Le sursaut de la gauche espagnole réconforte les partisans de la Nupes

lundi 31 juillet 2023.
 

En déjouant le scénario d’une victoire de la droite alliée avec l’extrême droite, la gauche espagnole envoie un message d’espoir à ses homologues européennes. En France, les dirigeants de la gauche écologiste, qui peinent à faire vivre la Nupes, s’en saisissent pour plancher sur leurs propres combats.

https://www.mediapart.fr/journal/po...[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20230724-181834&M_BT=1489664863989

Des deux côtés des Pyrénées, les dirigeant·es de gauche ont poussé un soupir de soulagement, le 23 juillet au soir, en découvrant les résultats des élections législatives espagnoles. Depuis des semaines, en France, les membres de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) craignaient qu’un nouveau pays européen tombe dans l’escarcelle de la droite (le Parti populaire, PP), avec le renfort de l’extrême droite (Vox). Après l’effondrement de la gauche en Italie et en Grèce cette année, la crainte de voir l’Union européenne (UE) se transformer en miroir de ses illusions perdues était réelle.

Mais la gauche socialiste (PSOE) et l’union de la gauche alternative (Sumar – qui signifie « Additionner ») ont mieux résisté qu’escompté en Espagne. Pedro Sánchez, chef du gouvernement socialiste sortant, obtient 31,7 % des suffrages exprimés (122 sièges), et Yolanda Díaz, sa vice-présidente à la tête de Sumar, 12,3 % (31 sièges). Autrement dit, si le PSOE n’est pas tout à fait devant le conservateur Alberto Núñez Feijóo (33 %), et si Sumar échoue de justesse à s’imposer comme troisième force devant Vox (en chute avec 12,3 % et 33 sièges), la gauche, même affaiblie, est loin d’être balayée, comme les sondages relayés par des médias conservateurs le laissaient entendre.

La gauche française avide de raisons d’espérer Plusieurs cadres de la Nupes s’en sont logiquement félicités, y voyant à la fois « un espoir pour toute l’Europe » et « une leçon pour la Nupes ». Dans un contexte hostile, alors que la gauche a été éliminée du second tour de la présidentielle pour la troisième fois en 2022, et que l’extrême droite semble avancer inexorablement vers les portes du pouvoir en France, ils ont raison de s’attarder sur les leçons du scrutin. D’autant plus que la Nupes, dont les dirigeant·es se revoyaient le 24 juillet après une longue période de glaciation des relations, peine à aller de l’avant (sur les européennes et les violences policières, par exemple).

« Seule la gauche unie peut contrer la convergence des droites et des extrêmes droites partout en Europe. Il faut donc qu’elle sache accorder ses voix, comme ont su le faire Pedro Sánchez et Yolanda Díaz, estime ainsi Chloé Ridel, porte-parole du Parti socialiste (PS). Plutôt que d’aller à l’élection l’une contre l’autre, ces deux listes de gauche ont eu un effet de caisse de résonance. En ce sens, c’est une validation de la Nupes. »

La sénatrice écologiste Mélanie Vogel, coprésidente du Parti vert européen, qui était en Espagne et suivait la campagne de Sumar, insiste aussi sur cette dimension complémentaire entre les deux forces de gauche, pour faire face au bloc conservateur, dont l’alliance avec Vox pour gouverner était annoncée : « Ce qu’on a vu, c’est la capacité de deux forces progressistes qui étaient en compétition à faire une campagne sans se taper dessus, où chacun allait mobiliser son électorat de façon constructive. Des partenaires qui ont vocation à gouverner ensemble peuvent faire une campagne en bonne intelligence, en arrivant à se différencier », analyse-t-elle, comme un clin d’œil à ses camarades de gauche pour l’élection européenne de 2024 (où la Nupes partira divisée).

Pour le député de La France insoumise (LFI) Éric Coquerel, la résistance de la gauche espagnole n’a cependant été possible qu’en raison de la ligne politique choisie par ses deux composantes : « Pour gagner face à la montée de l’extrême droite et de ses idées racistes, il faut l’union sur une ligne de rupture. Et l’unité sur une ligne de résistance au néolibéralisme, c’est la Nupes : ça confirme le fait qu’elle doit se présenter ensemble aux prochaines élections, en particulier celles qui nous permettront de gouverner », estime-t-il.

Le contexte espagnol est cependant si différent de la situation française qu’il faut se garder des comparaisons hâtives. L’antifascisme a bien sûr joué un rôle dans le sursaut de l’électorat espagnol, dans un pays qui a pendant longtemps été vacciné contre l’extrême droite, principalement dans les régions autonomistes, mais pas seulement.

Cependant, si le PSOE s’en sort aussi bien, c’est aussi qu’il peut s’appuyer sur un bilan politique dont il n’a pas à rougir : réduction du temps de travail, hausse du salaire minimum, réindexation des retraites sur l’inflation, limitation du recours aux contrats précaires, etc. « Le chef du gouvernement Pedro Sánchez n’a pas hésité à défendre comme s’ils étaient les siens des textes qui étaient originellement des propositions de Podemos », notait aussi l’écrivain Sergio del Molino dans Mediapart la veille de l’élection.

Fin de la parenthèse sociale-libérale Pour Vincent Dain, doctorant en science politique spécialiste de la gauche espagnole, ces résultats témoignent donc d’abord du pari gagné de Pedro Sánchez, qui, après la victoire de la droite aux élections régionales de mai dernier (Podemos avait particulièrement accusé le coup), a convoqué des élections législatives anticipées. « C’était un coup de poker, mais il savait que son socle électoral répondrait présent », explique le chercheur, qui attribue cette fidélité d’un électorat populaire à « un virage à gauche du PSOE ».

L’émergence de Podemos (gauche radicale), qui avait passé la barre des 20 % aux législatives de 2015, n’est pas étrangère à cette inflexion politique. Le risque d’un dépassement du PSOE par sa gauche a été pris au sérieux et progressivement intégré : « Sánchez est un grand pragmatique, il a compris l’intérêt de réancrer le PSOE à gauche, pour concurrencer Unidas Podemos [coalition entre Podemos, la Gauche unie (IU) et Equo formée en 2016 – ndlr] », explique Vincent Dain.

En résistant à la vague sociale-libérale qui a eu raison du PASOK de Giórgos Papandréou en Grèce, puis du PS de François Hollande en France (avant que le parti à la rose ne fasse le choix de rejoindre la Nupes en 2022), le chef du gouvernement espagnol a donc permis de maintenir l’existence de la social-démocratie.

« Pedro Sánchez renaît de ses cendres grâce à un virage à gauche, alors qu’il était quasiment éliminé du parti par le centre-droit. C’est ce virage très social qui a assuré la survie du PSOE, qui grandit en nombre de sièges grâce à une alliance avec l’aile gauche », détaille François Ralle Andreoli, ancien du Parti de gauche (PG) désormais élu Europe Écologie-Les Verts (EELV) à l’Assemblée des Français·es de l’étranger, qui habite en Espagne (Mediapart l’avait interviewé en 2015).

En Espagne, on a les sociaux-démocrates qui se gauchisent, et la gauche alternative qui s’écologise et se féminise.

Mélanie Vogel, sénatrice écologiste « Cela montre que quand la gauche reste à gauche et qu’elle ne trahit pas, elle se maintient. Pour le PS, c’est une bonne illustration de l’intérêt de réancrer le PS à gauche avec la Nupes, comme le fait Olivier Faure. Il y avait besoin de rompre avec la parenthèse sociale-libérale », abonde Chloé Ridel.

Si les législatives espagnoles indiquent, d’un côté, un mouvement de rupture du PSOE avec le social-libéralisme, elles témoignent aussi, du côté de la gauche alternative, d’un mouvement parallèle de clôture du « moment populiste » initié par Podemos dans les années 2010.

La campagne de Yolanda Díaz, qui incarne davantage le pouvoir institutionnel que son prédécesseur Pablo Iglesias (elle est la ministre du travail à qui l’on doit les principales avancées sociales du gouvernement), a en effet été verte, féministe et pro-européenne, mais en aucun cas « populiste » : « En Espagne, on a les sociaux-démocrates qui se gauchisent, et la gauche alternative qui s’écologise et se féminise », observe Mélanie Vogel.

« La fibre populiste était assez peu présente dans le discours de Yolanda Díaz, qui était dans une logique d’opposition du bloc progressiste au bloc de droite, davantage que dans une opposition entre le peuple et l’oligarchie », abonde Vincent Dain. « Il y a un retour de l’axe droite-gauche traditionnel, le moment populiste se referme, Mélenchon lui-même l’a abandonné en 2022 », soutient aussi Chloé Ridel.

Pluraliste, féministe, écosocialiste : l’alternative qui vient Pour autant, cela n’invalide pas l’espace politique créé par Sumar à cette élection, au contraire. Si la coalition obtient quatre sièges de moins qu’Unidas Podemos en 2019, elle a permis l’avènement d’un type de campagne inédit, qui a influencé jusqu’à Pedro Sánchez, tant dans ses thématiques (l’écologie, le féminisme, les droits des personnes LGBT) que dans son incarnation.

Malgré les difficultés de l’alliance avec Podemos, qui n’a pas jeté toutes ses forces dans la campagne (le parti désapprouvait l’absence d’Irene Montero, la ministre de l’égalité, sur la liste), Sumar a réussi à « mettre en avant des profils issus des différentes traditions de la gauche alternative espagnole – communiste (Yolanda Díaz), Podemos (Alejandra Jacinto) et écologiste (Ernest Urtasun) », explique Vincent Dain.

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Espagne : le moment de vérité pour les gauches 17 juillet 2023 De plus, Sumar a mené une campagne offensive, en particulier dans la dernière semaine, mettant en lumière notamment le négationnisme climatique de l’extrême droite espagnole – un thème qui, pour la première fois, a été audible dans un contexte de vagues de chaleur en Espagne. « Des progrès ont été faits, un axe clivant a été mis en évidence entre le négationnisme climatique de Vox et d’une partie du PP, et une position de relance économique par la transition écologique chez Sumar, ce qui répond à une nouvelle attente en Espagne dans les milieux urbains », explique François Ralle Andreoli, qui se définit comme écosocialiste.

Enfin, la coalition a pris le parti de mettre en avant un leadership féminin et féministe, tant à travers Yolanda Díaz que dans toute son équipe de campagne et ses meetings. « Je pense que ce n’est pas pour rien dans la manière dont la campagne s’est jouée, et c’est un signal assez fort : c’est la victoire d’une mobilisation féministe », estime Mélanie Vogel. « Yolanda Díaz incarne une nouvelle forme de leadership en politique, résolument féminin, qui ne cherche pas à être un homme politique comme les autres. Je suis séduite et contente que ce leadership s’impose sur la scène politique européenne », salue aussi Chloé Ridel.

Même si rien ne garantit encore qu’un accord soit trouvé (notamment avec les indépendantistes) pour qu’un nouveau gouvernement de gauche s’installe à la tête de l’Espagne, le camouflet infligé au récit d’une victoire inéluctable de la droite et de l’extrême droite en Europe ne se boude pas. La gauche française, dont l’intention internationaliste n’est pas toujours au rendez-vous, aurait tort d’occulter cette lueur d’espoir dans un paysage lugubre.

Mathieu Dejean


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