs témoins. Mourad B. s’exécute, et prend un couteau de cuisine pour se défendre. « La lame contre le bras », en position défensive, explique-t-il auprès de Mediapart, en marge de l’audience.

La suite est une avalanche de coups portés par saccades contre Mourad B., et filmée par une voisine. La vidéo ne montre aucun geste menaçant de la victime, qui perd connaissance. Il se retrouvera, le lendemain avec dix jours d’interruption de travail, un nez fracturé et de multiples hématomes au visage et sur le corps.

« Ça, plus la fatigue et l’alcool… » Quelques minutes après le début de l’audience, l’avocat de Mourad B., Me Ilyacine Maallaoui, demande à requalifier les faits en tentative d’homicide. « Le désistement n’est pas volontaire », plaide le juriste, estimant que la victime devait son salut aux cris de sa voisine. La demande est rejetée par le président.

Quand vient leur tour de parole, les deux jeunes accusés s’excusent platement, invoquent l’état d’ébriété comme excuse pour leurs actes, mais aussi la présence du couteau. « J’ai eu peur parce que je m’y connais en couteau », explique Maxime B., depuis le box des accusés. « Ça, plus la fatigue et l’alcool… »

La victime ayant perdu connaissance dès le premier coup porté, Me Maallaoui balaye l’argument de la peur. « Vous êtes tous les deux à le massacrer et le couteau est menaçant ? » Et l’avocat de montrer au président, depuis son téléphone, une deuxième vidéo de la scène. On y entend Adrien V. proférer : « Nique sa mère les bougnoules ». « Je ne pense pas un mot de ce que j’ai dit. L’alcool m’a fait dire toutes ces bêtises », se défend le jeune homme, penaud.

Quelques minutes plus tard, son propre avocat le relance, tentant de démonter le caractère raciste de l’agression.

« – Si M. B. était d’origine européenne, vous vous serez comporté de la même manière ?

– C’est difficile à dire, hésite Adrien V.

Le président, n’étant pas sûr d’avoir bien entendu la réponse, lui repose la question clairement.

– Je ne pense pas », avoue finalement le jeune homme.

Le jeune homme reviendra sur ces propos à la fin de l’audience, arguant n’avoir pas compris la question.

Lors de sa plaidoirie, Me Maallaoui revient sur cet aveu. « M. V. dit que si mon client n’avait pas la même tête, il ne l’aurait pas fait. C’est totalement inédit que quelqu’un le reconnaisse devant un tribunal correctionnel », lâche l’avocat.

Pendant l’audience et même s’il ne sera jamais évoqué, le contexte politique et la banalisation des paroles et des actes racistes en France plane comme une ombre. Lors du premier tour des législatives, le RN a recueilli 32 % des voix dans la troisième circonscription de l’Ain, où se situe Cessy.

Sans minimiser l’extrême violence des coups portés, l’avocat de la défense relativise quant à lui le caractère raciste de l’agression, et parle de jeunes sous l’emprise de l’alcool qui ont simplement « dérapé ». Un argument que le ministère public n’entend pas. « Les faits sont extrêmement graves », dénonce l’assistante du procureur dans un réquisitoire sévère, d’autant qu’« ils ont été commis dans un contexte raciste parfaitement établi ».

Après une interruption de séance, le juge suit finalement les réquisitions du procureur dans son délibéré : quatre ans de prison, dont un an avec sursis pour les deux prévenus, assorti de cinq ans d’inéligibilité.

Mathieu Martinière (WeReport)


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