Européennes 2024 : à gauche, l’union a ses raisons

vendredi 7 juillet 2023.
 

Une note de recherche, bientôt publiée par la Fondation Rosa Luxemburg, plaide pour une liste commune des partis de gauche français aux prochaines élections européennes. Son autrice, Laura Chazel, fait valoir de fortes convergences programmatiques et un contexte propice à l’union

Le fil argumentatif de la note consiste à réinscrire le scrutin dans une conjoncture politique plus large. Depuis la pandémie et la guerre en Ukraine, remarque l’autrice, le « sens commun néolibéral » qui a coloré l’intégration européenne depuis les années 1980 a été déstabilisé. Les dirigeants et dirigeantes de l’Union européenne (UE) ont accepté des entailles aux principes d’austérité et de libre concurrence. Des mécanismes de solidarité ont vu le jour, et des objectifs écologiques affichés, qui sont encore loin des demandes de la gauche mais confortent leur légitimité.

https://www.mediapart.fr/journal/po...

La fenêtre est cependant déjà en train de se refermer, comme le retour des discours culpabilisants sur la dette l’illustre. Et sa traduction électorale n’a rien d’automatique, comme en attestent les nombreuses victoires électorales de la droite ces derniers mois, du nord au sud du Vieux Continent. « Que des idées de gauche pénètrent dans le sens commun, cela n’implique pas forcément que la gauche en bénéficie dans les urnes », admet Laura Chazel auprès de Mediapart.

Raison de plus, selon elle, pour que le pôle démocrate et écosocialiste de la vie politique fasse le meilleur score possible, afin d’imposer ses thèmes dans l’agenda médiatique et d’apparaître comme une alternative de gouvernement. À ce besoin d’éviter l’invisibilisation de la gauche que causerait son émiettement s’ajouterait l’avantage de ne « gâcher » aucune voix, dans un scrutin où les listes n’atteignant pas la barre des 5 % ne peuvent prétendre à aucun siège.

Deux types d’arguments ont déjà été formulés contre cette logique. Les premiers s’appuient sur des sondages récents, suggérant que si les forces de gauche concouraient séparément, elles obtiendraient plus de suffrages et donc plus de sièges. La fiabilité de ces enquêtes, parfois commentées au point près par les responsables politiques alors que cela n’a aucun sens statistique, ne peut cependant qu’être médiocre à un an du scrutin en question.

Les seconds font valoir la particularité des élections européennes. Celles-ci porteraient sur des enjeux supranationaux, à propos desquels les divergences entre les partis membres de la Nupes restent fortes. Tenues à la proportionnelle intégrale, les élections européennes fournissent l’occasion d’exprimer ces divergences, sans risquer une élimination de la compétition comme dans les scrutins à deux tours. Ce sont ces arguments que la note de Laura Chazel conteste avec le plus de force, à travers l’analyse détaillée des programmes et des votes des élu·es actuel·les au Parlement européen.

Une convergence des programmes et des votes

La chercheuse ne nie pas que la question européenne soit historiquement une pomme de discorde entre les gauches. Durant les deux dernières décennies, la campagne référendaire de 2005 a été un moment de division intense, d’ailleurs fondatrice pour l’entreprise politique ultérieure de Jean-Luc Mélenchon. La présidence de François Hollande, avec la participation ministérielle des Verts jusqu’en 2014, a été un autre épisode de fracture marquée entre les gauches.

Depuis, cependant, un mouvement de convergence programmatique est à l’œuvre. Il s’observe d’une manière très générale, souligne Laura Chazel, qui pointe un tournant à gauche des socialistes et des Verts en matière économique et sociale, et une meilleure prise en compte des enjeux écologiques par le PS et le PCF, avec les mélenchonistes à la confluence de ces deux évolutions.

Le rapport à l’intégration européenne n’échapperait pas à cette tendance de fond. Loin d’apparaître comme une exception, il est une dimension parmi d’autres du rapprochement des positions en cours. En se concentrant sur la séquence électorale de 2022, Laura Chazel affirme que les médias, ainsi que les candidats à la présidentielle eux-mêmes, ont grossi les différences existantes. « Une opposition entre les partis “eurocritiques” (LFI/PCF) et les partis “pro-européens” (EELV/PS) serait réductrice », écrit-elle.

Sur le fond, tous contestent les règles néolibérales encore en vigueur dans l’UE, souhaitent démocratiser le fonctionnement de cette dernière et y défendre une bifurcation écologique et solidaire des modes de production et de consommation.

Il y a une convergence élevée entre les trois partis [LFI, EELV, PS] sur tous les sujets.

Laura Chazel, politiste

Même sur les moyens d’y parvenir, les discours se sont rapprochés. D’un côté, la rhétorique insoumise s’est à la fois adoucie et précisée, loin de l’alternative « plan A / plan B » qui avait prévalu jusqu’à l’élection présidentielle de 2017, et qui impliquait la possibilité d’une sortie de l’UE ; de l’autre, écologistes et socialistes admettent que des règles européennes mériteraient d’être suspendues pour appliquer le programme législatif négocié au sein de la Nupes.

Au-delà des intentions affichées, les prises de positions concrètes au Parlement européen témoignent, selon Laura Chazel, d’une forte proximité des partis de gauche. Elle en veut pour preuve le degré d’homogénéité des votes entre les élus EELV, PS et LFI (les communistes n’ont obtenu aucun siège lors des dernières élections). « Il y a une convergence élevée entre les trois partis sur tous les sujets », est-il souligné dans la note. Même sur les aspects institutionnels de l’UE, a priori les plus contestés au sein des gauches, la cohésion des votes varie entre 70 % et 90 %.

Interpellé à ce sujet sur les réseaux sociaux, l’écologiste David Cormand a répliqué que pour des raisons de « fabrique » de la loi européenne, la cohésion des votes était souvent élevée entre la plupart des familles partisanes de l’UE, sans que personne n’en conclue à la nécessité de coalitions électorales. Un contre-argument qui ne convainc pas Laura Chazel : « Les convergences entre les trois partis de gauche restent tout de même supérieures aux autres, et il y a des batailles communes qui ont été menées, sur les politiques environnementales ou l’État de droit. »

Des obstacles persistants : le « non-alignement » et les identités partisanes Une fois écartés les débats de principe sur la nature de l’UE, qui ne seront de toute façon pas tranchés lors de la prochaine mandature du Parlement européen, il n’y aurait donc pas de sérieuse raison de fond à des listes séparées en juin 2024. La note de la Fondation Rosa Luxemburg affirme qu’un programme commun est à portée de main.

On sait cependant que la politique étrangère de « non-alignement » des Insoumis ne convainc pas les socialistes et les écologistes. Le sujet déborde les questions européennes mais il est fondamental, et il les recoupe en partie, par exemple sur le terrain de la défense et du rapport à l’Otan, où l’invention d’une voie médiane est peut-être moins évidente que ne le suggère la note. La transposition du principe de non-alignement à l’échelle européenne, défendue par Manon Aubry, n’est pour l’instant pas jugée crédible du côté écolo.

Laura Chazel fait valoir qu’une convergence significative des votes au Parlement européen se retrouve aussi sur les enjeux internationaux, y compris à propos du soutien de l’UE à l’Ukraine. Mais dans ce domaine politique, 20 points de différence séparent tout de même l’homogénéité de vote entre le PS et EELV (83 %) et celle qui prévaut entre LFI et le PS (58 %) ou EELV (64 %). Le caractère fondamental des choix de défense et d’alliance, au demeurant, en fait une source de division plus importante que ne le suggère son poids statistique dans la méthode utilisée.

Tout cela, répondront les pro-union, n’a pas empêché l’union aux législatives et devra de toute façon être concilié lors des scrutins décisifs de 2027. On retombe alors sur les incitations plus « boutiquières » à présenter des listes séparées.

On sait à quel point Fabien Roussel campe sur une ligne d’affirmation identitaire du PCF, en dépit de ses résultats douteux. Les écolos ont de leur côté la conviction qu’un score meilleur que les Insoumis leur permettrait de rééquilibrer le rapport des forces au sein de la Nupes. Les socialistes, qui le souhaitent aussi, se retrouveraient surtout au bord de la scission en cas de liste unie.

Là encore, le volontarisme de la note de la Fondation Rosa Luxemburg est un peu forcé. Autant Laura Chazel est convaincante sur l’intérêt collectif de la gauche à afficher la force du pôle « démocrate-écosocialiste », autant sa mise en avant des intérêts individuels de chaque parti est un peu courte.

Sans élu aujourd’hui, le PCF n’a pas grand-chose à perdre. EELV ne porterait le stigmate de la désunion que si toutes les autres forces de la Nupes concourent ensemble, ce qui est peu probable. Quant aux exemples étrangers de résilience sociale-démocrate grâce à un rapprochement avec la gauche radicale, ils peuvent être nuancés et se voir opposer des situations inverses, tant la famille du PS est aujourd’hui parcourue de tensions stratégiques.

La note a en tout cas le mérite de souligner la rationalité de l’union pour l’avenir, et de pointer le dilemme qui se pose aux gauches pour les européennes : relancer au plus tôt la dynamique de cette union en menant campagne commune (mais en risquant un procès permanent en insincérité) ; ou profiter de la nature de ce scrutin pour assumer « à la loyale » leurs différences (mais en risquant d’exagérer ce qui les sépare, tout en présentant un éparpillement illisible pour l’électorat le moins connaisseur de la vie politique).

Fabien Escalona


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message