Le silence de Macron ou la stratégie de l’évitement

vendredi 10 juin 2022.
 

Très peu disert depuis sa réélection, le chef de l’État n’a toujours pas donné d’impulsion à son deuxième quinquennat et se contente d’agiter des chiffons rouges dans l’espoir d’obtenir une majorité absolue aux législatives. Gagnante à la présidentielle, cette stratégie relève surtout de la paresse démocratique.

La stratégie adoptée par Emmanuel Macron pour les élections législatives ressemble à s’y méprendre à celle qui lui a permis d’être réélu le 24 avril dernier. Elle se déploie en deux phases bien distinctes : une longue période de latence, où l’ennui le dispute à la lassitude, suivie d’une campagne éclair, menée chiffon rouge à la main. Sur le morceau de tissu brandi par les soutiens du chef de l’État, le visage de Jean-Luc Mélenchon a remplacé celui de Marine Le Pen. Mais pour le reste, rien n’a changé.

Les troupes macronistes abordent en effet ce scrutin avec le même esprit que celui qui a prévalu lors de la présidentielle, dans un mélange d’autosatisfaction, de bavardages creux et d’attaques frontales envers un adversaire désigné, qu’elles transforment pour l’occasion en épouvantail. Fini l’extrême droite, c’est désormais la Nupes (Nouvelle Union populaire écologique et sociale) et plus encore le chef de file de La France insoumise (LFI) qui occupent tous les esprits de la confédération Ensemble.

Redoutant de perdre la majorité absolue à l’Assemblée nationale, les soutiens du président de la République s’en prennent aujourd’hui à la gauche unie, aidés par quelques reliquats du PS qui ont vu de la lumière et ont poussé la porte. Dans une association de circonstance, François Hollande et Bruno Le Maire ont ainsi tous deux dénoncé le projet économique de la Nupes, le premier le jugeant « incapable d’être exécuté », le second estimant qu’il « conduirait tout droit notre pays à la faillite ».

Faisant fi de la période de réserve durant laquelle les membres du gouvernement sont censés faire preuve de « discrétion », le ministre de l’économie a aussi qualifié Jean-Luc Mélenchon de « Chavez gaulois » dans les colonnes du Figaro. Après avoir lancé des regards de Chimène à la gauche dans l’entre-deux-tours de la présidentielle, juste le temps de profiter de ses voix, les macronistes ont ressorti les menaces de pluies de grenouilles dans l’espoir de mobiliser leur électorat de droite.

Jusqu’ici, cette période de réserve était pourtant bien pratique. Ouverte le 23 mai, soit trois jours à peine après la nomination du premier gouvernement d’Élisabeth Borne, elle a officiellement contraint chaque ministre à « séparer du mieux qu’il est possible l’action du membre du gouvernement des prises de position qu’il peut avoir en tant que responsable politique ». Mais officieusement, cet « usage » a surtout permis « d’éviter les couacs » dans la période électorale, souligne un conseiller ministériel.

Un débat public désespérément cotonneux

Espérant profiter une nouvelle fois de l’anesthésie générale, Emmanuel Macron est lui-même resté très silencieux, malgré la multiplication des problèmes. Hormis quelques considérations sur les sujets internationaux, le président de la République a esquivé toutes les questions gênantes, comme celle portant sur le fiasco de l’organisation de la finale de la Ligue des champions au Stade de France. « Je ne ferai aucun commentaire sur ce qui relève du gouvernement », s’est-il défaussé le 31 mai.

Passé maître dans l’art délicat de la patate chaude, l’exécutif a adopté, dans cette affaire, une méthode étrennée sous le précédent quinquennat. Pendant plusieurs jours, des contre-feux ont été allumés un peu partout dans l’espoir que l’opinion zappe de sujet et retourne se lover sous la couette d’un débat public désespérément cotonneux. La polémique ne désenflant pas, l’Élysée a finalement fait fuiter la colère du chef de l’État, qui a peut-être vu rouge, mais n’en a tiré aucune conséquence.

Un mois après sa réélection, Emmanuel Macron n’a toujours pas donné d’impulsion à son deuxième quinquennat. Il se contente de contourner les vagues pour glisser sur l’indifférence générale. Celui qui avait promis un « renouvellement complet » a finalement copié-collé son dispositif gouvernemental, décevant jusqu’à ses plus fervents soutiens. « Que sait-on des convictions des nouveaux ministres ? Rien. C’est justement pour ça qu’ils ont été choisis, se désole l’un d’entre eux. Je ne sais pas si la politique était morte avant ou avec Macron, mais le fait est que plus personne n’en fait. »

Les doutes des macronistes

L’élection présidentielle a été privée de confrontations d’idées du seul fait du président de la République, qui entend aujourd’hui gagner les législatives sur des formules générales, adaptables à toutes les campagnes. Derrière les quelques mesures accessoires de son projet, on peine à trouver quelque chose de nature à relever pour de bon les fameux « défis » qui se présentent. Quant aux sujets qui fâchent, à commencer par la réforme des retraites , ils ont momentanément été mis sous le boisseau.

Parler des autres pour éviter de s’épancher sur soi-même : cette stratégie a été gagnante au mois d’avril et Ensemble veut croire qu’elle le sera de nouveau les 12 et 19 juin. Mais au-delà des calculs électoraux, elle dénote surtout une forme de paresse démocratique qui n’augure rien de bon. Certains macronistes s’inquiètent d’ailleurs de cette politique de courte vue, calquée sur l’un des plus célèbres conseils cinématographiques : « Oublie que t’as aucune chance. On sait jamais, sur un malentendu ça peut marcher. »

Et pour le moment, ça marche. Mais pour combien de temps encore ?, s’interrogent plusieurs soutiens du chef de l’État, échaudés par l’atonie des dernières semaines. « Je n’avais pas compris qu’on s’engageait en politique pour se cacher », résume un cadre de La République en marche (LREM). Après cinq années marquées par de nombreux renoncements et une élection présidentielle où l’extrême droite s’est qualifiée au second tour pour la deuxième fois consécutive, les mêmes avaient cru que les choses allaient cette fois-ci réellement changer.

Mais aujourd’hui, ils commencent à sérieusement douter du bien-fondé de l’édifice macroniste. Une victoire l’est-elle vraiment si elle est remportée par « effraction », comme dirait Emmanuel Macron ? Que vaut l’exercice du pouvoir en l’absence de récit politique ? Comment espérer revivifier la démocratie quand on assèche à ce point le débat public ? Ces questions, ils sont désormais quelques-uns à se les poser à l’aune d’un deuxième quinquennat encore plus flou que le premier. Eux savent qu’on ne construit jamais rien sur un malentendu.

Ellen Salvi


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