La campagne interne de LR achève la radicalisation de la droite

mardi 6 décembre 2022.
 

Les 90 000 adhérents revendiqués du parti Les Républicains (LR) doivent désigner, à partir du 3 décembre, leur nouveau président. Les semaines de campagne interne ont montré le rétrécissement idéologique d’un mouvement en lutte pour sa survie.

En quittant Les Républicains (LR) début novembre, Jean-Luc Moudenc, le maire de Toulouse (Haute-Garonne), déplorait le « recroquevillement » et la « droitisation » de sa formation. La campagne interne pour la présidence du parti, avant le congrès qui s’ouvre samedi 3 décembre, n’a pas dû faire changer d’avis l’édile de la quatrième ville française, la plus grande dirigée par LR.

De quoi ont parlé, des semaines durant, les candidats à la présidence ? Essentiellement d’eux-mêmes et des étrangers. C’est une double obsession identitaire qui a hanté le débat interne : identité partisane et identité nationale. Sur ce second point, le programme du candidat considéré comme le favori, Éric Ciotti, laisse peu de place au doute. Les trois premiers chantiers qu’il dit vouloir ouvrir sont les suivants : « rétablir l’ordre », diminuer drastiquement l’immigration et « stopper l’islamisme ».

Mercredi 16 novembre, dans un café parisien du très chic VIIe arrondissement, le député des Alpes-Maritimes, devant un parterre en grande partie composé de têtes chenues, n’a pas dit autre chose. « Je suis de droite, je le dis, je l’assume et ne m’en excuserai pas », a affirmé Éric Ciotti en préambule. Son programme pour LR est assez simple : « redevenir le parti des idées, de la double peine, des peines planchers ». Avec lui aux commandes, l’expulsion des délinquants étrangers sera « automatique ».

Dans cette campagne interne identitaire, certains ont été jusqu’à reprocher à Éric Ciotti d’avoir hurlé avec les loups en dénonçant la sortie du député Rassemblement national (RN) de Gironde, Grégoire de Fournas, qui réclamait que les bateaux de migrants « retournent en Afrique ».

La ligne Ciotti a déjà gagné la bataille interne

Interrogé ce soir-là par un militant, Éric Ciotti a reconnu qu’il a eu « un énorme doute » au moment des propos – ne sachant pas si le député parlait des migrants ou bien du député noir Carlos Martens Bilongo (La France insoumise – LFI). « Sur le fond, explique Ciotti, je le dis depuis 5 ans et toujours depuis : ces bateaux doivent retourner en Afrique. »

Sa timide sortie anti-raciste avait gêné jusqu’à ses soutiens. Son principal adversaire, Bruno Retailleau, s’était engouffré dans la brèche, en évoquant une « entreprise d’intimidation » de l’extrême gauche et en écrivant sur son blog : « Personne ne peut considérer comme raciste le fait de réclamer le retour des clandestins. » « On n’attend pas de la droite française qu’elle rétablisse je ne sais quel cordon sanitaire. On attend d’elle qu’elle assume », a-t-il encore répété le 26 novembre, devant le conseil national de LR.

Autrefois à la marge droitière du parti, la ligne Ciotti n’a plus grand-chose d’original aujourd’hui. Là réside, déjà, la victoire de l’élu niçois. Il y a quelques années, son discours aurait suscité des protestations internes, des débats sur la digue à tenir face à l’extrême droite, des tribunes enflammées sur le danger de la « radicalisation »…

L’année dernière encore, tous les candidats éliminés du premier tour s’étaient rangés derrière Valérie Pécresse au second tour, dans un front anti-Ciotti. Cette fois-ci, les deux autres postulants n’ont pas seulement pris soin de ne pas critiquer la ligne de leur concurrent ; ils en ont épousé la plupart des obsessions.

Bruno Retailleau, le président du groupe LR au Sénat, a ajouté à son discours libéral-conservateur des envolées à la mode sur le « wokisme », les « islamo-gauchistes » et les « communautaristes » qui constitueraient un « danger pour la République », le « burkini » ou encore sur la « bien-pensance » de la gauche qui aurait enfermé la droite dans le « politiquement correct ».

Même Aurélien Pradié, réputé modéré sur les questions dites régaliennes, a surpris son monde. Au cours de la campagne, il a défendu le port de l’uniforme jusqu’à l’université, suggéré l’interdiction du port du voile dans l’espace public, parlé de « zones de non-droit » et d’immigration « incontrôlée »… Surtout, le député du Lot a fait discrètes les critiques qu’il formule de longue date contre la dérive droitière de ses concurrents.

Dans une campagne globalement atone, il n’est pas anodin que les rares moments de tension se soient déroulés sur le terrain sécuritaire et migratoire. Après le meurtre de la petite Lola mi-octobre, Éric Ciotti a lié le drame à un « laxisme migratoire criminel » et Bruno Retailleau a proposé de créer un délit de « non-assistance à Français en danger ». Des positions qu’Aurélien Pradié a jugées indécentes, demandant « d’attendre que Lola soit enterrée », par « principe »... avant d’embrayer, quelques jours plus tard, sur le même refrain que ses compagnons de route.

L’autre grand sujet de la campagne interne, rythmée par la tournée des fédérations qu’ont menée les trois candidats, avait trait à l’avenir du parti Les Républicains. Sans que ces trois cadres de LR ne paraissent prendre de front l’équation existentielle de leur formation : quel espace politique occuper entre Emmanuel Macron et l’extrême droite ?

Encore présente avant la présidentielle dans le discours de Valérie Pécresse, la volonté de faire revenir au « bercail » l’électorat LR séduit par Emmanuel Macron a disparu de la circulation, rue de Vaugirard. Les débats de fond sur ce que doit être la droite française, son rapport au libéralisme, l’organisation du parti, le renouvellement de ses idées ont brillé par leur absence.

À la place, les trois candidats se sont disputés pour savoir si, oui ou non, il fallait dilapider l’héritage de Nicolas Sarkozy, désigner Laurent Wauquiez comme candidat à l’élection présidentielle, organiser un vote des militant·es pour 2027… L’ombre de l’ancien président de la République a plané, une fois encore, sur la campagne interne. « Nous devons tourner la page du sarkozysme », a plaidé Aurélien Pradié, tandis que Bruno Retailleau a dit qu’il ne le « retiendra[it] pas » s’il quittait LR.

La campagne aurait pu être très dense idéologiquement et, en réalité, on a vu des divergences de slogans plutôt que de fond.

Émilien Houard-Vial, politiste

Le sujet de la prochaine élection présidentielle a lui aussi trouvé une place de choix dans la course au congrès. Dans un parti qui enchaîne les débâcles électorales et sort d’une présidentielle à 4,8 %, on a débattu pour savoir s’il fallait un vote des adhérent·es ou une nomination du bureau politique et s’il était adroit ou non de désigner le candidat dès 2023 (Éric Ciotti a déjà annoncé qu’il voulait propulser Laurent Wauquiez le plus tôt possible).

« Il existe chez les trois candidats une même idée que les militants attendent une forme de pureté, juge le politiste Émilien Houard-Vial, doctorant à Sciences Po et spécialiste de la droite LR. Sur l’organisation du parti, par exemple, il n’y a pas eu de propositions de fond. Les trois ont été dans cette course à la loyauté, en mettant en avant l’idée de retrouver un grand parti. »

Les joutes internes entre libéraux et sociaux-étatistes, européens et souverainistes, gaullistes et centristes appartiennent au passé. Les trois droites – bonapartistes, orléanistes et légitimistes – décrites par René Rémond dans les années 1980 incarnent une grille de lecture aujourd’hui désuète. « Tout ça, c’est des cases qui ne m’intéressent pas », balaie par exemple Aurélien Pradié quand on lui pose la question.

Lui a joué à fond la carte de la « droite populaire » et vanté son âge comme un atout. « Notre idée, c’est d’en faire un combat générationnel, pas celui des modérés contre les radicaux », résumait un de ses lieutenants à la rentrée. L’actuel numéro 3 de LR disait récemment dans Ouest-France : « Les adhérents en ont assez de voir toujours les mêmes querelles, les mêmes chefs s’entre-tuer, ils ont besoin d’une respiration nouvelle. »

« Ce n’est pas un grand débat idéologique, c’est une élection interne qui va se jouer au nombre de cartes », soupire, fataliste, un député LR. Émilien Houard-Vial abonde : « Au lieu de trancher sur des lignes, tout le monde a cherché le consensus, explique le politiste. La campagne aurait pu être très dense idéologiquement et, en réalité, on a vu des divergences de slogans plutôt que de fond. »

À la veille du premier tour, dont les résultats seront annoncés dimanche soir, les discussions des élu·es et des militant·es portent moins sur les querelles idéologiques que sur la cuisine interne du scrutin. « Chacun a surveillé son ancrage local, qui a quelle fédération, qui a fait des cartes… », résume un cadre du parti. Faute de sondages, sur lesquels ils fondent, en règle générale, l’essentiel de leurs analyses politiques, c’est le petit jeu des pronostics qui donne la température.

Finaliste du congrès l’année dernière, Éric Ciotti fait figure de favori des connaisseurs des arcanes LR. « Il a une grosse fédé [il préside celle des Alpes-Maritimes, la première de France – ndlr], l’électorat âgé du parti l’adore, Wauquiez le soutient », résume le député LR cité plus haut. Un autre embraye : « On sait tous comment ça va se terminer. Il n’y a aucun suspense. »

Christophe Gueugneau et Ilyes Ramdani


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