Nétanyahou décide d’attaquer Rafah. STOP !

mercredi 15 mai 2024.
 

L’armée israélienne annonce mardi matin avoir pris le contrôle du point de passage avec l’Égypte. Après l’inquiétude face à l’imminence d’une possible offensive terrestre, cette dernière a été déclenchée dans la nuit de lundi à mardi. Le Hamas, de son côté, a pourtant annoncé qu’il acceptait un accord sur l’échange de prisonniers et une trêve.

Rafah aujourd’hui est un cas d’école de double réalité. D’un côté, les éléments de langage de l’armée israélienne parlent d’« évacuation », de « zone humanitaire », de « déplacement progressif », et annonce que « les appels à se rendre temporairement dans la zone humanitaire seront diffusés par flyers, SMS, appels téléphoniques et émissions de langue arabe ». Bref, à en croire les communiqués, c’est quasiment un exercice, bien organisé et bien ordonné. Il suffit de suivre les conseils et tout ira bien.

De l’autre, les images ont un terrifiant air de déjà-vu : sous une pluie battante, quelques effets entassés sur des carrioles, sur le toit de voitures, sur des dromadaires même, et des enfants, des femmes, des hommes. Ils n’évacuent pas. Ils fuient. Ils sont déplacés de force. Les témoignages recueillis directement par téléphone ou indirectement via les réseaux sociaux parlent de « panique », de « peur », avec une question récurrente : « Partir, mais partir vers où ? »

La réponse, là aussi, relève de la double réalité.

Sur la carte diffusée par l’armée israélienne, toujours la même, avec l’enclave palestinienne divisée en blocs numérotés, l’extrémité sud-est de la bande de Gaza est coloriée en rouge. C’est celle qui doit être « évacuée ». Une flèche part de cette région vers celle de Khan Younès, en jaune, désignée comme étant la « zone humanitaire étendue ».

Des images, en provenance de cette même zone, montrent des carcasses d’immeubles détruits surnageant sur une mer de gravats. Ailleurs, dans la région d’Al-Mawassi, elle aussi désignée comme « zone humanitaire » par l’armée israélienne, chaque mètre carré de sable est occupé par des abris de fortune. Khan Younès a été ravagée par des semaines de bombardements, d’offensive terrestre et de combats, de décembre à avril, avant que les troupes israéliennes n’annoncent leur retrait le 6 avril.

Mardi 7 mai au matin, l’armée a indiqué avoir pris le contrôle du point de passage avec l’Égypte, à Rafah, affirmant que ce point de passage servait à des « activités terroristes ». La veille au soir, le cabinet de guerre israélien avait assuré que l’opération militaire au sol, dont le déplacement forcé est le prélude, serait limitée et que l’expulsion ne concerne « que » 100 000 personnes.

Aucun lieu n’est sûr

À Rafah, personne n’y croit. La ville comptait 275 000 habitant·es avant la guerre lancée par Israël après les massacres du 7 octobre 2023 commis par le Hamas et d’autres groupes armés palestiniens. Elle abrite aujourd’hui 1,4 million de personnes, soit plus de la moitié des habitant·es de la bande de Gaza. Autant dire que l’immense majorité a déjà été déplacée de multiples fois au gré des « évacuations » vers les « zones humanitaires » exigées par l’armée israélienne.

Ahmad, 43 ans, fonctionnaire du ministère de l’économie, a reçu l’ordre de l’armée par SMS, même s’il n’habite pas la zone concernée. « Ils envoient les messages à tout le monde, raconte-t-il par téléphone depuis Rafah. Évidemment, nous sommes tous terrorisés, nous nous sentons tous visés. » Sa femme et leurs cinq enfants vont partir avec son beau-père et d’autres proches, une fois les « objets de base » regroupés, papiers d’identité, médicaments, quelques habits pour les enfants. Ils ne savent pas très bien vers où.

« J’ai vu les camps où les gens vivent sous les tentes, c’est une vie d’humiliation et de misère », reprend-il. Lui ne quittera pas sa maison : « J’y ai mis toutes mes économies, j’ai même encore des crédits. C’est ma vie, je ne partirai pas. » Elle est déjà fissurée, pourtant, à cause du souffle des bombes tombées à proximité.

« Tous ceux qui ne veulent pas abandonner leur maison, je leur dis de partir quand même, rebondit Youssef, un de ses voisins de malheur, qui a fini par fuir Gaza City. J’étais comme eux, je pensais que personne ne me ferait quitter mon chez moi. Et puis il a fallu me rendre à l’évidence, c’était ça ou la mort. » Les quelques effets de la famille de Youssef sont déjà empaquetés : « Je prépare mes enfants à cette perspective depuis plusieurs jours », soupire-t-il.

Andalib est réfugiée de la ville de Gaza au Caire. Mais une grande partie vit à Rafah, et se prépare aussi à partir : « Il y a 200 personnes dans la maison de mon frère à Rafah, ses proches, ceux de mes autres frères et sœurs, et des déplacés du nord de la bande de Gaza, raconte-t-elle. Nous avons un terrain de 200 m2 à l’ouest de Rafah, à Al-Mawassi. Mais ce n’est que du sable. Et je ne sais pas comment tout ce monde va pouvoir s’entasser là-bas sous des tentes. »

De plus en plus de bombardements

La décision de l’offensive terrestre n’est pas une surprise. Elle a même été annoncée largement ces dernières semaines par des déclarations du gouvernement israélien et par un accroissement des bombardements sur Rafah, alors même que la ville était encore considérée comme « épargnée ». Le 20 avril, par exemple, Al Jazeera rapporte les funérailles de dix personnes, dont six enfants, tuées dans le bombardement d’une maison « pleine de réfugiés » et un des correspondants de la chaîne qatarie sur place, Tareq Abou Azzoum, constate une augmentation des tirs israéliens, prélude, selon lui, à une opération militaire plus large. Rien que la nuit dernière, onze maisons ont été frappées, tuant 21 personnes et en laissant un nombre indéterminé sous les décombres.

Le cabinet de guerre israélien veut « achever le travail » et détruire les « bataillons du Hamas » restants, explique-t-on à Tel-Aviv. Mais pour nombre d’analystes israélien·nes, cette offensive contre la dernière ville non détruite de la bande de Gaza s’explique aussi par la volonté du premier ministre, Benyamin Nétanyahou, de saborder tout accord avec le Hamas sur un échange de prisonniers et une trêve, qui risquerait à la fois de faire tomber son gouvernement et de permettre le lancement d’investigations sur ses responsabilités dans le fiasco sécuritaire du 7 octobre 2023.

Il y a des échanges de coups de feu à 100 mètres de nous. Nous ne savons pas si nous allons pouvoir sortir.

Nick Maynard, chirurgien britannique

À Rafah, on explique les tirs de roquette du dimanche 6 mai sur le point de passage de Kerem Shalom entre Israël et la bande de Gaza par l’intensification des bombardements, par la mort, dans certaines de ces frappes, de combattants du Jihad islamique et du Hamas, et enfin par la volonté de peser sur les négociations du Caire pour une trêve et un échange de prisonniers. « C’était une réponse à tout ça et à la préparation de l’opération terrestre », analyse un de nos interlocuteurs de Gaza.

Analyse partagée, semble-t-il, par l’état-major à Tel-Aviv, pas étonné d’une telle salve, affirme le quotidien israélien Haaretz. Les roquettes ont tué quatre soldats israéliens, chargés de garder du matériel militaire positionné pour l’offensive terrestre.

Fermeture du point de passage de Rafah vers l’Égypte

Les troupes au sol ne sont pas encore entrées dans Rafah, mais les effets se font déjà sentir. « Quand j’ai traversé Rafah, la tension était palpable et les gens évacuaient aussi vite qu’ils le pouvaient, a expliqué à Reuters Nick Maynard, un chirurgien britannique qui devait quitter Rafah aujourd’hui par le point de passage avec l’Égypte. Deux énormes bombes ont explosé juste à l’extérieur du terminal. Il y a des échanges de coups de feu à 100 mètres de nous. Nous ne savons pas si nous allons pouvoir sortir. »

Le point de passage de Rafah avec l’Égypte a été fermé quelques heures après ce témoignage. Celui de Kerem Shalom, avec Israël, l’avait été dès dimanche 5 mai. Les deux sont situés dans la zone « rouge » sur la carte de l’armée israélienne, celle qu’il faut « évacuer ». Les deux sont absolument vitaux pour l’enclave palestinienne.

C’est par là que passe presque toute l’assistance qui permet la survie de la population prise au piège depuis sept mois : la nourriture, le carburant, les médicaments, les tentes pour les abris de fortune, absolument tout. C’est par Rafah qu’entrent les personnels humanitaires et diplomatiques autorisés par Israël à pénétrer dans l’enclave et que sortent les blessé·es les plus graves et les Palestinien·nes qui ont les moyens de payer – très cher – leur ticket de sortie.

« Nous avons vu les prix de la nourriture s’envoler en moins d’une heure,témoigne depuis Rafah Ahmed, qui peine déjà à nourrir ses cinq enfants. Le kilo de sucre se vendait 12 shekels (3 euros), il est à 90 (22 euros). Le bidon de trois litres d’huile est passé de 22 à 60 shekels (5,50 à 15 euros). Nous avons peur que ce soit encore pire si les points de passage restent fermés. Mais on ne peut pas faire de réserves, personne n’a assez d’argent liquide pour ça. »

Le Hamas annonce un accord

Ahmed, comme tout le monde, regarde avec inquiétude du côté de l’hôpital Abou Youssef al-Najjah, le seul « vrai » de la zone. Il se trouve dans la zone désignée par l’armée israélienne. « Les autres sont de petits établissements, comme l’hôpital koweïtien, qui est en fait une maternité convertie en hôpital depuis la guerre, déplore Andalib. Les hôpitaux de campagne établis par les ONG internationales ne suffiront jamais à accueillir et à soigner les blessés. » L’UNRWA, l’agence de l’ONU chargée des réfugié·es palestinien·nes et principale pourvoyeuse d’assistance dans la bande de Gaza, a assuré qu’elle ne quitterait pas Rafah.

Personne, en fait, ne sait comment faire face. Et tout le monde essaie de retenir les ardeurs guerrières du gouvernement israélien. « Il n’y a aucun endroit sûr où aller pour les 600 000 enfants de Rafah », avertit l’Unicef, dont l’affolement est partagé par toutes les organisations actives dans la bande de Gaza.

Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne, a qualifié d’« inacceptable » l’ordre de déplacement forcé, assurant qu’il ne pouvait apporter que « plus de guerre et de famine », et demandé à ce qu’Israël renonce à l’offensive terrestre. Le président américain, Joe Biden, a eu une conversation téléphonique avec son allié israélien mais n’a obtenu qu’une promesse, celle de la réouverture du point de passage de Kerem Shalom.

Quant au Hamas, après avoir promis qu’une offensive contre Rafah ne serait pas un « pique-nique », il a cherché à marginaliser le premier ministre israélien en annonçant, par la voix de son représentant Ismaël Haniyeh, qu’il acceptait un accord sur l’échange de prisonniers et une trêve.

À peine l’annonce rendue publique, des milliers de Gazaoui·es sont sorti·es dans les rues de Rafah pour exprimer joie et soulagement. « Nous allons pouvoir rentrer chez nous, reprendre notre vie », se réjouissait Hoda, 21 ans, jointe à Rafah. Elle a quitté son domicile du quartier Salam, au sud-est de Rafah, lundi matin, après une nuit de « terribles bombardements ». La jeune femme, enceinte, restait néanmoins très prudente lundi dans la soirée : « Nous allons quand même attendre la signature de l’accord, que les Israéliens l’acceptent officiellement. Pour l’instant, c’est trop dangereux. »

La suite a donné raison à sa prudence. Tard dans la soirée de lundi, des témoignages ont fait état d’une avancée de chars et de troupes au sol dans le sud-est de la bande de Gaza et de violents bombardements, conformément à ce qu’avait annoncé le cabinet de guerre israélien un peu plus tôt : l’envoi d’une délégation de négociateurs au Caire, mais aussi la mise en œuvre du projet d’invasion terrestre de la partie orientale de Rafah.

Pendant ce temps, des milliers de manifestant·es israélien·nes enjoignaient à leur gouvernement d’accepter à son tour le « deal » négocié par l’Égypte et le Qatar, seule et dernière chance selon eux de sauver les otages israélien·nes retenu·es à Gaza.

Gwenaelle Lenoir

• Mediapart. 6 mai 2024 à 20h44 :

https://www.mediapart.fr/journal/in...


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