Le délit d’apologie de terrorisme, un nouvel outil de la police de la pensée

samedi 18 mai 2024.
 

Avec de nombreux hoquets et chaos, depuis la Déclaration des Droits Humains en 1789, la dimension sacrée de la liberté d’expression n’a cessé de se renforcer. Liberté sacralisée, et certes querellée, contestée, étouffée, mais toujours renaissante. Chaque citoyen a pu faire l’expérience, cette liberté-là est bien la mère de toutes les autres. Sans elle la liberté d’opinion ne peut exister.

En dépit des sicaires de notre histoire, les traces des chemins de la liberté n’ont jamais été effacées, et ils font que, partout dans le monde en dépit des totalitarismes et mêmes des barbaries, avec Eluard nos pouvons toujours écrire son nom. Ce parcours du combattant nous l’avons fait avec hargne, et parfois courage, mais les Droits de l’Homme apparaissaient, naguère, comme une lente victoire. Irréversible.

Après les attentats de Charlie-Hebdo en janvier 2015, cette sacralité de la liberté d’expression a été portée à son acmé et on la croyait éternelle, une nouvelle affirmation du « plus jamais ça ». C’était, croyions-nous, l’avènement d’un temps nouveau.

Les juges français, en écho avec la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, ont consolidé de façon remarquable ce statut de notre liberté.

Certes, elle les oblige à trancher certains dilemmes avec un art d’équilibriste. Mais, aujourd’hui les tribunaux français relaxent les citoyens poursuivis en diffamation, dès que leurs propos s’inscrivent dans le cadre d’une polémique publique ou quand ils sont portés par une intense émotion. C’est cela la liberté.

Ainsi, la liberté d’expression si elle n’est pas empreinte de menaces, de racisme ou d’injures peut, sous le contrôle du juge, s’exercer au détriment de la sensibilité de certaines communautés.

Dommage, cet immense progrès a créé une brèche qui profite aux pires instincts d’êtres pervers, c’est l’extrême droite la plus vulgaire démagogique et menteuse qui, en miroir inversé, profite de ce nouveau droit. L’extrême droite est hégémonique dans ce qui n’est pas une parole libre mais dans un mensonge propagandiste et populiste à flot continue. Ainsi l’imprévu arrive : les pensées les plus réactionnaires se propagent dans notre espace médiatique, et notamment télévisuel, où l’appel à l’expulsion des damnés et l’extermination de peuples sont devenus une revendication.

Le contre « contre-terrorisme », vrai ou supposé, est l’autre boutoir qui a gravement écorné notre liberté, pourtant acquise. Au nom de l’État, et non en celui du peuple, la juridiction d’exception a donné des coups de hache dans la philosophie de 1789. Sous la pression de « l’anti terrorisme », qui rêve trop d’un droit d’exception, on a laissé nos élus tronçonner certains principes fondamentaux. Le principe de précaution appliqué aux personnes est passé par là de sorte que trop souvent le moindre signal faible de participation à un acte terroriste convertit la présomption d’innocence en présomption de culpabilité.

Il faut maintenant bien mesurer là où nous sommes arrivés. Reconnaitre que des lois de circonstance, dictées par une émotion scientifiquement entretenue par la classe dirigeante cyniquement - dont l’obsession de « l’ordre » est le carburant et le moyen d’écarter les gueux de la société et de bâillonner les voix dissidentes. Ainsi de nombreuses lois liberticides, présentées comme la seule alternative, ont été inscrites sans tapage dans notre Code.

En 2002 des individus sans état d’âme - puisqu’elle est chez eux absente - ont poursuivi Edgar Morin immense intellectuel et grand résistant, pour diffamation raciale envers les juifs. La Cour de cassation l’a définitivement relaxé en 2006.

En 2014 les juristes de tous bords ont dénoncé les risques résultant de « l’extraction » de la loi du 29 juillet 1881 (la grande loi cadre sur la liberté de la presse) du délit de « provocation terroriste » vers le Code pénal où maintenant il est intégré. Et fonctionne a plein régime contre ceux qui soutiennent la paix et appellent à la fin du sort, si atroce et juridiquement injuste, fait aux palestiniens.

En quittant la loi de 1881, les personnes mises en cause pour ce délit ont perdu les garanties procédurales qui y étaient attachées. Elles sont nues face à une accusation qui peut prendre une forme d’inquisition. Dans le Code pénal cette extension sans fin du délit de « provocation au terrorisme » introduit maintenant une monstruosité, la criminalisation de la pensée. Et la liberté recule les aiguilles de sa pendule. Elle est donc source de très grands périls. Demain des responsables politiques, moins soucieux encore que ceux d’aujourd’hui des libertés publiques, pourront s’appuyer sur cette jurisprudence pour faire taire toute critique.et transformer toute opposition en monde du silence.

Circonstance opportune, avec la monstruosité des évènements en Palestine le pouvoir a pu tester sa nouvelle loi grandeur nature, près de quatre cents citoyens ont été convoqués ou conduit au poste, ou chez le juge, pour ne pas avoir usé des mots autorisés pour parler du sort des palestiniens et une cinquantaine doivent être poursuivis. Et tout citoyen qui émet une opinion différente est condamné. Contextualiser le massacre du 7 octobre à l’aune du déni des droits du peuple palestinien conduit à présenter de façon favorable le Hamas et les crimes qu’il a commis. Ne pas être d’accord, ou informé différemment vous mérite une peine au nom de l’apologie du terrorisme.

Il faut se souvenir des militants du PKK (branche armée des partis d’opposition en Turquie), organisation classée comme terroriste depuis des années, n’ont jamais été poursuivis pour apologie de terrorisme alors qu’ils soutenaient et continuent de le faire, lors de manifestations publiques en France, sans réserve et sans retenue, les actions du PKK. Un mouvement qui, on l’oublie, a par le passé revendiqué des attentats contre des cibles non militaires en Turquie. Les intellectuels en Turquie qui soutiennent la cause kurde y ont été, eux, poursuivis et condamnés pour apologie de terrorisme.

Cette extension du domaine de la répression de la parole est évidemment infiniment contestable dès lors qu’il n’y a aucune unanimité internationale venant définir un terrorisme qui, le plus souvent, est l’arme de l’oppressé. Des dirigeants du FLN à Nelson Mandela, je ne vais pas égrainer ceux qui, dans l’histoire, ont été un jour qualifiés de « terroristes ». Toute l’histoire enseigne que le terrorisme a fait et continuera longtemps de faire l’objet de toutes les instrumentalisations, y compris par les états.

La BBC et l’AFP, et bien d’autres médias, quand elles évoquent les attentats du 7 octobre, ont considéré qu’elles n’avaient aucune obligation, ni morale, ni juridique, quand elles évoquaient les attentats du 7 octobre, de les qualifier « d’acte de terrorisme. ». Leur choix, qu’elles considèrent comme un choix éthique, a été dicté précisément par le fait qu’il n’y a pas d’unanimité sur la notion de « terrorisme ». Pour revenir au droit rappelons qu’Israël colonise la Palestine et que l’ONU et le droit international reconnaissent aux palestiniens le droit à la résistance pour retrouver leur terre.

Bien sûr le droit à la résistance ne peut justifier aucun massacre mais, qu’on le veuille ou non, les pires horreurs comme celles commises le 7 octobre 2023 n’effacent pas la légitimité de la cause des palestiniens.

Des historiens les plus affutés, les plus respectés, n’ont cessé de continuer à dire (parfois avec plus de timidité aujourd’hui) qu’évidemment les attentats du 7 octobre ne sont pas venus de nulle part et s’inscrivent dans un contexte de déni, de mépris systémique, du droit du peuple palestinien depuis soixante quinze ans. Après les militants qui ont été condamnés ou qui sont poursuivis pour apologie du terrorisme, jusqu’où les procédures vont-elles s’étendre ?

Heureusement pour lui, Antonio Guterres Secrétaire Général de l’ONU bénéficie d’une immunité car les propos qu’il tient sur Gaza sont assez proches de ceux qui ont été tenus par Jean-Paul Delescaut Secrétaire Général de la CGT du Nord, condamné récemment par le Tribunal correctionnel de Lille à une peine de prison avec sursis. Son crime ? Avoir diffusé un tract (depuis retiré) intitulé « La fin de l’occupation est la condition de la paix en Palestine ».

Ce tract visait à apporter « son soutien au peuple palestinien en lutte contre l’état colonial d’Israël » puis affirmait ceci « les horreurs de l’occupation illégale se sont accumulées. Depuis samedi (jour de l’attaque du Hamas le 7 octobre) elles reçoivent des réponses qu’elles ont provoquées ».

Il est ainsi fait injonction aux juges au risque de disqualifier leur fonction, de demander aux prévenus (comme s’ils étaient des hérétiques de l’Inquisition), d’abjurer et de reconnaître. Toute honte bue ces déviants de la pensée à une voie, devront mettre un genou à terre et proclamer que les attentats du 7 octobre sont bien un acte terroriste. Et qu’il était exagéré, par exemple, de considérer que c’est la politique coloniale d’Israël qui explique les violences commises par les palestiniens et notamment par le Hamas. La pensée s’est faite loi et la guillotine des mots interdits est bien graissée. Voilà où nous en sommes.

Les juges vont-ils amorcer une résistance, meurtris par la sale besogne que l’on exige d’eux ? L’indignation aurait un sens et soutiendrait l’honneur de la Justice si ces magistrats outragés par l’injonction qui leur est faite d’être les relais judiciaires d’une pensée hégémonique réaffirment leur souveraineté.

w.bourdon

Avocat au barreau de Paris


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