Immigration : une loi qui bafoue les droits les plus fondamentaux

dimanche 31 décembre 2023.
 

Prêt à toutes les compromissions avec la droite, qui s’inspire elle-même de l’extrême droite, le gouvernement a produit un texte dangereux dont les mesures pourraient avoir de graves conséquences sur les premiers concernés, les étrangers vivant en France.

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Nejma Brahim

19 décembre 2023 à 23h34

Il y avait déjà eu le « musée des horreurs » constaté au Sénat, lorsque les parlementaires de droite et de la majorité ont contribué à durcir considérablement le texte de la loi immigration, portée par le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin. Il y a désormais le scénario cauchemardesque de la commission mixte paritaire (CMP) – cette commission qui réunit sept députés et sept sénateurs à huis clos pour décider d’un texte avant son vote à l’Assemblée nationale – après des marchandages nauséabonds avec Les Républicains (LR) sur plusieurs jours.

Jamais un gouvernement n’avait donné autant de crédit à l’extrême droite en matière d’immigration, au point de donner le sourire à la vice-présidente du Rassemblement national (RN) dans les couloirs du palais Bourbon lundi 18 décembre au soir, peu après le début de la CMP. Dès le 9 décembre, la Défenseure des droits Claire Hédon a alerté dans une tribune au Monde et souligné combien ce texte de loi était d’une « gravité majeure pour les droits fondamentaux » des personnes étrangères en France.

La motion de rejet votée à l’Assemblée nationale dès le premier jour de l’examen du texte en séance publique n’a pas refroidi le gouvernement, Gérald Darmanin en particulier, qui a multiplié les déclarations dans les médias pour insister sur l’importance de cette énième loi sur l’immigration, qui ne résout rien aux problématiques concrètes vécues par les principaux concernés, mais vient au contraire leur rajouter une panoplie d’obstacles dans leur parcours d’intégration en France.

Ainsi, lundi et mardi, les parlementaires réunis lors de la CMP ont choisi de se rapprocher d’une version semblable à celle du texte retravaillé au Sénat, considérablement durcie et inspirée des pires mesures du RN, provoquant la fronde chez certains ministres, dont plusieurs auraient déjà menacé de démissionner si le texte était voté à l’Assemblée nationale ce soir.

Même le mouvement des Jeunes avec Macron, d’ordinaire enclin à soutenir la doctrine macroniste du « en même temps » et peu critique à l’endroit du parti du chef de l’État, s’est pourfendu d’un tweet appelant les parlementaires de la majorité à « réagir » et à ne pas soutenir « un texte de loi qui contreviendrait aux valeurs et aux orientations » de leur famille politique.

Mediapart revient sur les mesures foncièrement graves de cette loi, pour laquelle le pouvoir aura fait toutes les compromissions possibles avec la droite et les idées de l’extrême droite – le RN a d’ailleurs voté le texte en CMP –, sur le dos des personnes étrangères.

La fin du droit du sol

Les parlementaires ont repris une mesure déjà adoptée par le Sénat lors de l’examen du texte de loi, qui avait été supprimée par la commission des lois à l’Assemblée nationale, et qui vise à mettre fin au droit du sol – un principe pourtant fondamental en France, qui existe depuis le XIVe siècle. Il s’agit ainsi de mettre fin à l’automaticité de l’accès à la nationalité pour un mineur né de parents étrangers : celui-ci devrait donc manifester sa volonté pour acquérir la nationalité entre l’âge de 16 ans et 18 ans. Députés et sénateurs ont aussi voté la restriction de l’accès au droit du sol pour en exclure les délinquants condamnés à une peine d’au moins six mois de prison.

Le rétablissement du délit de séjour irrégulier

Là aussi, la mesure avait été adoptée par la droite sénatoriale, soutenue par la majorité au Sénat, mais supprimée en commission des lois. Elle figure pourtant bien dans le texte proposé au vote à l’Assemblée mardi soir : il s’agit de rétablir le délit de séjour irrégulier, supprimé en 2012. Ce qui signifie indirectement que le simple fait d’être né dans un autre pays ou d’avoir le « mauvais » passeport caractérise un délit en France.

Les personnes en situation dite irrégulière pourraient donc être placées en garde à vue – alors qu’il existe déjà le principe de retenue administrative pour cette catégorie d’étrangers aujourd’hui en France, qui permet aux autorités d’interroger une personne lorsqu’elle estime que c’est nécessaire, avant un éventuel placement en rétention par exemple – et devraient payer une amende. « Le RN s’est réjoui que le Sénat ait fait adopter une proposition de Marine Le Pen », affirme une source.

La déchéance de nationalité encensée

Elle s’appliquerait donc pour les binationaux qui se seraient rendus coupables d’un meurtre sur des personnes détentrices de l’autorité, comme les forces de l’ordre par exemple. En réalité, le retrait de nationalité (tout comme le retrait de titre de séjour) existe déjà dans la loi : une personne ayant été naturalisée peut tout à fait se voir retirer sa nationalité française dans certains cas. Mais les parlementaires ont tenu à l’inscrire de nouveau dans cette loi, sans doute pour renvoyer un message de « fermeté » tant vanté par Gérald Darmanin.

Le durcissement du regroupement familial

Les parlementaires, avec l’assentiment du gouvernement, ont choisi de s’attaquer au droit à vivre en famille des personnes étrangères, créant des inégalités considérables entre citoyens français et étrangers. L’accès au regroupement familial, dont la procédure est déjà très contrôlée et relève du parcours du combattant, devrait être durci pour imposer des conditions de ressources financières aux demandeurs, ainsi qu’une assurance maladie pour les proches basés dans le pays d’origine et qui seraient susceptibles de rejoindre le sol français.

De même, les personnes concernées devraient justifier, « par tout moyen », d’une connaissance de la langue française « lui permettant au moins de communiquer de façon élémentaire », sans que l’on ne sache bien ce que cela recouvre.

Des prestations sociales conditionnées…

… À la durée de présence en France. La droite et l’extrême droite en rêvaient ; la Macronie le leur a offert sur un plateau. De nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer une forme de « préférence nationale » assumée ; et les discussions autour de cette mesure ont clivé au sein des parlementaires. Mais la CMP a fini par trouver un accord sur ce qui représentait pourtant l’une des lignes rouges de la majorité.

Les personnes étrangères devront, avec ce texte, attendre cinq années pour pouvoir prétendre aux allocations familiales ou aux APL. Les travailleurs verront ce délai ramené à deux ans et demi, sauf pour l’APL, pour laquelle un délai de carence de trois mois a été inscrit dans la dernière version du texte sortie de la CMP. Les étudiants, qui risquaient eux aussi de se voir imposer un délai pour percevoir l’APL, y échappent finalement tout juste, après des débats animés entre les députés et sénateurs. Le RN a, selon la source déjà citée, « félicité la Macronie ».

Le titre de séjour « étudiant » remis en cause

Les étudiants, une catégorie pourtant jusqu’ici relativement protégée, sont eux aussi concernés par cette nouvelle loi ; puisque la droite sénatoriale a tenu à compliquer l’accès au titre de séjour « étudiant », d’abord au Sénat, puis en CMP dès lundi. Les étudiants étrangers devront ainsi apporter la preuve préalable d’une caution financière pour la délivrance d’un titre de séjour étranger.

Celle-ci serait « restituée à l’étranger lorsqu’il quitte la France à l’expiration du titre de séjour » ou en cas de renouvellement du document d’identité ou de changement de statut. Seuls les étudiants « modestes » au parcours dit « exceptionnel » pourraient en être exonérés. Même la conférence des présidents d’universités, qui s’exprime d’ordinaire rarement sur le champ politique, a marqué son opposition à une telle mesure lundi. La majoration des frais d’inscription pour les étudiants étrangers a elle aussi été adoptée, alors qu’elle avait été supprimée en commission des lois à l’Assemblée.

Un débat annuel sur des quotas migratoires

L’idée a émergé lors de l’examen du texte au Sénat. Elle avait disparu en commission des lois mais réapparaît dans la version finale du texte aujourd’hui : les parlementaires ont validé l’idée d’avoir des débats chiffrés sur l’immigration – autrement dit, des quotas – chaque année au Parlement, de façon à pouvoir signifier que la France « contrôle » toujours davantage les chiffres de l’immigration, pour contrer l’imaginaire fantasmagorique de la « submersion migratoire » sans cesse mise en avant par la droite et l’extrême droite, et dont on voit aujourd’hui les effets concrets sur les lois qui façonnent la vie des étrangers en France.

Des restrictions d’accès au titre de séjour « étranger malade »

L’accès à ce titre, visant à accorder le séjour à des personnes particulièrement malades présentes en France, sous le contrôle de l’Office français de l’immigration et l’intégration (Ofii) et d’un collège de médecins en charge d’étudier chaque dossier, est entravé dans ce nouveau texte. Les parlementaires ont en effet voté en CMP que le titre de séjour « étranger malade » serait délivré « sous réserve de l’absence d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire et que cette prise en charge ne soit pas supportée par l’assurance maladie ».

Autrement dit, tous les frais de santé resteraient désormais à la charge des intéressés même avec l’octroi de ce titre de séjour. L’obtention de celui-ci peut pourtant déjà s’avérer difficile, comme Mediapart pu le documenter avec le cas d’un retraité algérien, âgé et malade, atteint d’une sclérose en plaques, des conséquences d’un AVC et d’un diabète chronique, à qui la préfecture de Seine-Saint-Denis a délivré une obligation de quitter le territoire français (OQTF) après avoir refusé de lui renouveler son titre « étranger malade ».

Les sans-papiers de nouveau méprisés

La seule mesure présentée comme « humaniste » par la majorité, visant à régulariser une partie des travailleurs sans papiers évoluant dans les métiers en tension et remplissant un certain nombre de critères, a été vidée de sa substance. La CMP est revenue à une version durcie de cette mesure, qui ne retirera finalement pas le pouvoir discrétionnaire du préfet et ne créera pas de droit opposable à la régularisation, venant s’inscrire dans la lignée de ce qui existe déjà dans la circulaire Valls.

La mesure était déjà extrêmement précaire et insuffisante ; « utilitariste », aussi, pour de nombreux observateurs, qui voyaient là le moyen d’utiliser une main-d’œuvre volontaire et corvéable à merci pour « remplir des trous » et s’en débarrasser par la suite, une fois que le métier n’est plus en tension ou que le travailleur change de domaine d’activité. Le titre de séjour était en effet temporaire, renouvelable sous certaines conditions. Ce dernier serait désormais délivré « à titre exceptionnel ». Une mesure qui aurait pu concerner quelques milliers, voire dizaines de milliers de personnes, pourrait finalement en concerner quelques centaines.

Et tout ça pourquoi ? Pour ne pas provoquer, ont expliqué les parlementaires de droite et d’extrême droite, d’« appel d’air » qui pourrait conduire d’autres personnes à rejoindre le territoire français pour travailler dans ces métiers et bénéficier de ces régularisations. Une hérésie lorsque l’on sait que cette théorie raciste n’existe pas et que les critères très restrictifs entourant la mesure n’auraient jamais pu permettre à des primo-arrivants d’en bénéficier.

Les parlementaires, dont ceux du RN, ont enfin adopté une mesure visant à supprimer les réductions tarifaires attribuées jusqu’ici aux personnes en situation irrégulière pour les transports en commun. « Le texte final est un pur délire, a réagi le professeur de droit public Serge Slama. Les parlementaires se sont acharnés pour rendre ce droit encore plus inhumain et impraticable. Il n’augmentera pas l’efficacité de l’éloignement mais multipliera les cas d’irrégularisation et de précarisation des étrangers. »

Et l’avocat Stéphane Maugendre d’ajouter auprès de Mediapart : « Je n’ai jamais vu ça en 36 ans de barre. L’extrême droite et Darmanin ont réussi à faire peur aux gens. Ces derniers vont se replier sur eux-mêmes. » La création de la carte de 10 ans avait, rappelle-t-il, été une impulsion à participer à la vie de la cité. « Et là, on construit tout l’inverse, c’est de la provocation au repli identitaire. »

Une cinquantaine d’organisations associatives ou syndicales ont dénoncé en fin d’après-midi le texte « le plus régressif » depuis 40 ans. Dans un communiqué, la Défenseure des droits s’est alarmée « du choix de la préférence nationale ». La Marche des solidarités a appelé à se rassembler aux Invalides, à Paris, en fin d’après-midi, regrettant un texte « tellement immonde que même les fascistes du RN ont annoncé qu’ils le voteraient ce soir ».

Une réforme de l’aide médicale d’État dès 2024

Pour convaincre la droite de voter cette loi, Élisabeth Borne a assumé de s’engager à réformer l’aide médicale d’État (AME). Celle-ci devait, selon les volontés du Sénat, être supprimée au profit d’une aide médicale d’urgence avec un forfait annuel dont le montait aurait dû être fixé par la suite.

La première ministre, qui a commandé un rapport sur le dispositif dont l’objectif est d’apporter des soins médicaux aux étrangers en situation irrégulière présents en France et ne représente que 0,4 % des dépenses de la Sécurité sociale, est allée jusqu’à adresser un courrier en ce sens à Gérard Larcher. C’était la condition imposée par la droite pour poursuivre les discussions en CMP, la Macronie a plié sans sourciller.

Nejma Brahim


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