Droite « républicaine » et extrême droite : les masques tombent

dimanche 23 juin 2024.
 

L’un des mérites de la dissolution est au moins de faire tomber les masques. Face au danger RN de nombreux ministres macronistes ou élus Les républicains appellent d’emblée à ne jamais voter Front Populaire. C’est l’aboutissement d’un processus profond démarré sous Sarkozy. Cela doit tout à la modification structurelle du Capital et aux insuffisances du libéralisme. Vieille histoire.

par Elodie Tuaillon_Hibon Avocate au Barreau de Paris

Plusieurs ministres d’Emmanuel Macron ou élus Les Républicains annoncent déjà qu’entre un candidat Rassemblement National et un candidat Front Populaire, ils s’abstiendront ou voteront franchement pour le Rassemblement National, l’arrivée d’une gauche (même tiède) étant pour eux une situation absolument insupportable et inenvisageable.

Pour nous, ce n’est évidemment pas une surprise tant il est impossible d’oublier, lorsque l’on vient intellectuellement du marxisme, comment fonctionne la représentation politique du Capital dans le bloc bourgeois, et comment elle agit en période de crise économique.

Car crise économique il y a, bien-sûr. Le libéralisme est évidemment une faillite, la surproduction, l’absence de débouchés, le coût de la finance et la menace qui plane sans discontinuer d’éclatement de différentes "bulles". C’est pour cela que la guerre gagne du terrain partout. C’est pour cela que les gens se révoltent ou se résignent. C’est pour cela que les classes moyennes notamment dites "entrepreunariales" paniquent devant un possible déclassement professionnel.

Il est donc assez difficile d’entendre à longueur de journée une partie de notre camp dérouler des "analyses politiques" qui restent essentiellement à la surface des choses, à l’écume du brouhaha (telle écurie veut garder son siège social, telle personnalité veut aller à tel endroit ou faire ceci avec cela). Ces "anecdotes" ne sont pas totalement inintéressantes sauf si l’on s’en tient là. Comme les ombres dans la caverne de Platon, elles signifient évidemment autre chose.

Ainsi on ne peut en rester au motif que "Sarkozy n’est pas Ciotti qui n’est pas Bardella" ! La logique du "front républicain" est caduque, au moins depuis que le RN a fait rentrer pas loin de 100 député·es à la dernière législature. Mais c’est tout autre chose qu’il se passe en réalité.

Rien ne se passe dans ce pays, qui est un pays historiquement "de droite", sans que le Capital soit à un moment à la manœuvre. Le bloc bourgeois qui assure la représentation politique du Capital est en ébullition en raison des crises qui menacent directement le taux de profit et l’expansion des uns (forcément au détriment des autres). C’est en réalité toujours la même histoire.

Pour sauver le capitalisme, il faut la guerre, le chaos, il faut un parti "de l’ordre", un parti négrier qui assure la mise en coupe réglée des étrangers comme main d’œuvre et comme "ennemi intérieur". Tous les partis de droite et d’extrême droite y compris macroniste, en sont là. Celleux qui pensent encore qu’il y a des différences suffisamment sensibles entre LR , le premier cercle macroniste et Le Pen n’ont pas compris ce qui se jouait sur le plan économique et politique.

Tous, de Macron à l’extrême-droite, sont d’accord sur l’essentiel : le libéralisme économique et l’autoritarisme politique. C’est la coloration majeure qui fait que le bloc bourgeois est un bloc. Là où ça varie, c’est sur les forces à proposer au Capital. Et là, le RN a mis une vraie pile à ses adversaires (on ne reviendra pas sur les différents moyens employés depuis 15 ans pour parvenir à cela, cela pourrait faire l’objet d’un article en soi). Entendons nous bien. Ce n’est pas une défaite idéologique. L’idéologie, c’est pour "amuser la galerie" - même si elle a des conséquences dramatiques dans la vie de nombre d’entre nous, parce que racisés, parce que juif.ves (même s’ils ont oublié à quel point l’extrême-droite française est antisémite), musulmans (même "d’apparence"), parce que gays, trans ou lesbiennes, parce que féministes, parce que "gauchistes"... C’est une défaite quasi-militaire. Le RN a aspiré les voix, les militants, les moyens... de la droite classique et d’une partie des partis de gauche, mais également de la population qui s’intéresse encore au fait politique, ce qui lui permet de proposer au Capital la "meilleure offre" possible au sein du bloc bourgeois. Quand tu veux faire la guerre au peuple, la guerre au camp du travail (ce qui est LE projet réel du Capital, et ce n’est pas par pure idéologie que Bolloré & co livrent cette bataille), il te faut DES TROUPES.

C’est ça que le RN offre au Capital. Son bras armé. A l’Assemblée, mais surtout dans la population. Pour défendre les méga bassines, pour défendre la casse du droit du travail et du droit social, pour défendre les Grands projets, pour défendre la privatisation des quelques services publics qui subsistent. Le Capital a compris que même avec une police shootée aux hormones et un Darmanin, le camp macroniste ne faisait plus l’affaire pour "passer la seconde", il y a trop de mollesse, pas assez de discipline, pas assez de violence encore dans cette fraction du bloc bourgeois pour remplir les objectifs à venir (licencier, supprimer le chômage, exterminer le droit du travail...)

Il a compris aussi que ceux qui désormais tenaient les rênes de la mystification populaire (avec CNews, avec Tiktok...) c’étaient dans le Rassemblement National : un long passé dans une forme "d’underground", une communication longtemps faite d"outrances et de prises de risque pour passer le "barrage républicain", la fréquentation assidue d’hommes de médias, de polémistes et de chansonniers YouTubeurs leur a donné l’avantage. Ils n’ont rien changé, ils ont juste un peu polissé et sont à l’aise "comme des poissons dans l’eau" devant les caméras. La "bourgeoisie traditionnelle" qui demeure chez Les Républicains pour des raisons de myopie (et de "boutique" - un parti, c’est du pognon, et même un os à ronger peut exciter la meute) est trop résiduelle pour faire encore l’affaire.

Or, il faut faire adhérer une partie significative du "peuple" à sa propre servitude, à sa propre déconfiture. C’est important que le faux devienne un moment du vrai. C’est pourquoi les analyses politiques qui ne prennent pas en compte ce moment du Capital sont non seulement fausses mais dangereuses pour notre camp, et pour notre avenir. C’est pourquoi il ne va pas suffire de "gagner les élections" ou d’avoir une "minorité suffisante" pour gérer l’ingérable. Il faut des positionnements clairs à l’égard du Capital, il faut de la lucidité et de la hauteur.

C’est pour cela aussi qu’un de nos devoirs majeurs, c’est faire la clarté sur ce qu’il se passe réellement. Ce n’est pas seulement un problème de boutiques politiques. C’est bien plus grave que cela.

Parce qu’à un moment, avec l’extrême droite, ces derniers jours nous l’ont montré (entre "ratonnades" à Lyon et "cassage de pédé" à Paris - je reprends leurs termes) on revient toujours très très vite aux fondamentaux : la force et la violence, et pas seulement symboliques. Et à tous les étages de la société. Il faut imaginer qu’on n’ose plus s’opposer parce qu’on a peur de se faire péter les dents. Et pas seulement dans le fin fond d’un village de la Marne, mais aussi à l’Assemblée Nationale.

Emilio Lussu le raconte à la perfection dans "La marche sur Rome", son histoire de l’arrivée au pouvoir du fascisme en Italie. Il a suffi de pas grand chose, une poignée de squadristes, quelques "gros bras" députés, organisés, qui sortaient des flingues, qui tapaient, qui maniaient le bâton, qui n’attendaient plus que l’affrontement physique, "comme au bon vieux temps", pour faire plier les bourgeois, les "petits marquis" qui ont perdu depuis longtemps le sens de l’affrontement physique.

Ce n’est pas la peine d’être nombreux dans une telle disposition. Il faut, mais il suffit, d’être organisés et aguerris, de savoir manier la violence, verbale et physique, de ne pas hésiter à pratiquer l’intimidation au moins, pour faire céder une majorité molle qui n’aura pas le courage physique de la confrontation des corps.

C’est de cela que le Capital va avoir besoin dans les mois à venir, quand nous nous révolterons parce que notre situation financière, économique, matérielle sera devenue très mauvaise et qu’on ne verra plus le "bout du tunnel".

Le Rassemblement National surgit ainsi fort opportunément, après avoir été biberonné des années par les autres forces du bloc bourgeois qui s’en servirent comme épouvantail, cette fois pour servir directement le maître, et non plus ses valets. La créature a échappé à ceux qui pensaient bêtement la contrôler, qui croyaient à leur bonne étoile de nantis (tout comme l’aristocratie française pensait largement échapper à la guillotine - quand on a trop de privilèges depuis trop longtemps, on ne peut imaginer que sa propre fin sera si rapide et si facile) et va les faire marcher au pas.

Évidemment, j’espère avoir tort de bout en bout. En tout cas, nous ne sommes pas au bout de nos efforts ni de nos surprises, cela ne fait que commencer hélas.


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