Pouvoir d’achat : l’économie au bord du gouffre

mercredi 27 juillet 2022.
 

La pandémie de covid-19 a fortement percuté nos sociétés. Une déflagration d’une telle ampleur ne pouvait pas être sans conséquence sur le cours de l’économie mondiale. En 2020, le PIB mondial a reculé de 3%. A titre de comparaison, en 2009 pendant la crise financière globale, déclenchée par l’éclatement de la bulle des subprime, la baisse du PIB mondial s’établissait seulement à 0,1 %. Cette relative résilience de l’économie s’expliquait par le maintien d’une forte croissance en Chine et dans les économies émergentes. D’une certaine façon la crise du covid est la première véritable crise de l’économie globalisée. Si la déflagration a été brutale, le rebond a été tout aussi spectaculaire. En 2021 avec l’avancée de la vaccination et les perspectives d’un retour à la normale, un certain climat d’euphorie économique planait parmi les dirigeants de la planète. La réponse économique, forte et coordonnée, aurait permis, avec le progrès technologique (vaccins, déploiement du numérique dans l’entreprise), de préserver le tissu productif et le bilan des agents privés. Dès que les contraintes se levaient, la croissance retournait à son sentier pré-Covid.

Tout n’était pas rose et 2022 n’a rien arrangé

Or, derrière l’euphorie, des failles commençaient à apparaitre. Les vagues successives de Covid ont affecté les différentes zones du globe de façon non synchronisée. A chaque nouvelle vague un pan de l’économie mondiale souffrait et mettait à mal des maillons des chaînes de production globales. Ces chaînes de production étaient devenues de plus en plus longues et complexes. Faute de certains composants, les difficultés d’approvisionnement se développaient. L’exemple le plus commenté étant celui des micro-processeurs. Et si les productions étaient assurées, la fermeture des ports et le ralentissement des liaisons aériennes bloquaient le transport de marchandises. Les grandes multinationales du transport de marchandises ont profité de la situation pour restreindre leur offre et faire exploser leurs tarifs. Dans ce contexte, la hausse des prix des consommations intermédiaires se propageait progressivement dans les différentes étapes des processus productifs. Pour aggraver le problème, la spéculation faisait monter les cours des matières premières.

En parallèle la politique budgétaire américaine mise en place sous Trump en période pré-électorale ne s’était pas contentée de maintenir le pouvoir d’achat des états-uniens mais a augmenté le pouvoir d’achat. Au niveau macroéconomique, la hausse du pouvoir d’achat des ménages américains a été de plus de 12%. Dans ce contexte, la demande américaine des consommateurs américains est restée très dynamique, notamment pour les biens, plus souvent produits à l’étranger, que pour les services contraints par le covid. Ceci a poussé les multinationales à réorienter les flux de marchandises qui se détournaient des autres zones géographiques. Ce qui a certainement bénéficié au consommateur américain mais a aggravé les difficultés d’approvisionnement dans le reste du globe.

Si la situation était tendue fin-2021, le choc était jugé temporaire : la déstructuration des chaînes d’approvisionnement étant liée au caractère désynchronisé de la pandémie, le retour à la normale devait se traduire par une resynchronisation des processus courant 2022. Or, les nouveaux chocs subvenus en début d’année ont mis les voyants au rouge. D’une part, la politique de zéro covid chinoise devenait de plus en plus dure à mettre en œuvre avec l’apparition du variant Omicron – extrêmement contagieux- alors que les vaccins chinois sont jugés comme peu efficace face aux dernières souches du virus. Ceci a impliqué des mesures restrictives de plus en plus massives qui ont touché le cœur de l’économie chinoise. D’autre part, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a augmenté l’incertitude et s’est traduite par une explosion des cours des matières premières énergétiques.

Inflation galopante avec crise du pouvoir d’achat

Ces chocs globaux ont fini par affecter l’économie française. L’inflation, mesurée par l’indice des prix à la consommation, est de 5,8% en juin 2022 et pourrait atteindre 7% au cours de l’été selon les projections de l’Insee. Un tel niveau n’avait pas été connu en France depuis les années 1970. Certes, la moitié de l’accélération de l’inflation s’explique par les prix énergétiques payés par les ménages (+33%) mais l’autre moitié s’explique par la hausse des autres prix de l’économie, signe d’une dynamique plus globale s’expliquant par la transmission des prix le long de la chaîne de valeur. Face à la perspective de pertes de pouvoir d’achat importantes, le moral des ménages est au plus bas d’après les enquêtes de l’Insee. Les ménages sont très pessimistes concernant l’évolution future de l’économie et ceci se ressent dans leurs dépenses. A la surprise générale des experts, le PIB français s’est contracté de 0,2% au 1er trimestre 2022 du fait notamment du recul de 2% de la consommation des ménages. Sachant que ce recul reflète essentiellement des évolutions qui précédaient l’attaque russe, un pessimisme certain règne sur l’évolution de l’économie pour les mois à venir.

Au milieu de ces tensions, les banques centrales européenne et états-unienne s’inquiètent de l’évolution de l’inflation. Ces institutions, mandatées précisément pour lutter contre l’inflation, voient d’un mauvais œil l’évolution de l’indice des prix. Elles ont commencé à mettre en place des mesures de durcissement de leur politique monétaire, tout en annonçant que ce n’était que le début. Alors que les ménages perdent du pouvoir d’achat, les entreprises et les États subissent un durcissement de leur accès au crédit. La crise du pouvoir d’achat commence à s’étendre à d’autres acteurs économiques et en renchérissant le crédit pour les États peuvent freiner les mesures de soutien à l’économie. Or, cette décision des banques centrales est contestable : leurs outils traditionnels d’action sont incapables de lutter contre une hausse de prix générée par des contraintes d’approvisionnement. Rendre l’accès au crédit plus cher ne fera que renforcer les tensions. La cécité libérale risque de déclencher une récession majeure. Ironie de l’histoire, les spéculateurs financiers habitués à financer leurs paris risqués par la liquidité à bas coût risquent de souffrir d’une sévère gueule de bois. La chute fracassante des cryptomonnaies n’étant que la manifestation la plus caricaturale de ces dérives.

Donner du pouvoir d’achat aux classes populaires

Au-delà de la crise économique, c’est une crise sociale majeure avec le renchérissement à venir des produits alimentaires. Pour éviter la catastrophe sociale et la récession la seule alternative passe par redonner du pouvoir d’achat aux classes populaires. Seule la revalorisation des salaires et des prestations sociales peut redonner confiance aux ménages pour éviter la chute de la consommation populaire. C’est le but de la proposition de loi portée par la NUPES à l’Assemblée (lire ci-dessous). Plus fondamentalement, la réponse à cette crise nécessitera de s’attaquer à la racine des problèmes : organiser les échanges internationaux, relocaliser la production, sortir de la dépendance des énergies fossiles, réorganiser la production agricole et s’attaquer aux rentes des prédateurs. Car si la crise est sévère il ne faut pas oublier que les profits du secteur énergétique et du transport s’établissent à des niveaux qui n’avaient jamais été observés par l’Insee depuis 1949. Le gouvernement doit choisir entre la confiance populaire ou celle des profiteurs de crise.

Clara Alquier


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