Face à Parcoursup, des milliers de jeunes toujours en détresse

samedi 3 septembre 2022.
 

Mi-juillet, presque 100 000 jeunes, bac en poche, n’avaient aucune perspective d’études. Combien en reste-t-il à moins de trois semaines de la rentrée universitaire ? Le ministère reste muet, tandis que syndicats étudiants et enseignants dénoncent la misère de l’enseignement supérieur.

À la vue des résultats d’admission de Parcoursup, début juin, elle « n’en revenai[t] pas, ça a été un électrochoc », se souvient Clara. Un mélange de désarroi et de dégoût l’envahit, des sentiments encore palpables dans sa voix lorsqu’elle évoque ce sujet. Aujourd’hui, à trois semaines de la rentrée universitaire, Clara n’a toujours pas de proposition d’admission pour poursuivre ses études dans le supérieur.

Et elle n’est certainement pas la seule, à en croire les derniers chiffres du ministère de l’enseignement supérieur, qui remontent à mi-juillet : pas moins de 94 000 inscrit·es n’avaient alors aucune proposition d’entrée dans un cursus du supérieur.

Le dispositif Parcoursup était pourtant vendu, lors de son lancement en 2018, comme un moyen de lutter contre ce phénomène. « L’idéologie derrière ce dispositif, c’est qu’on estime que c’est du gâchis de proposer à tous les bacheliers d’aller là où ils veulent », s’agace Hervé Cristofol, enseignant-chercheur en génie mécanique à l’université d’Angers et membre du bureau national du Snesup (Syndicat national de l’enseignement supérieur), premier syndicat dans l’enseignement supérieur. Il poursuit : « Le système va affecter les étudiants, non pas aux formations qu’ils veulent, mais à celles dans lesquelles ils ont le plus de chances de réussir. »

Clara avait pourtant choisi ses spécialités en fonction de son objectif professionnel, être avocate : « J’ai pris HGGSP [histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques — ndlr] et SES [sciences économiques et sociales — ndlr] comme spécialités, avec une option droit. » À l’école, elle se définit comme une bonne élève et son bulletin semble l’illustrer : « Je faisais partie des meilleurs de ma classe, j’oscillais entre 15,5 et 16 de moyenne », indique-t-elle. La déception n’en a été que plus grande : « Toute l’année, mes profs m’avaient dit que j’allais m’en sortir, qu’il ne devrait pas y avoir de problèmes pour mon orientation. Et au final, presque rien. »

Elle est sur liste d’attente pour presque tous ses vœux, y compris pour rentrer en licence de sciences politiques. Bien que cela ne soit pas son domaine d’étude privilégié, elle était « obligée de le mettre pour compléter [ses] candidatures ». Pour elle, c’était un moyen d’accéder à sa vocation : « Je me suis dit que j’avais peut-être plus de chances d’être prise en sciences politiques pour après aller vers le droit. » Le verdict reste le même que pour les études de droit : refus ou liste d’attente.

Le nombre d’étudiant·es sans proposition d’admission « est en hausse par rapport à l’année dernière mais de pas grand-chose, ça reste stable », estime Pauline Lebaron, étudiante en master d’histoire à Sciences Po et vice-présidente du syndicat étudiant Unef (Union nationale des étudiants de France). Elle pointe aussi du doigt le manque de transparence des pouvoirs publics : « C’est très difficile d’avoir des chiffres, parce qu’on a pas de transparence de la part du ministère. »

En effet, si le ministère proposait un tableau de bord quotidien durant la première phase d’admission, celui-ci a disparu depuis la phase complémentaire entamée en juillet. Et même avant ça, les chiffres n’étaient pas clairs : « On avait les données sur 840 000 candidats, alors qu’il y a 930 000 inscrits sur Parcoursup », constate Pauline Lebaron, car certain·es « sont en reprise d’études et les chiffres ne nous sont pas communiqués ». Elle estime que « c’est essentiellement le sous-financement de l’enseignement supérieur qui crée un manque de places, avec des établissements qui ne sont pas prêts à recevoir autant de monde ».

Au lieu d’investir pour créer des places, on va sélectionner avec une logique assez élitiste et donc entraîner une ségrégation.

Pauline Lebaron, vice-présidente de l’Unef

Pour Clara aussi, la responsabilité revient au gouvernement et au système mis en place : « L’État n’a pas pris conscience qu’il va y avoir de plus en plus de bacheliers et de personnes qui vont faire des études. » La lycéenne fustige le manque de moyens mis par l’État pour l’enseignement supérieur : « L’État a peur et n’investit pas, donc forcément ils sont obligés de sélectionner. »

Le constat est partagé par Hervé Cristofol : « Pour nous, le bac est le sésame pour accéder aux études universitaires. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas forcément brillé au lycée qu’on ne va pas réussir dans le supérieur », martèle l’enseignant-chercheur. Au-delà de la dimension économique, c’est donc la dimension philosophique de Parcoursup qui dérange. Même point de vue du côté de l’Unef : « Au lieu d’investir pour créer des places, on va sélectionner avec une logique assez élitiste et donc entraîner une ségrégation », relève Pauline Lebaron. Un système de sélection qui ne facilite pas l’accès aux filières dites « en tension ».

Parmi ces dernières, on retrouve les cursus de droit, de santé, de sport ou encore de psychologie. C’est cette filière que cible Sofiane pour la deuxième fois. Bachelier en 2021 avec mention « assez bien », il n’avait déjà pas eu de proposition l’année dernière : « Mon plus haut niveau, c’était 32e sur liste d’attente en psycho à Nanterre. Du coup, j’ai travaillé toute l’année dans la restauration, histoire de ne pas rester chez moi à ne rien faire », affirme-t-il.

Les spécialités qu’il a choisies (SVT et mathématiques) sont pourtant recommandées pour ce cursus. Sa seule proposition d’admission est à Paris, « en licence de langue et civilisation coréenne, alors que j’ai mis ce vœu juste pour remplir la liste », poursuit Sofiane. Il tente d’en rire : « Je n’ai rien contre la Corée, mais bon, la K-pop ça ne m’intéresse pas des masses. » Derrière son sourire se cache malgré tout la crainte de devoir passer une année supplémentaire sans études dans le supérieur. « D’année en année, on voit la situation empirer », déclare Laura Parent, responsable du pôle de défense individuelle de l’Unef à SOS Inscription.

D’après son expérience de terrain, le problème « est que la sélection ne fonctionne pas du tout. Parcoursup met plus de pression [aux candidats] qu’autre chose ». Un stress d’autant plus fort lorsque les étudiants n’ont pas de propositions : « Lorsqu’ils nous contactent, on les aide à faire des lettres de motivation. On insiste auprès des universités, on appuie leur dossier », explique la syndicaliste. Pour cette dernière, ce sont toujours les filières en tension qui posent problème « car il y a de plus en plus d’étudiants et de demandes ». Dans les cursus non universitaires, la situation est compliquée également : « En BTS ou BUT [bachelor universitaire technologique, ex-DUT — ndlr], les places sont très limitées à la base, donc ils n’ont plus de place pour les étudiants sans admission », ajoute Laura Parent.

Une aubaine pour le privé ?

Lors du lancement de la phase complémentaire, le 23 juin, un chiffre de 5 300 formations encore en recherche d’étudiant·es était pourtant avancé. « Les places disponibles le sont surtout dans le privé. L’offre y est plus importante que la demande », précise Hervé Cristofol. Il renchérit : « L’État n’assure pas la croissance du nombre d’étudiants, donc il préfère sous-traiter ça au privé. »

En regardant les chiffres, le constat est frappant. Une note flash du SIES (Systèmes d’information et études statistiques) indique que près de un quart de la population étudiante va dans l’enseignement supérieur privé. Là où les effectifs augmentent de 0,3 % dans public, le privé connaît une augmentation de 10 %. « L’année dernière, la ministre disait qu’il y avait 247 étudiants sans proposition d’admission, mais beaucoup avaient arrêté leurs recherches ou sont partis dans le privé », rappelle Pauline Lebaron.

Pour la vice-présidente de l’Unef, si le ministère met en avant le nombre de places vacantes, « cela montre qu’il n’a pas pris la mesure du problème ». D’autant que la présence de formations privées sur Parcoursup « fausse le nombre de places disponibles ». Elle demande « un plan d’urgence pour l’enseignement supérieur, avec la création de 130 000 places ».

Du côté du Snesup, Hervé Cristofol demande « 7 500 créations d’emplois de personnels administratifs et d’enseignants-chercheurs, car le taux d’encadrement varie du simple au triple entre deux universités ». Ces personnels pourraient ainsi encadrer la création « de 100 000 places dans le supérieur, principalement dans les filières en tension », comme demandé par son syndicat. Il précise que l’État finance les places dans le supérieur « à hauteur de 6 000 euros », soit un investissement de 600 millions d’euros, pour un ministère qui dispose d’un budget de 24,8 milliards d’euros en 2022.

Pour Sofiane, le privé pourrait devenir une solution à terme : « Je vais continuer de travailler et retenter l’année prochaine et si je n’ai rien, je pense que je vais aller en BTS, au moins pour me dire que je n’ai pas fait des études pour rien. » Il renoncerait ainsi à son objectif premier, qui était d’être psychologue, mais relativise et prend l’exemple d’une camarade de classe qui « a eu son bac mention “très bien”. Elle était la première de la classe et se retrouve à faire des études de biologie alors qu’à la base elle voulait faire médecine… »

James Gregoire


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