Septième vague de Covid : le gouvernement pris à son propre piège

vendredi 8 juillet 2022.
 

Christian Lehmann est médecin et écrivain. Pour « Libération », il tient la chronique d’une société traversée par le Covid-19. Aujourd’hui, le choix gouvernemental de traiter le coronavirus par le déni entraîne forcément une dissonance cognitive...

Les actes ont des conséquences, et le point fort des politiques est d’éviter de les assumer. L’abandon à visée électoraliste pure du masque en lieu clos courant mars par Olivier Véran, alors que nous étions sur un plateau de 30 000 contaminations par jour, a amené à la situation insensée dans laquelle nous nous trouvons : une septième vague qui repart, des contaminations qui redoublent, avec un début d’impact sur les hospitalisations et les réanimations, des gens qui se croyaient hors d’atteinte infectés pour la deuxième ou la troisième fois, avec un risque cumulatif de séquelles organiques ou fonctionnelles potentiellement handicapantes.

Le testing a été pendant plusieurs mois réduit à la portion congrue, le système de contact tracing de l’Assurance maladie a été mis en sommeil, les centres vaccinaux ont été fermés, la vaccination des 5-11 ans n’a jamais donné lieu à une campagne d’information adaptée.

Depuis des mois, la doctrine gouvernementale française est calquée sur la Great Barrington Declaration : au nom de l’économie et d’une volonté de retour à la normale, on prétend que le Covid ne menace plus qu’une petite partie de la population, « les fragiles », que l’on fait semblant de savoir détecter et de protéger, sans plus se soucier de la population générale, chez laquelle omicron est, rappelons-le, « mild » (modéré), et « une chance » d’obtenir enfin l’immunité collective et de passer à autre chose.

On laisse donc circuler le virus et c’est dans les médias la valse des courtisans et des serviles, expliquant en janvier que modifier le protocole à l’école risque de déboussoler les parents (que l’infection à répétition de leurs enfants, par contre, est censée laisser de marbre) ou, plus récemment qu’il faut « apprendre à vivre avec les variants », une phrase qui, si l’on s’y arrête un instant, ne veut strictement rien dire.

Parce qu’en réalité, nous sommes tous « les fragiles », et qu’outre des symptômes désagréables pendant la phase aiguë, les variants peuvent toujours entraîner des formes sévères (essentiellement, mais pas seulement, chez les non-vaccinés) et des Covid longs avec de multiples atteintes viscérales cumulées, même chez des sujets sans comorbidité.

Et donc ce choix de traiter le Covid par le déni entraîne forcément, dès l’arrivée de nouveaux variants BA.4 et BA.5 qu’on a pourtant eu tout le temps de voir venir, depuis l’Afrique du Sud, jusqu’au Portugal, au Royaume-Uni, et chez nous, une telle dissonance cognitive que ministres et porte-parole du gouvernement sont pris à leur propre piège.

En quelques jours, on aura ainsi entendu Brigitte Bourguignon, ministre de la Santé et de la Prévention (!), dont la prévision la semaine précédente d’un « possible petit rebond épidémique à l’automne » était d’ores et déjà obsolète, en appeler « à la responsabilité des Français pour éviter une tension hospitalière supplémentaire » tout en expliquant que « les mesures actuelles suffisent… si chacun respecte bien ce qu’on est en train de se dire… il y a quand même tout un panel de possibilités pour se protéger, protéger les autres aussi, c’est impensa… c’est important… il y a aussi l’aération des pièces, il y a… beaucoup de choses que des gens ne font plus systématiquement… » Au-delà du lapsus freudien magnifique « protéger les autres aussi, c’est impensable… » on peine à voir quelles seraient ces mesures actuelles, et en quoi elles seraient suffisantes, puisque dans la vie réelle, loin des éléments de langage gouvernementaux, la septième vague est amorcée avec 80 000 personnes testées positives en 24 heures le 24 juin, avec 38 % d’admissions supplémentaires à l’hôpital et 19 % en soins critiques.

Le même jour, c’est au tour d’Olivia Grégoire, porte-parole du gouvernement, de reprendre des mains de ses prédécesseurs Sibeth Ndiaye et de Gabriel Attal le flambeau « de la cohérence, de la compétence et de la confiance » promises par Emmanuel Macron sur le tarmac de l’entre-deux-tours, pour affirmer : « On est très vigilants et attentifs… vous vous souvenez de ce taux R d’incidence qui remonte donc oui on est très vigilants, ça remonte, les contaminations remontent, et par conséquent deux messages : d’abord de la prudence, vous savez, se laver les mains ça demeure une mesure d’hygiène indispensable pour tous les virus respiratoires donc gardons notre bon sens et je sais que les Français en ont, j’ai aussi envie de donner un message très clair à ceux d’entre nous qui ont un peu plus de 60 ans, sont porteurs de maladies chroniques ou immunodéprimés : il est indispensable d’aller faire son rappel… nous avons à l’heure actuelle un quart des Français concernés qui l’ont fait, ce n’est pas suffisant. » Passons sur le fait que le taux R d’incidence n’existe pas, que R désigne le taux de reproduction du virus. Passons sur le fait que le gouvernement en appelle constamment à la responsabilité individuelle pour la vaccination mais a fermé la quasi-totalité des centres vaccinaux depuis des mois. Et arrêtons-nous sur ce constat : plus de deux ans après le début de l’épidémie, la porte-parole du gouvernement semble toujours croire que la contamination par ce virus respiratoire passe par les mains…

A moins, ce qui est plus probable, qu’Olivia Grégoire sache parfaitement que la contamination se fasse essentiellement par aérosolisation, mais que prendre en compte cette évidence obligerait fatalement à constater que, dans ce domaine rien n’est fait, et que « l’effort massif de purification de l’air dans les écoles » promis par le candidat Macron pour la rentrée 2022 n’a toujours pas démarré.

Samedi 25 juin, c’était au tour de la ministre de la Culture Rima Abdul Malak de se vautrer dans la désinformation en affirmant que les variants de la septième vague sont « très contagieux mais moins violents en termes de symptômes ». « Il y a une reprise du Covid en ce moment, il faut être très vigilant, se laver les mains, reprendre les gestes barrières […] se tester à chaque fois qu’on a un doute. » « Quand on est une personne fragile, il faut garder le masque et faire attention le plus possible. » Qui, en juin 2022, peut honnêtement affirmer ne pas être au courant que le port du masque est insuffisant pour protéger une personne si l’air ambiant est vicié de particules virales, d’autant plus nombreuses que la majorité de la population normale ne porte plus de masque en lieu clos ? Ou alors il faut se rendre à l’évidence : au stade où en est rendu le macronisme, comprendre les notions de base sur la pandémie ne fait toujours pas partie des critères du casting gouvernemental. Personne ne doit rien comprendre, c’est même mieux comme ça. Ni les ministres ni le peuple. Parce que comprendre, ce serait affronter la question de la négligence criminelle.

Les actuelles campagnes du ministère des Solidarités et de la Santé sont du même acabit : « #Covid-19 | Pour limiter la transmission du virus, se laver les mains plusieurs fois par jour est essentiel. » Sans compter l’exhortation surréaliste à porter un masque en présence de personnes fragiles : « #Covid-19 | Le coronavirus circule toujours et certaines personnes sont plus à risque. Il est essentiel de porter un masque en présence de personnes fragiles », qui a amené Barbara Serrano, maîtresse de conférences associée à Paris-Saclay à ce petit chef-d’œuvre d’absurdité : « Je vois déjà la scène… 8 heures du matin, une rame de métro. Dans la cohue, une vingtaine de personnes entre dans la rame pour se compresser contre les autres et se coincer contre la vitre. La foule, télépathe, dans un silence religieux, sort son masque de sa poche… « Le fragile de la station Rambuteau ! » se disent-ils tous en chœur et dans leur tête en même temps, « Il monte toujours à 8h16, vite, mettons nos masques et ouvrons les petites fenêtres, nous n’avons que deux stations pour renouveler l’air avant son arrivée. » Et soudain tout le monde se lève et s’agite. Les langues commencent à se délier « En plus il vit avec sa maman et elle n’a pas l’air en grande forme en ce moment… - Oh, j’en suis bien désolée », dit une femme dans son effort, tentant de débloquer une fenêtre récalcitrante. 8h16 : la rame s’arrête immanquablement à la station Rambuteau. Le fragile, accompagné de trente de ses congénères, entre dans un métro aéré, chaque passager masqué… L’un d’eux se lève pour lui laisser sa place. « Heureusement que nous ne sommes que 10 millions dans ce réseau urbain, lui dit-il en se levant de bonne grâce, cela nous permet de bien nous connaître et prendre soin les uns des autres ».

Comme le dit la journaliste Aude Rossigneux : « Non mais attends l’oxymètre de doigt, c’est tellement 2020, le nec plus ultra aujourd’hui, c’est le détecteur de fragiles, disponible dans toutes les bonnes pharmacies. C’est comme un compteur Geiger à fragiles ou insuffisants respiratoires, qui fait tiktiktiktik quand tu tombes sur un fragile. Et hop tu mets ton masque. Pour le protéger. Le pauvre fragile. C’est pratique… » J’ai ri. L’humour, paraît-il, est la politesse du désespoir.

Christian Lehmann

• Libération, publié le 27 juin 2022 :


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