Remaniement : Macron s’ouvre aux macronistes

dimanche 30 juillet 2023.
 

Après de longues tergiversations, les deux figures de l’exécutif ont acté un remaniement ministériel. Exit les figures de la société civile, jugées trop discrètes, place aux fidèles et aux parlementaires. Une manière, espère-t-on à Matignon, de rendre le gouvernement plus opérationnel. Pour le souffle, il faudra repasser.

Sous la chaleur d’un mois de juillet caniculaire, entre deux déplacements internationaux du président de la République, le gouvernement « Borne III » est né. L’Élysée a annoncé, jeudi 20 juillet, la nouvelle composition de l’équipe ministérielle. C’est par un communiqué envoyé aux rédactions qu’ont été entérinés les mouvements au sommet de l’État. Point de lecture solennelle sur le perron de l’Élysée par le secrétaire général de la présidence, Alexis Kohler. Une manière, pour l’entourage du chef de l’État, de minimiser l’ampleur de ce remaniement.

À y regarder de plus près, la modestie présidentielle a quelque chose d’honnête. Dans ses points les plus saillants, « Borne III » n’est que le sosie de « Borne II », lui-même petit frère de « Borne I ». Autour d’une première ministre confirmée à son poste, Gérald Darmanin est toujours ministre de l’intérieur, Bruno Le Maire en charge de l’économie et des finances, Catherine Colonna des affaires étrangères, Sébastien Lecornu des armées, Éric Dupond-Moretti de la justice, Olivier Dussopt du travail et Christophe Béchu de la transition écologique.

Illustration 1Agrandir l’image : Illustration 1 Quelques nouveaux visages du gouvernement Borne III. © Photomontage Sébastien Calvet / Mediapart Les principales figures du gouvernement conservent donc leur place et leur portefeuille, et la liste pourrait s’allonger à Rima Abdul-Malak (culture), Marc Fesneau (agriculture) ou Amélie Oudéa-Castéra (sports). Petit suspense d’initiés : Gérald Darmanin, qui n’obtient pas Matignon, dont il rêvait, rate aussi la promotion au statut de ministre d’État, comme la rumeur le disait ces derniers jours.

Pour le reste du gouvernement, en revanche, les choses changent. Une dizaine de portefeuilles se voient affubler d’un nouveau ou d’une nouvelle titulaire. Depuis qu’elle a reçu, en fin de semaine dernière, la certitude de rester, Élisabeth Borne bataillait pour donner le plus d’envergure possible à ce remaniement. En coulisses, les divergences stratégiques entre les deux têtes de l’État ont fait traîner en longueur une période devenue un « supplice » pour les ministres, selon le mot d’un conseiller.

Attendue depuis plusieurs jours, l’annonce de la composition gouvernementale a été reportée plusieurs fois. Finalement espérée jeudi matin, elle a été dévoilée au compte-gouttes dans la journée, opportunément distillée à la presse. Le tout donnant quelques situations ubuesques : ainsi de Marlène Schiappa annonçant elle-même son départ ou de François Braun, le ministre de la santé, détaillant son action le matin sur BFMTV avant d’être écarté quelques heures plus tard.

La lecture du communiqué élyséen invite justement à s’intéresser aux noms qui n’y figurent pas. Six ministres quittent le gouvernement, comme si Emmanuel Macron voulait corriger les erreurs de casting de l’été dernier. Après sa réélection, il avait misé sur des figures de la société civile, expertes dans leur domaine mais nouvelles en politique. De cette option, le président de la République fait désormais table rase : Pap Ndiaye, le ministre de l’éducation nationale, quitte le gouvernement, tout comme ses collègues Jean-Christophe Combe (solidarités), Jean-François Carenco (outre-mer), Isabelle Rome (égalité femmes-hommes) et, donc, François Braun. Affaiblie par l’affaire du fonds Marianne, Marlène Schiappa perd aussi son poste.

Les parlementaires Renaissance récompensés Au rang des entrant·es, le casting réserve une petite surprise : la nomination d’Aurélien Rousseau comme ministre de la santé. Le haut fonctionnaire avait quitté, lundi, son poste de directeur de cabinet de la première ministre, dont il supportait de plus en plus mal la personnalité. Très apprécié à l’Élysée, celui qui a dirigé l’Agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France pendant la crise sanitaire a donc accepté d’entrer au gouvernement.

Depuis son bureau du ministère, il aura à travailler avec… son épouse, Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée de l’Assurance maladie et chargée de l’écriture du programme « santé » d’Emmanuel Macron en 2022. De quoi susciter, dès la fuite de cette information sur BFMTV jeudi après-midi, des questionnements sur la validité d’une telle cohabitation au regard de considérations éthiques.

Au-delà du ministère de la santé, les huit nominations gouvernementales ont semblé répondre à une urgence : repolitiser l’action gouvernementale et récompenser des soutiens du président de la République. C’est ainsi qu’il faut interpréter la nomination de Gabriel Attal au ministère de l’éducation nationale. Secrétaire d’État à la jeunesse puis porte-parole du gouvernement dans le précédent quinquennat, il était depuis un an ministre délégué chargé des comptes publics.

Élisabeth Borne et Emmanuel Macron ont aussi largement pioché dans le vivier de l’Assemblée nationale pour renforcer le gouvernement. Cinq députés Renaissance y font leur entrée : Aurore Bergé, la présidente du groupe Renaissance au Palais-Bourbon, hérite du ministère des solidarités ; Fadila Khattabi, la présidente de la commission des affaires sociales, du ministère délégué au handicap ; Thomas Cazenave, député de Gironde, du ministère délégué aux comptes publics ; Sabrina Agresti-Roubache, députée des Bouches-du-Rhône, du secrétariat d’État à la ville.

Une prime à la fidélité qui raconte combien l’Élysée et Matignon étaient las de l’incapacité des ministres issus de la société civile à incarner leur portefeuille sur le champ politique et médiatique. Depuis des mois, Aurore Bergé vantait en interne la capacité du groupe qu’elle préside à défendre les orientations présidentielles. « Pendant la réforme des retraites, nos députés ont fait plus de 70 interventions médiatiques et il n’y a eu aucun couac, expliquait-elle récemment. Le gouvernement ne peut pas en dire autant. »

Le message est visiblement passé au sommet de l’État. Où l’on a bien noté que le calendrier se prêtait à cette grande promotion : puisqu’il faut un mois pour faire entrer les suppléant·es à l’Assemblée nationale, organiser cela juste avant l’été permet d’éviter les dommages collatéraux. En revanche, le camp présidentiel va devoir combler le déficit de figures fortes dans une Assemblée plus polarisée que jamais. Sylvain Maillard, le numéro 2 du gouvernement, s’est déjà déclaré candidat à la succession d’Aurore Bergé.

La ville sous la tutelle de l’intérieur : un message limpide aux quartiers En attendant, la nouvelle équipe gouvernementale se retrouvera vendredi matin pour son premier conseil des ministres. Le président de la République, lui, est censé prendre la parole avant son départ pour la Nouvelle-Calédonie, dimanche. Son entourage a promis qu’il rappellerait son « cap » pour le pays. Mais quel cap ? Après avoir ramé dans la tempête des retraites, Emmanuel Macron avait promis « cent jours d’apaisement » dont les révoltes urbaines ont balayé le dernier souffle.

Discret pendant les épisodes émeutiers comme il l’a été pendant un an, Olivier Klein quitte le ministère de la ville et du logement qu’il occupait. Son portefeuille est désormais scindé en deux : Patrice Vergriete, maire de Dunkerque (Nord) et ancien socialiste, hérite du logement, tandis que la députée marseillaise Sabrina Agresti-Roubache s’occupera de la politique de la ville.

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Macron et les quartiers populaires : récit d’un abandon 25 juin 2023 Quelques semaines après l’annonce du plan « Quartiers 2030 », la tenue d’un comité interministériel des villes et la colère dans les rues, le sujet des banlieues passe d’un ministère délégué à un secrétariat d’État. Et, pour la première fois de son histoire, la ville est placée sous la (co-)tutelle de l’intérieur.

Si on ajoute à cela la nomination récente de Lydia Guirous comme préfète à l’égalité des chances, le message envoyé par l’exécutif est limpide : la réponse apportée aux quartiers populaires sera avant tout sécuritaire.

En dehors de cette thématique, les ajustements gouvernementaux tentent de corriger les erreurs qui ont suivi la réélection d’Emmanuel Macron mais ils n’infléchissent en rien la ligne politique de son second quinquennat. Pire, à rebours de tout ce qu’il a théorisé depuis six ans, le président de la République vient de faire exactement ce qu’il reprochait à ses prédécesseurs : nommer des professionnel·les de la politique à des postes qui ne correspondent à rien à leurs engagements ou leurs domaines d’expertise. Sinon, comment comprendre qu’Aurore Bergé soit chargée des solidarités ou Philippe Vigier des outre-mer ?

Maintes fois promise depuis 2017, la « révolution » macronienne paraît loin, bien loin. En guise de symbole ultime, le maintien au gouvernement d’Olivier Dussopt et Éric Dupond-Moretti fait tache. Les deux ministres vivent sous la menace d’un procès, l’un pour favoritisme sur un marché truqué, l’autre pour prise illégale d’intérêts. Ils sont pourtant toujours là, assurés en public et en privé du soutien présidentiel. Quant à Fadila Khattabi, elle entre au gouvernement malgré une condamnation récente aux prud’hommes.

Ilyes Ramdani


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