Après sa déroute électorale, Blanquer bénéficie de la création express d’un poste à l’université Assas

mardi 28 juin 2022.
 

Le président de l’université Panthéon-Assas a été saisi d’une demande « exceptionnelle » : ouvrir un poste sur mesure pour accueillir l’ancien ministre Jean-Michel Blanquer, défait aux législatives.

L’enseignement supérieur ne manque visiblement pas toujours de moyens. L’université Paris 2 (Panthéon-Assas) a exceptionnellement décidé d’ouvrir un poste sur mesure au sein de son département de droit public pour accueillir l’ancien ministre Jean-Michel Blanquer, tout juste défait aux élections législatives, selon des informations de Mediapart.

La possibilité de créer ce poste ad hoc, à l’heure où les universités affrontent depuis des années une lourde pénurie de personnels, s’est concrétisée vendredi 17 juin, cinq jours après le premier tour des élections. Elle doit être finalisée prochainement, à l’occasion d’une réunion du département de droit public.

Première incongruité : elle a été annoncée par le président de l’université Stéphane Braconnier lui-même, et non par le directeur du département. Deuxième source de questionnement : le calendrier de l’annonce, intervenue quelques jours seulement après l’élimination, le dimanche 12 juin, de Jean-Michel Blanquer au 1er tour dans la 4e circonscription du Loiret et alors qu’aucun poste n’avait été envisagé jusque-là. Troisième interrogation : les raisons de ce recrutement express.

Dans un message adressé à ses équipes, le président Stéphane Braconnier n’a pas caché le « caractère inhabituel, voire exceptionnel, de la demande », dont il dit avoir été « saisi ». « Il m’a été demandé, en effet, d’envisager la possibilité d’accueillir au sein de notre université l’ancien ministre Jean-Michel Blanquer, agrégé de droit public en 1996 et spécialiste de droit constitutionnel et de droit public comparé », poursuit Stéphane Braconnier, lui-même professeur en droit public.

Interrogé, le président de l’université n’a pas répondu à nos questions sur l’origine de cette sollicitation. « L’université n’a aucun commentaire à faire sur une question académique qui, à ce stade, demeure strictement interne, puisque les instances de l’université sont en cours de consultation », nous a-t-il déclaré.

Habituellement, les recrutements, décidés par les enseignants du département concerné en fonction des besoins, sont soumis à une mise en concurrence des candidatures. Qu’en est-il ici ? « Si le processus de recrutement devait se poursuivre, les procédures réglementaires en vigueur seront évidemment mises en œuvre et suivies », évacue Stéphane Braconnier. Également questionné, Jean-Michel Blanquer n’a pas répondu à notre demande d’entretien.

Au lendemain de sa défaite aux législatives, l’ancien ministre avait déclaré, lundi 13 juin sur BFMTV, qu’il était devenu « l’ennemi public numéro un ». « Regardez ce que des journaux comme Mediapart font avec moi... », ajoutait-il alors, faisant implicitement référence à nos révélations sur l’affaire Avenir Lycéen, sur son vrai-faux colloque sur le « wokisme » , ou encore sur son protocole sanitaire annoncé depuis Ibiza.

La présidence pourrait bénéficier des contacts et de l’expertise institutionnelle de M. Blanquer.

Le président d’Assas Stéphane Braconnier, à ses équipes

Dans son message, Stéphane Braconnier développe ensuite les raisons pour lesquelles le recrutement de Jean-Michel Blanquer, auquel il se dit « favorable », représenterait une bonne nouvelle pour l’université.

D’abord, « son arrivée éventuelle » se ferait sur un « emploi dédié et nouvellement créé », qui resterait donc « acquis de manière définitive à notre université », se félicite le président. Avant d’insister sur ce point : « Cette mutation, si elle devait se réaliser, permettrait à notre département d’obtenir de manière pérenne un poste supplémentaire de professeur, ce qui nous donnerait les moyens d’envisager des réductions d’effectifs [d’étudiants – ndlr] dans des cours ou séminaires pour lesquels cela peut s’avérer utile. »

Ensuite, estime le président de l’université, « l’arrivée d’un ancien ministre dans nos effectifs [de professeurs – ndlr] contribue, de manière générale, au prestige et donc à l’attractivité de notre établissement ». « Même si cela n’est pas déterminant, ajoute Stéphane Braconnier, nous ne pouvons y être indifférents à un moment où la concurrence entre les établissements d’enseignement supérieur devient plus vive que jamais. » Et de considérer que sa « présidence pourrait bénéficier des contacts et de l’expertise institutionnelle de M. Blanquer » : « Cela serait particulièrement précieux dans une période où plusieurs projets d’envergure sont lancés, qui nécessitent, pour certains, de nombreux appuis. »

Vient ensuite un argument scientifique : « M. Blanquer pourrait apporter une contribution importante à la consolidation du droit public comparé, notamment dans sa dimension sud-américaine », mesure le président de l’université. Ancien directeur de l’Institut des hautes études de l’Amérique latine (IHEAL) de l’université Paris 3 Sorbonne-Nouvelle, à laquelle il est toujours rattaché à ce jour, Jean-Michel Blanquer a un temps enseigné le droit constitutionnel et le droit communautaire, avant de développer sa carrière loin des bancs de l’université à partir de 2004, année où il est nommé recteur de l’académie de Guyane.

L’universitaire grimpe ensuite un à un les échelons du ministère : cabinet du ministre Gilles de Robien en 2006, recteur de l’académie de Créteil en 2007, directeur de l’enseignement scolaire (Dgesco) en 2009. Il devient ministre en 2017, après une parenthèse à la direction de l’Essec (École supérieure des sciences économiques et commerciales), pendant le quinquennat de François Hollande.

Le retour – contraint par sa défaite électorale – de Jean-Michel Blanquer à ses premières amours universitaires devrait permettre de « participer au développement d’un des champs disciplinaires de référence de l’université », se réjouit dans son message Stéphane Braconnier.

Les conditions du recrutement de Jean-Michel Blanquer ne manqueront pas de surprendre tous les acteurs qui vivent, ces dernières années, la dégradation des conditions d’enseignement et de recherche au sein des universités françaises. En janvier 2022, les syndicats de l’enseignement supérieur étaient en grève pour dénoncer le sous-financement de l’université et le recours excessif aux vacataires et contractuels, faute de crédits pour ouvrir des postes.

« Comment peut-on imaginer que les deux tiers des cours d’une année soient faits par des gens qui ne sont pas titulaires ? », interrogeait alors, dans les colonnes de Libération, Anne Roger, secrétaire générale du syndicat SNESUP-FSU. « Ce n’est pas possible, c’est ingérable… » Impossible, sauf quand le candidat pour un nouveau poste est un ancien ministre.

Sarah Brethes et Antton Rouget


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