Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire : un entretien avec Gérard Noiriel

jeudi 15 novembre 2007.
 

Directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, Gérard Noiriel est président du Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire et auteur de nombreux ouvrages sur l’histoire de l’immigration.

> Quand a été créé le Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire ? Quels sont ses buts ? ses actions ?

Le Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire (CVUH) a été créé au printemps 2005, au lendemain du vote de la loi du 23 février 2005 qui voulait imposer aux professeurs d’enseigner le bilan « positif » de la colonisation. À la même époque, l’un de nos collègues, l’historien Olivier Pétré-Grenouilleau, a été menacé d’un procès en justice par une association, parce que le contenu de son livre sur l’histoire de l’esclavage ne plaisait pas à ses membres. Ces deux événements constituaient à nos yeux des illustrations flagrantes d’une remise en cause du principe d’autonomie de la recherche historique, essentiel dans une démocratie. Nous avons alors décidé de créer une association pour défendre notre autonomie face à ces pressions de tous ordres. Le CVUH est une association militante, fondée sur le bénévolat. Nous ne recevons aucune subvention. Nos seules ressources proviennent des cotisations de nos adhérents (et tout le monde peut adhérer au CVUH). Nous organisons des colloques, des journées d’information et des conférences, de notre propre chef ou en partenariat avec d’autres structures, notamment syndicales. Notre site internet (http://cvuh.free.fr) est aujourd’hui très fréquenté car il éclaire la plupart des thèmes mis au centre de l’actualité (lettre de Guy Môquet, esclavage, colonisation, immigration...). Le CVUH lance ce mois-ci une collection d’ouvrages aux éditions Agone dont j’ai signé le premier volume intitulé : À quoi sert l’identité nationale.

> Comment le discours politique pourrait-il faire un bon usage de l’histoire ?

À notre avis, il n’existe pas de « bon usage » politique de l’histoire. Par définition, la politique est un domaine où les discours sont partisans, conflictuels, au service des intérêts les plus divers. Notre but n’est nullement de jouer les experts ès passé en affirmant que les politiques ou les citoyens qui se réfèrent à l’histoire se « trompent ». Notre but, c’est au contraire d’invalider les discours de vérité que développent les politiques qui cherchent à légitimer leurs propos en se référant à l’histoire. Le discours politique sur l’histoire est un discours mémoriel. En tant que tel, il est légitime, mais il ne doit pas être confondu avec l’histoire en tant que savoir scientifique. À la différence de l’association « Liberté pour l’histoire » qui dénonce les lois mémorielles, nous estimons que ce n’est pas à nous, historiens, de régenter la mémoire collective. Il s’agit là d’une question politique qui concerne tous les citoyens. C’est à eux de dire quel peut être le bon usage politique de l’histoire. Le rôle civique des historiens est de défendre l’autonomie de leurs recherches, de les diffuser au-delà du cercle des spécialistes, et de combattre la confusion entre histoire et mémoire.

> Quels liens établissez-vous entre l’immigration et le mouvement social ?

Depuis mon premier livre (Longwy, immigrés et prolétaires, publié en 1984 et tiré de ma thèse) jusqu’à mes derniers écrits, j’ai toujours insisté sur le fait que l’immigration était une dimension de la question sociale, et pour une large part une composante de l’histoire ouvrière de la France. C’est cette dimension sociale que les médias et aussi les politiques ont le plus souvent tendance à occulter aujourd’hui.

> Vous venez de publier « Immigration, antisémitisme et racisme en France ». Comment ont évolué ces notions dans le débat public ?

Je ne peux pas résumer un ouvrage de 715 pages en quelques lignes. Je vous renvoie donc à ce livre. Je me contenterai de souligner que le mot « immigration » a fait irruption dans le vocabulaire français au cours des années 1880, au moment même où émerge le nationalisme. C’est pourquoi, en France, l’immigration a toujours été vue comme un « problème ». Antisémitisme et racisme sont des termes qui sont apparus pendant l’affaire Dreyfus. Au départ, il s’agissait d’idéologies ou de programmes politiques explicites. Jusque dans les années 1930, l’antisémitisme était vu en France comme la principale forme de racisme. C’est seulement après la seconde guerre mondiale que la dénonciation du racisme s’est élargie à la question coloniale. Aujourd’hui, l’antisémitisme et le racisme n’alimentent plus des idéologies ou des programmes politiques explicites, car la loi réprime ce genre de discours publics. De nos jours, l’antisémitisme et le racisme relèvent essentiellement de la sphère des préjugés, de l’intolérance, voire la haine à l’égard des autres cultures. Nous manquons actuellement d’outils conceptuels pour comprendre comment se fabriquent les stéréotypes qui contribuent à stigmatiser les immigrés. Les analyses et les discours « antiracistes », venus du passé, sont de moins en moins pertinents pour éclairer les problèmes actuels.

Propos recueillis par François Salaün


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