Loi énergies renouvelables : en position de force, la Nupes engage un bras de fer avec la majorité (Mediapart)

dimanche 11 décembre 2022.
 

Pour faire adopter son projet de loi visant à développer l’éolien et le solaire, le gouvernement a impérativement besoin du soutien des écologistes et de la gauche, qui comptent bien pousser leur avantage lors des deux semaines de débats qui débutent lundi dans l’hémicycle.

Une éclaircie dans un ciel d’orage. Alors qu’arrive, lundi 5 décembre, le projet de loi d’accélération des énergies renouvelables en séance publique, la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes), coalition parlementaire regroupant les groupes insoumis, communiste, socialiste et écologiste, se retrouve, pour la première fois depuis la réélection d’Emmanuel Macron, en position de force à l’Assemblée nationale.

« Le gouvernement n’a pas le choix, il est obligé de faire avec nous s’il veut que sa loi soit adoptée », observe le député écologiste d’Indre-et-Loire Charles Fournier. « Mais si nous ferons tout pour que cette loi soit votable, on ne la votera que si elle a sérieusement évolué », ajoute-t-il, bien décidé à faire monter les enchères lors des deux semaines que durera l’examen du texte dans l’hémicycle.

Un avertissement à peine voilé à destination d’un gouvernement qui aborde, en ce début d’hiver, un texte très stratégique. En affichant sa volonté de booster l’éolien et le solaire, l’exécutif vise deux objectifs : montrer qu’il est aux commandes alors que point à l’horizon une crise énergétique sans précédent, et envoyer quelques cartes postales à un électorat sensible à la problématique du changement climatique.

Mais l’enjeu est aussi, et peut-être surtout, de montrer que la fameuse « méthode Borne » – à savoir trouver des majorités texte par texte, comme l’expliquait, à son arrivée à Matignon, la première ministre – n’est pas une vue de l’esprit.

Or, de ce côté, rien n’est gagné. Adopté à une très large majorité au Sénat il y a un mois jour pour jour, le projet de loi sur les énergies renouvelables est en effet loin de susciter l’adhésion du Palais-Bourbon. Avec, d’un côté, des députés Les Républicains (LR) allergiques à ce qu’ils nomment la « loi éoliennes », de l’autre, le Rassemblement national (RN), qui n’a jamais caché tout le mal qu’il pensait de ces « escroqueries écologiques [qui] défigurent nos paysages », voilà le gouvernement contraint de se tourner vers son flanc gauche pour espérer faire passer son texte.

Un virage serré, d’autant que depuis le début de la législature, le groupe Renaissance (ex-La République en marche) à l’Assemblée a fait de LR sa principale force d’appoint. Et que, du « paquet » pouvoir d’achat à la loi de programmation du ministère de l’intérieur, en passant par la réforme de l’assurance-chômage, la majorité s’est mis à dos tout ou partie de la Nupes, guère disposée à faire quelque cadeau politique à une majorité aux abois.

Alors, à la veille de l’examen public du texte, le suspense plane. « J’espère qu’il y aura un esprit de responsabilité, c’est le sens de l’histoire », exhorte le député Renaissance Pierre Cazeneuve, corapporteur du texte au sein de la commission développement durable de l’Assemblée, qui se dit « comme saint Thomas » : pas question de faire des plans sur la comète avant le vote définitif.

Opération séduction

En attendant, c’est une opération séduction de grande envergure qui a été menée, ces derniers mois, à destination de la Nupes : rencontre de tous les chefs de file de la coalition, organisation de déjeuners de travail ou de dîners à l’hôtel de Roquelaure (siège du ministère de l’écologie), intégration, sans coup férir, de plusieurs amendements venus de la gauche et des écologistes lors des discussions préparatoires en commission… La ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, n’a pas ménagé ses efforts pour dorloter l’opposition. « Elle a co-construit le texte en amont avec la gauche et les écologistes, et les échanges ont été très courtois », narre Pierre Cazeneuve.

Une fois n’est pas coutume, l’exécutif a aussi fait les yeux doux à La France insoumise (LFI), jusqu’alors « blacklistée », au même titre que le RN, par une majorité refusant, publiquement du moins, tout contact avec « les extrêmes » (sic). Il faut dire que l’attitude des mélenchonistes sera déterminante : sans au minimum une abstention du groupe, et quand bien même le Parti socialiste (PS) et les écologistes voteraient pour le projet de loi, la majorité peut dire adieu à ses ambitions.

On a eu de véritables discussions avec le gouvernement, on n’est pas habitués, ça fait tout drôle.

Dominique Potier, député socialiste

Certes, le dialogue n’a pas été tout à fait le même avec tous les groupes membres de la Nupes, l’exécutif ayant ainsi conclu des « deals plus poussés » avec les socialistes et les écologistes. « Je ne sais pas si on peut parler de “deals”, mais oui, il y a eu des échanges allant jusqu’à des propositions formelles », tempère Charles Fournier, qui juge qu’à force de persuasion, le gouvernement, qui envisageait au départ le développement des énergies renouvelables sous le seul prisme de l’assouplissement des règlementations protectrices de l’environnement, a peu à peu enrichi son analyse.

Le message a en tout cas été reçu cinq sur cinq : « On a eu de véritables discussions, on n’est pas habitués, ça fait tout drôle », ironisait, en fin de semaine, le socialiste Dominique Potier qui, à chaque étape de la discussion, a trouvé grande ouverte la porte du cabinet de la ministre. « On a eu la possibilité de confronter nos points de vue, les relations ont été moins désagréables que d’habitude », reconnaît elle aussi l’Insoumise Clémence Guetté, qui note toutefois qu’être écouté, ce n’est pas être entendu. Et encore moins suivi.

Points de blocage

Car, en dépit de la bonne volonté dont fait montre le gouvernement, le texte continue de susciter de fortes résistances au sein d’une gauche qui aborde les négociations avec beaucoup de prudence. Y compris chez le PS et EELV, les deux groupes les plus enclins à voter « pour », pas question de donner quelque blanc-seing que ce soit.

« Le temps de la séance sera le temps de la vérification. Il faudra qu’on soit fiers de cette loi pour la voter », avertit Dominique Potier, qui se méfie de l’influence des lobbies pendant l’examen du texte en séance. « On a obtenu des avancées en commission, mais on n’exclut pas de voter contre si, par exemple, l’article sur le veto des maires [un article autorisant les élus à s’opposer à l’installation d’éoliennes ou de panneaux solaires dans leur ville – ndlr], qui a été évacué au Sénat, refait surface », ajoute Charles Fournier.

À La France insoumise comme au Parti communiste français (PCF), on s’inquiète aussi de la philosophie générale d’un texte qui, derrière les discours consensuels sur la transition écologique, conduirait en réalité à déréguler plus encore le marché de l’énergie en offrant aux promoteurs privés le juteux pactole des renouvelables.

Une approche moins écologique que « business », corroborée par le choix de l’exécutif d’avoir privilégié, pour l’examen préalable du texte, la commission des affaires économiques, présidée par le très libéral Guillaume Kasbarian, à celle du développement durable.

À l’arrivée, pourtant, l’économie française pourrait ne pas être aussi bien servie qu’attendu. « Sans même parler de protectionnisme, on aurait pu penser que le gouvernement aurait à cœur de créer des filières françaises permettant de créer de l’emploi, car les éoliennes sont construites en Allemagne et les panneaux photovoltaïques en Chine. Mais ça ne semble pas parti pour », regrette Clémence Guetté, qui proposera en début de semaine une proposition de loi pour « garantir l’emploi et la souveraineté stratégique » en matière de renouvelables.

Parmi les autres points de blocage : l’article sur le « partage de la valeur », consistant à accorder des ristournes aux habitants des zones d’implantation des éoliennes comme un dédommagement pour le « préjudice » subi, qui rompt avec la tradition française de la péréquation tarifaire. Ou encore le développement à tout crin de l’agrivoltaïsme (la pose de panneaux solaires sur des surfaces agricoles), qui fait craindre une raréfaction des terres cultivables.

LFI et les écologistes plaident pour un mix énergétique 100 % renouvelables. Leur opposition au texte serait incompréhensible pour leur électorat.

Pierre Cazeneuve, député Renaissance

« On reste également attentifs à l’amendement déposé par le gouvernement sur la notion d’“intérêt public majeur” qui permettrait de déroger automatiquement aux mesures de protection des espèces pour implanter des énergies renouvelables. C’est le risque d’ouvrir une boîte de Pandore alors qu’on peut largement réussir la transition en exploitant les endroits déjà artificialisés », ajoute Charles Fournier.

Voix un peu discordante au sein de la Nupes, le groupe communiste à l’Assemblée (le groupe de leurs homologues au Sénat est le seul à s’être abstenu au Palais du Luxembourg) revendique, lui, un rôle plus important accordé aux maires, proche du fameux droit de veto, qui fait office de ligne rouge pour les autres membres de la coalition.

Le député PCF Sébastien Jumel entend aussi sacraliser la bande côtière en tentant d’interdire l’implantation des éoliennes offshore à moins de 22 km du rivage : « Slalomer par gros temps entre les éoliennes, non merci !, lance l’ancien maire de Dieppe. Et puis que vont devenir les marins pendant les années de travaux liés à la construction des éoliennes qui vont faire fuir les poissons ? »

Momentum

Autant de nuances qui demeurent au sein de la coalition de la gauche que les réunions intergroupes ont néanmoins permis d’atténuer, voire de dépasser, chacun avançant ses priorités et faisant valoir ses spécialités : l’aménagement technique et la relation aux élus pour le PS, la biodiversité pour les écologistes, la dimension sociale pour le PCF, la planification pour LFI, plus jacobine que les Verts…

« On a bien travaillé ensemble, on s’est nourris les uns les autres », reconnaît ainsi Dominique Potier, qui n’a pourtant jamais été un fan de la première heure de la Nupes.

Reste désormais à faire jouer le rapport de force en séance. Une gageure du fait du temps législatif programmé, qui proportionnalise les interventions au poids politique des groupes dans l’hémicycle, et contraint le temps d’examen des 3 000 amendements déposés. Du côté de la majorité, on mise en outre sur le levier « opinion publique » pour résister au bras de fer. « LFI et les écologistes plaident pour un mix énergétique 100 % renouvelables. Une opposition au texte serait incompréhensible pour leur électorat », argue Pierre Cazeneuve.

Pas de quoi faire ciller les écologistes. « Le développement des énergies renouvelables ne se joue pas sur ce seul texte. Ceux qui nous reprocheraient de bloquer le texte sont aussi ceux qui n’ont jamais rien fait sur le sujet », rétorque Charles Fournier, pointant le fait que le saucissonnage des lois énergie ainsi que leur curieux timing – un texte sur les ENR, un autre sur le nucléaire, avant une loi sur la programmation pluriannuelle de l’énergie au printemps prochain – traduisent un manque de « vision » globale.

« Nous ne sommes pas là pour être la caution de gauche du macroniste », met quant à lui en garde Dominique Potier, qui espère – « qui sait ? » – que les échanges avec la majorité feront office de « laboratoire » pour la suite, et pas seulement de « parenthèse ».

À l’aube d’une nouvelle bataille sur la réforme des retraites, de la loi Darmanin sur l’immigration – une loi « beaucoup plus dure que la loi Collomb », selon l’aveu d’une députée macroniste –, et alors que le gouvernement n’en a pas fini avec sa série de 49-3 sur les questions budgétaires, on peine pourtant à voir comment le « momentum » de la gauche et de l’écologie pourrait durer.

Pauline Graulle


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