26 septembre 1815 : Pacte de la Sainte-Alliance

dimanche 3 décembre 2023.
 

A) Chute de Napoléon

Napoléon avait profité du rapport de forces construit en Europe par la Révolution française pour asseoir la domination de la bourgeoisie française sur un empire comprenant :

- 130 départements dont les chefs-lieux se nomment Gênes, Florence, Rome, Turin, Bruxelles, Aix la Chapelle, Amsterdam, Mayence, Hambourg, Laybach (actuelle Ljubljana, Slovénie), Dubrovnik, Barcelone, Lleida...

- un réseau d’Etats alliés comme la Confédération du Rhin, le duché de Varsovie, le royaume d’Italie, le royaume de Westphalie...

Napoléon 2 naît dans un Premier empire fragilisé le 20 mars 1811

Battu en 1815, Napoléon tente de prendre sa revanche du 1er mars au 18 juin 1815 (Waterloo). Le large soutien du peuple français à cette aventure suscite crainte, détermination et volonté d’alliance dans toutes les autres capitales européennes.

Dès le 8 juin 1815, le tsar, l’empereur d’Autriche et le roi de Prusse créent la Confédération germanique dont la fonction est de constituer une barrière militaire et idéologique face à la France.

Le 18 juin 1815, l’armée de Napoléon est vaincue à Waterloo. Quatre jours plus tard, celui-ci abdique « Je m’offre en sacrifice à la haine des ennemis de la France. Puissent-ils être sincères dans leurs déclarations et n’en avoir jamais voulu qu’à ma personne. »

En fait, l’ensemble des rois et princes de la septième coalition (Russie, Prusse, Royaume-Uni, Autriche, Suède et Norvège, Espagne, Portugal, Sardaigne, Sicile...) en veut bien plus aux changements institutionnels et sociétaux que la Révolution française a introduit en Europe qu’à la personne de Napoléon.

Un million de soldats envahissent 58 départements et s’y conduisent en pays conquis. La France perd plusieurs territoires, doit verser 700 millions de francs d’indemnité, entretenir les armées occupantes...

B) Le Congrès de Vienne

Après 45 ans de souffle révolutionnaire, après 23 ans de guerre contre la France issue de 1789 1794, tous les tyrans, du tsar au pape, des rentiers londoniens aux maîtres de serfs de l’Europe centrale, veulent imposer leur ordre à tous les peuples d’Europe : celui des puissants, celui des riches.

Ils se heurtent cependant à de nombreux intérêts divergents.

Les territoires germaniques sont un exemple de convoitises contradictoires. Personne n’imagine revenir aux 400 principautés d’avant la Révolution française. La Prusse veut s’agrandir, en particulier aux dépens de la Silésie, de la Saxe et des pays rhénans. Mais l’Autriche ne veut pas perdre son rôle historique hégémonique en Allemagne. Par ailleurs une question de principes se pose ; pour soulever le peuple contre Napoléon et la France, les rois n’ont pas hésité à faire valoir l’idée de nationalité ; objectif contradictoire par exemple avec la nature de l’empire austro-hongrois composé de nationalités diverses et puissantes.

D’autres exemples pourraient être cités comme l’Italie, l’Espagne, la Pologne...

Pour concilier ces intérêts divergents, un congrès européen est convoqué à Vienne pour la fin septembre 1814.

Dans ses Mémoires, Metternich (ministre des Affaires étrangères de l’Empire d’Autriche) résume les dilemnes auxquels don pays est confronté. « L’Autriche... ne pouvait plus regarder l’Empereur Alexandre (Russie)... que comme un ennemi déclaré, et la Prusse, emportée d’ailleurs par sa propre rapacité et sa propre ambition, comme l’alliée inséparable de cet ennemi. Elle redotait un trop grand rapprochement avec la France... par la crainte de perdre dans l’opinion publique en se liguant ouvertement avec une puissance qui avait été naguère l’ennemi commun de l’Europe. »

Quinze membres de familles royales, deux cents autres princes, 217 chefs de mission diplomatique, des centaines de représentants de groupes divers se regroupent ainsi dans la capitale autrichienne. Le Comité des Fêtes du congrès organise de très nombreuses et très fastueuses réjouissances ( dîners, bals, concerts, réceptions masquées...).

La nature du Congrès est fondamentalement contre-révolutionnaire, son objectif consistant à tuer dans l’oeuf tout nouveau risque de mouvement social ou démocratique. Pour mieux faire passer le message dans chaque village de chaque pays, cela est enrobé dans un discours religieux prétendument chrétien.

C) Grandes puissances européennes et Congrès de Vienne

Seuls les représentants des grandes puissances pèsent dans les négociations et sur la décisions :

- Metternich pour l’Autriche

- Nesselrode pour la Russie

- Castleread pour l’Angleterre

- Hardenberg pour la Prusse

- Talleyrand pour la France.

Très vite, les intérêts contradictoires s’affichent d’une part de la Russie contre l’Angleterre (les deux se considérant la puissance hégémonique de l’Europe et du monde après la chute de Napoléon), d’autre part de la Russie alliée à la Prusse contre l’Autriche pour la suprématie en Europe centrale. Ce contexte pousse à un rapprochement entre l’Angleterre, l’Autriche et la France (soucieuse de perdre le moins possible) autour du principe d’équilibre européen respectant un principe de légitimité.

Globalement, l’Angleterre obtient des positions stratégiques pour la maîtrise des mers : île d’Héligoland en Mer du Nors, Malte et les îles ioniennes en Méditerranée, Le Cap, l’ïle Maurice et Ceylan sur la route des Indes. De plus son projet cher d’un grand royaume des Pays-Bas groupant Hollande et Belgique est acté.

La Russie engrange une grande partie de la Pologne dont Varsovie, la Bessarabie et la Finlande

L’Autriche obtient le Tyrol et Salzbourg, les provinces illyriennes, une grande partie de l’Italie du Nord et une hégémonie sur l’Italie centrale.

La Prusse s’agrandit de la Poméranie suédoise et de la plus grande partie des territoires rhénans.

D) 26 septembre 1815 : Pacte de la Sainte Alliance

Le 26 septembre 1815 les empereurs d’Autriche et de Russie et le roi de Prusse créent à Paris la Sainte Alliance que tous les progressistes du 19ème appelleront à juste titre « Sainte Alliance des rois contre les peuples ». L’objectif de cet attelage réactionnaire est de maintenir en Europe l’ « ordre providentiel » ébranlé par la Révolution française et rétabli lors du Congrès de Vienne de juin 1815. Son bras armé est la « quadruple alliance » conclue en novembre 1815 entre ces trois puissances et le Royaume-Uni, qui sera élargie à la France en 1818.

Sur le plan géopolitique, ces accords inaugurent le « Concert européen » destiné à éviter les conflits entre grandes puissances. Mais l’essentiel est ailleurs. Après avoir d’abord œuvré à la Restauration en France, cette alliance impulsera, au nom du « droit d’intervention si la situation intérieure d’un État menace la paix de ses voisins », la répression de toute velléité politique des peuples. C’est dans ce cadre que sera lancée :

- en 1819 1920 une répression générale dans toute l’Allemagne contre les germes de contestation démocratique et nationale

- en 1820 1821 pour rétablir l’absolutisme dans toute l’Italie sous les bottes de l’armée autrichienne.

- en 1823 l’expédition d’Espagne destinée à rétablir Ferdinand VII, confronté à une révolte, dans la plénitude de ses pouvoirs.

D’autres interventions seront opérées, par exemple en Pologne.

La Sainte Alliance au sens strict ne durera pas au-delà de 1825. Mais sa philosophie continuera bien au-delà à imprégner l’ordre européen. En 1848, c’est sur cette base que les aspirations nationales et révolutionnaires du Printemps des Peuples seront écrasées aux quatre coins de l’Europe. La « paix européenne » qui marquera une grande partie du 19e siècle aura donc eu pour envers ces guerres aux peuples osant se réclamer des principes de la Grande Révolution.

Cette période nous rappelle que l’intégration des puissances européennes a été très tôt pratiquée sur un mode réactionnaire. Toutes choses égales par ailleurs, l’idéologie qui a dès le départ imprégné les oligarques qui ont construit l’Union européenne, sous la tutelle des Etats-Unis, n’a pas beaucoup évolué. Unis dans la défense d’un ordre néolibéral providentiel, ils opposent, face à une Europe politique des peuples souverains, l’Europe de la « bonne gouvernance » des financiers-technocrates. Pour combien de temps ?

E) Texte du Pacte de la Sainte Alliance

"Au nom de la très-sainte et indivisible Trinité.

Leurs Majestés l’Empereur d’Autriche, le Roi de Prusse et l’Empereur de Russie, par suite des grands événements, qui ont signalé en Europe le cours des trois dernières années, et principalement des bienfaits qu’il a plu à la Divine Providence de répandre sur les Etats dont les gouvernements ont placé leur confiance et leur espoir en Elle seule, ayant acquis la conviction intime qu’il est nécessaire d’asseoir la marche à adopter par les Puissances dans leurs rapports mutuels (doit être absolument changée, et qu’il est urgent de travailler à lui substituer un ordre des choses uniquement fondé) sur les vérités sublimes, que nous enseigne l’éternelle Religion du Dieu Sauveur.

Déclarent solennellement que le présent acte n’a pour objet que de manifester à la face de l’Univers leur détermination inébranlable de ne prendre (à l’avenir) pour règle de leur conduite, soit dans l’administration de leurs Etats respectifs, soit dans leurs relations politiques avec tout autre Gouvernement, que les préceptes de cette Religion sainte, préceptes de justice, de charité et de paix, qui loin d’être uniquement applicables à la vie privée, doivent au contraire influer directement sur les résolutions des Princes, et guider toutes leurs démarches, comme étant le seul moyen de consolider les institutions humaines et de remédier à leurs imperfections.

En conséquence Leurs Majestés sont convenues des articles suivants :

ARTICLE I. Conformément aux paroles des Saintes Ecritures qui ordonnent à tous les hommes de se regarder comme frères, les trois Monarques contractants demeurons unis par les liens d’une fraternité véritable et indissoluble, et se considérant comme compatriotes, ils se prêteront en toute occasion et en tout lieu assistance, aide et secours ; se regardant envers leurs sujets et armées comme pères de famille, ils les dirigeront dans le même esprit de fraternité, dont ils sont animés pour (Il en sera de même des armées respectives qui ne s’envisageront pareillement que comme faisant partie de la même armée appelée à) protéger la religion, la paix et la justice.

ART. II. En conséquence le seul principe en vigueur, soit entre lesdits gouvernements, soit entre les sujets, sera celui de se rendre réciproquement service, de se témoigner par une bienveillance inaltérable l’affection mutuelle dont ils doivent être animés, de ne se considérer tous que comme membres d’une même nation chrétienne, les trois Prince Alliés ne s’envisageant eux-mêmes que comme délégués par la Providence pour gouverner trois branches d’une même famille, savoir : l’Autriche, la Prusse et la Russie, confessant ainsi que la nation chrétienne dont eux et leurs peuples font partie n’a réellement d’autre souverain que celui à qui seul appartient en propriété la puissance, parce qu’en lui seul se trouvent tous les trésors de l’amour, de la science et de sagesse infinie, c’est-à-dire Dieu , notre Divin Sauveur Jésus-christ, le Verbe du Très-Haut, la Parole de vie. Leurs Majestés recommandent en conséquence avec la plus tendre sollicitude à leurs peuples, comme unique moyen de jouir de cette paix qui naît de la bonne conscience et qui seule est durable, de se fortifier chaque jour davantage dans les principes et l’existence des devoirs que le Divin Sauveur a enseigné aux hommes.

ART. III. Toutes les Puissances qui voudront solennellement avouer les principes sacrés qui ont dicté le présent Acte, et qui reconnaîtront combien il est important au bonheur des nations trop longtemps agitées, que ces vérités exercent désormais sur les destinées humaines toute l’influence qui leur appartient seront reçues avec autant d’empressement que d’affection dans la cette Sainte-Alliance.

Fait triple et signé à Paris l’an de grâce 1815, le 26 septembre."

(L. S.) FRANÇOIS. (empereur d’Autriche...)

(L. S.) FREDERIC-GUILLAUME (roi de Prusse)

(L. S.) ALEXANDRE (tsar de toutes les Russies)

F) Espagne : La Sainte Alliance en actes

Les grands puissances européennes s’engagent donc à s’aider militairement pour maintenir partout la religion et la paix. Ils s’accordent un "droit d’intervention si la situation intérieure d’un Etat menace la paix de ses voisins."

Dès 1814 1815, ils appuient l’ignoble Espagne réactionnaire pour que le roi Ferdinand VII déclare illégale la Constitution (trop démocratique à leurs yeux) de 1812 comme les Cortès élus.

Des militaires qui ont mené la guerre contre les armées napoléoniennes sont arrêtés. Des manifestations populaires sont écrasées par l’armée à Madrid. Les maires sont destitués. Les Jésuites et l’Inquisition reprennent leur fonction historique d’oppression.

Trois colonels (Quiroga, Arcos-Aguero et Lopez-Baños) organisent un complot pour restaurer la constitution de 1812 portée par le mouvement populaire national mais il sont dénoncés et emprisonnés. Tout paraît perdu.

Pourtant, un autre colonel, nommé Rafael del Riego, soulève un bataillon, proclame malgré son isolement, le rétablissement de la constitution de 1812. Il est rapidement attaqué par l’armée et obligé de se replier. heureusement, la Galice se soulève puis les troupes du général Ballesteros, héros de la guerre d’indépendance. Riego reprend alors sa marche vers Madrid dans lequel il fait une entrée absolument triomphale.

Le roi accepte des compromis pour rester sur le trône. Mais le processus de radicalisation démocratique se poursuit. Le pouvoir a beau réprimer et emprisonner Riego, l’Espagne connaît une évolution profonde qui inquiète les puissances européennes.

Elu aux Cortès, Riego en devient président et fait preuve de grandes qualités. La Sainte Alliance se réunit alors en décembre 1822 et charge la France de marcher militairement sur l’Espagne pour y rétablir la monarchie absolue.

Riego résista tant qu’il put mais fut écrasé. Ferdinand VII reprit possession du trône avec des pouvoirs absolus. Dans la bonne tradition ignoble de l’Espagne conservatrice comme de ses alliés de la Sainte Alliance, Riego fut pendu dans les pires conditions.

L’ordre de la Sainte Alliance, ce sont les milliers de démocrates dont le sang va joncher les caniveaux des grandes villes d’Espagne et d’ailleurs dans les années suivantes, jusqu’en 1848.

Ami lecteur qui finit de lire ce petit texte, je te propose d’écouter l’Himno de Riego, futur hymne officiel de la seconde république espagnole, en cliquant sur l’adresse URL ci-dessous :

http://www.youtube.com/watch?v=x-4L...

Jacques Serieys

Complément :

http://vonarx.biz/hist2/dossiers/do...


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