Commission mixte paritaire sur les retraites : un accord et beaucoup de colère

samedi 18 mars 2023.
 

Réunis en petit comité pour réécrire le texte qui devrait être soumis au vote demain, le gouvernement et le parti Les Républicains ont adopté un « compromis ». Dénonçant un « coup de force » démocratique, la gauche a largement levé le voile sur les discussions censées se tenir à huis clos.

Le moment était très attendu, qualifié même d’« historique ». Mercredi 15 mars, la commission mixte paritaire (CMP) s’est réunie, pendant plus de huit heures, dans la salle de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, pour s’accorder et réécrire le texte sur la réforme des retraites. Vers 17 h 30, cette nouvelle version, qui devrait être présentée au vote au Sénat puis à l’Assemblée nationale jeudi 16 mars – à moins que le gouvernement ne décide de recourir au 49-3 –, a été adoptée par 10 voix contre 4.

Peu avant, au Sénat, le ministre du travail Olivier Dussopt semblait privilégier l’hypothèse d’un vote : « Cette réforme a une majorité, elle peut être votée par tous ceux qui sont prêts à sauver le système par répartition », déclarait-il. Réagissant à la conclusion positive de la CMP, il a ajouté sur Twitter : « Nous serons au rendez-vous au Sénat puis à l’Assemblée nationale pour confirmer ces conclusions. »

« Cela a fini comme ça avait commencé, par des mots d’amour [entre les membres du parti Les Républicains et les macronistes – ndlr]. Le deal était ficelé d’avance, c’était une mascarade », a dénoncé pour sa part le député socialiste Arthur Delaporte dans la salle des Quatre-Colonnes, devant une nuée de journalistes.

Autour de la table de cette CMP siégeaient sept sénateurs et sept députés – et autant de suppléants –, rassemblés à huis clos. Sur les 14 titulaires, 10 étaient des élus de Renaissance (en majorité relative à l’Assemblée nationale) et du parti Les Républicains (en majorité absolue au Sénat), et 4 de l’opposition. Aux côtés du seul député du Rassemblement national (RN), Thomas Ménager, trois élues de gauche, la députée La France insoumise (LFI) Mathilde Panot et les sénatrices socialistes Monique Lubin et Corinne Féret.

Grâce à de multiples sources, les échanges ont pu être reconstitués par Mediapart – les parlementaires de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) ayant par ailleurs décidé, de manière concertée, de mettre le plus de lumière possible sur cette réunion confinée, via les réseaux sociaux.

Dès 9 heures, les macronistes et LR affichaient une entente cordiale, les deux groupes s’étant déjà mis d’accord sur le contenu du texte afin de s’assurer de sortir de la réunion avec une CMP dite « conclusive ». La veille, une délégation LR a d’ailleurs été reçue par la première ministre Élisabeth Borne à Matignon, histoire de fignoler les derniers détails de cette alliance de circonstance.

Preuve du caractère factice de la discussion : le parti Les Républicains a publié, à 17 heures, soit bien avant la fin de la réunion, un communiqué de presse (daté du 5 mars !) se félicitant d’une CMP conclusive… avant de le supprimer . Un « cafouillage », s’est excusée l’équipe du groupe au Palais-Bourbon.

La gauche a en revanche été prise de vitesse. Devant les journalistes, le député socialiste Arthur Delaporte dénonçait déjà, après deux heures de discussions, des conditions démocratiques « déplorables ».

Les membres de la Nupes n’ont eu connaissance de la proposition finale du texte, rédigé dans la nuit, qu’au début de la réunion : 110 pages comprenant 230 modifications illisibles, dont 38 sur le seul article 7 repoussant l’âge légal de départ à la retraite de deux ans. « Comment voulez-vous que la démocratie fonctionne ainsi ? », a déploré l’élu socialiste, qui a continué à faire la navette tout au long de la discussion.

Pour le camp présidentiel, l’enjeu était primordial : sans majorité absolue au Palais-Bourbon, il doit convaincre entre 35 et 40 députés LR pour s’assurer une majorité sur son texte. Or si la droite sénatoriale a docilement joué le jeu au palais du Luxembourg, permettant une large adoption du texte samedi soir, il n’en va pas de même du côté du groupe LR à l’Assemblée, où au moins un tiers de la soixantaine d’élus pourraient s’abstenir ou voter contre (lire l’article d’Ilyes Ramdani).

Entre la majorité et LR, le « mariage » est consommé

Dans ce contexte, la CMP visait à donner un maximum de garanties aux LR sur le fond du texte. « Il s’agit de produire un texte sur lequel les LR ne pourront pas voter “contre”, à la limite s’abstenir », décryptait, la veille, un député du groupe macroniste qui a multiplié, ces derniers jours, les tractations avec ses collègues de LR.

De fait, le texte reprend la quasi-totalité des ajouts de la droite sénatoriale : CDI senior exonéré de cotisations, surcote pour les mères de famille… « J’ai entendu dire que nous étions mariés avec le gouvernement. Cela ne me gêne pas puisque ces propositions venaient de nous », a lancé, lors de la réunion, la sénatrice LR Pascale Gruny. « Être dans l’opposition n’empêche pas de se saisir d’une des rares occasions de redressement dans le pays. Cela demande du courage, pas de la démagogie », a abondé Olivier Marleix, le patron de la droite LR à l’Assemblée nationale.

Quelques ajouts adoptés au Sénat ne figureront cependant pas dans le texte final. C’est le cas de l’amendement, voté par la droite sénatoriale, pour étudier la piste d’une capitalisation partielle des cotisations retraite, qui a finalement été écarté sur proposition des députés socialistes. Ou encore de celui incluant l’exposition aux agents chimiques dans le fonds d’usure professionnelle, au grand dam de la gauche.

Quant à la mesure pour les carrières longues, qui avait constitué la principale pierre d’achoppement entre le gouvernement et une partie des députés LR lors de l’examen du texte à l’Assemblée, seule la proposition a minima du gouvernement a été retenue. Aurélien Pradié, à la tête des LR frondeurs contre le texte, ne voit donc pas satisfaite son exigence qu’aucun des travailleurs ayant commencé à travailler avant 18 ans ne doive cotiser plus de 43 annuités.

Une faille que n’a pas manqué de relever l’opposition. « LR, vous vous faites duper ! », a lancé, dans l’après-midi, Arthur Delaporte, qui a proposé, en vain, un amendement pour que soit précisé dans l’article 8 que la durée de cotisation ne puisse excéder les 43 annuités. « Il faut garder les bornes d’âge parce que sinon [...] le coût est exorbitant : 9 milliards ! », a rétorqué René-Paul Savary, rapporteur (LR) du texte au Sénat.

La CMP a en revanche concédé le vote de l’amendement de la socialiste Laurence Rossignol en faveur d’une meilleure égalité de traitement entre les pères et les mères de famille, l’un des très rares amendements de la gauche qui avait été voté par la Chambre haute. Là encore, il a été réintroduit dans le texte avec la bénédiction de LR : « Je suis déstabilisé d’être d’accord avec Mme Panot et Mme Rousseau [qui ont défendu l’amendement durant la commission – ndlr]. Je trouve que ce qui avait été voté au Sénat est intéressant. La situation des femmes, la question des droits familiaux, laisse un goût d’inachevé », a commenté Olivier Marleix.

Sur la forme comme sur le fond, la majorité présidentielle a, tout au long de ces quasi neuf heures émaillées de tensions avec l’opposition, redoublé d’amabilités à l’égard de la droite LR. « Heureusement que vous êtes là, chers collègues sénateurs », a flatté, en introduction, le député du Modem (allié de Renaissance à l’Assemblée) Philippe Vigier, quand le député macroniste Sylvain Maillard a loué une CMP « qui redonne du souffle à la démocratie ».

Des propos qui ont fait bondir la gauche, laquelle a souligné que dix parlementaires réunis à huis clos sans mandat de l’Assemblée nationale (qui a arrêté l’examen du texte avant l’article 3) ne pouvaient imposer une réforme contre laquelle des millions de personnes manifestent depuis des semaines.

L’adoption de l’article 7 par la CMP en début d’après-midi, au moment même où des manifestants passaient sous les fenêtres du Palais-Bourbon avec slogans et fumigènes, suivant un itinéraire dérivatif de la manifestation, fait à ce titre figure de symbole.

Une Commission Mixte Paritaire « hors les murs »

En dépit des désavantages avec lesquels elle partait, la gauche, en minorité, a donc utilisé la seule arme dont elle disposait : la mise en lumière de la CMP, censée se dérouler à l’abri des regards. De quoi lui permettre, au passage, de continuer à diffuser ses messages contre une réforme « injuste » et au parcours parlementaire « antidémocratique », cependant qu’une huitième journée de mobilisation avait lieu au-dehors.

Du véhicule législatif choisi par le gouvernement – une loi de finances – au recours à l’article 47-1 pour réduire le temps des débats, en passant par l’utilisation, au Sénat, des articles 38, 40, 44 et 44-3 qui « ont été invoqués pour casser le débat », Mathilde Panot a souligné un « problème de sincérité très fort sur le texte », passible d’une saisine au Conseil constitutionnel (le texte soulevant les points problématiques a déjà été quasiment rédigé par la gauche).

« Nous avons passé huit heures et demie de CMP dans une ambiance lunaire, c’était comme s’il n’y avait pas de mouvement social dans notre pays », a-t-elle réagi en sortant de cette réunion marathon. « Si nous n’avions pas été là, avec des actions pour cette CMP transparente, elle aurait peut-être duré deux ou trois heures », a-t-elle souligné. Et la députée écologiste Sandrine Rousseau d’abonder, en référence aux députés LR : « On a vu des députés qui vendaient leur âme bien facilement. On ne lâche rien. »

Depuis des jours, la gauche comme le petit groupe de députés centristes Liot (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires) réclamaient que les débats de cette CMP exceptionnelle soient rendus publics, en vain – la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, s’y est refusée au nom de « règles de procédure » dont l’interprétation a été contestée par certains parlementaires.

Dès le matin, la publicisation des débats par la Nupes sur les réseaux sociaux – le député LFI Ugo Bernalicis y a même consacré un live sur sa chaîne Twitch – a mis en rogne le ministre du travail, Olivier Dussopt : « Il y a des règles. Une des tendances assez régulières des membres de La France insoumise, c’est de vouloir casser les règles et remettre en cause le fonctionnement des institutions », a-t-il accusé sur Public Sénat, preuve d’un certain malaise, ajoutant que « la CMP a toujours fait l’objet d’un compte rendu mais c’est un lieu de discussions, une réunion de travail avant tout ».

Après la décision conclusive de la CMP, le député Renaissance Sylvain Maillard se félicitait d’avoir obtenu un « texte d’équilibre, dont on a pu améliorer l’écriture, parfois dans un consensus général », et annonçait : « Nous irons au vote [dans l’hémicycle – ndlr], comme prévu, demain à 15 heures. »

Mathieu Dejean et Pauline Graulle


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