Union de la gauche : un programme pour mettre fin au présidentialisme

lundi 30 mai 2022.
 

Jean-Luc Mélenchon et ses alliés de gauche et écologistes ont présenté le 19 mai leur programme partagé pour les élections législatives, 650 mesures qui jettent les bases d’un hypothétique gouvernement, avec l’ambition de « revivifier le rôle du Parlement ».

Après la convention du 7 mai à Aubervilliers célébrant l’avènement de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), l’alliance de la gauche et des écologistes a connu son deuxième acte fondateur le 19 mai. Dans une salle du Xe arrondissement de Paris, Jean-Luc Mélenchon et ses alliés – des binômes paritaires du Parti socialiste (PS), d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), du Parti communiste (PCF) et une représentante de Génération·s – ont rendu public leur « programme partagé de gouvernement ».

Le texte, d’une cinquantaine de pages, rassemble 650 mesures réparties en huit chapitres thématiques, dont 33 « points de nuance ». Ces points de divergence, qui n’ont pu être résolus dans le délai imparti par le calendrier électoral, « des organisations politiques qui soutiennent ce programme porteront dans le débat parlementaire des propositions pour les préciser ou les nuancer », précise le préambule.

Ainsi, les désaccords sur la politique internationale ou l’Europe, dont on sait à quel point ils divisent le PS, EELV et La France insoumise (LFI) notamment, sont renvoyés au débat parlementaire : du retrait de l’Otan – souhaité par LFI – à l’intensification des livraisons d’armes à l’Ukraine – poussée par EELV et le PS.

« Nous n’avons rien voulu cacher sur ce sujet et c’est pourquoi, si limités qu’ils soient, ces points sont consignés à la fin de chaque chapitre du programme partagé de gouvernement. Ils seront donc soumis au débat de l’intergroupe et à la sagesse de l’Assemblée », précise le texte. Manière habile de sortir par le haut des désaccords de fond qui auraient pu faire passer cette alliance pour un éphémère cartel électoral.

La parlementarisation pour colonne vertébrale

Secrétaire nationale du PS et membre des négociateurs et négociatrices de la Nupes, Corinne Narassiguin abonde : « Ce n’est pas un accord de circonstance pour sauver quelques sièges, qui aurait vocation à s’autodétruire au soir du 19 juin. Au-delà des législatives, que l’on soit dans la majorité ou dans l’opposition, il se traduira par un intergroupe qui permettra de prolonger notre travail commun. »

Exeunt, donc, les angoisses existentielles des partis politiques, préoccupés par l’hégémonie du courant mélenchoniste ? Aux yeux de Corinne Narassiguin, LFI a donné suffisamment de garanties : « Quand il y a eu la gauche plurielle, c’était déjà l’esprit : on n’a pas demandé aux Verts de devenir socialistes. Il y a eu des débats au sein de cette majorité, et là encore, le débat parlementaire va permettre de trancher. La différence, c’est qu’on a préparé la coalition en amont des élections. Et qu’il est nouveau en France d’avoir cet esprit de coalition. »

La Nupes entend en effet faire de la reparlementarisation de la vie politique l’enjeu principal de cette élection. Cet objectif est en cohérence avec le chapitre 5 du programme, consacré aux institutions, qui prévoit le passage à la VIe République, définie comme « un régime parlementaire stable, avec une nouvelle constitution adoptée par référendum ».

Un ensemble de mesures accompagne cette transition : le passage au scrutin proportionnel pour l’Assemblée nationale, la révision du calendrier électoral pour dissocier les élections législatives de l’élection présidentielle, l’abolition de l’article 49-3 (qui permet l’adoption d’une loi sans vote, sauf motion de censure) ou encore le renforcement des pouvoirs de contrôle du Parlement, notamment concernant les opérations extérieures.

Ces propositions s’inscrivent dans la continuité de la critique des institutions dans le programme commun de la gauche en 1972, comme le note l’historien Christophe Batardy, auteur d’un livre récent sur le sujet.

« Si l’expression de “monarchie présidentielle” en était absente, le programme commun de 1972 comprenait l’élection à la proportionnelle des députés, la remise en cause de la faiblesse du Parlement, la suppression de l’article 16 ou encore la mise en place du quinquennat, en précisant qu’un délai suffisant devait être prévu entre l’élection du président et celle des députés, pour éviter toute simultanéité. »

C’est dans cette histoire que Jean-Luc Mélenchon se replace pour justifier la campagne qu’il a hâtivement entamée après le second tour de la présidentielle, en proposant aux électrices et électeurs de « l’élire premier ministre ». « Nous sommes, en proposant un premier ministre commun à un programme partagé, dans une démarche de reparlementarisation de la vie politique française, à un moment où elle est arrivée au maximum du présidentialisme, du jamais-vu dans notre histoire », explique-t-il.

Signe de l’atrophie du régime présidentiel, selon lui, la pauvreté du programme des macronistes pour les élections législatives des 12 et 19 juin, qui « renvoient aux propositions du chef de l’État » : « C’est une formule de délégation de pouvoir totale au chef de l’État », dénonce-t-il.

Une filiation revendiquée : le programme commun de 1972

Poursuivant sa stratégie qui consiste à s’appuyer sur ses 22 % et à élargir le front de la gauche et des écologistes pour instaurer un face-à-face avec Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon enfonce donc le clou en présentant le scrutin comme une alternative entre « d’un côté la continuité de l’hyperprésidentialisation avec un non-programme, et d’un autre côté une reparlementarisation, une respiration démocratique du pays avec un programme partagé qui le rend gouvernable ».

Pour le professeur d’histoire contemporaine à l’université de Bourgogne Jean Vigreux, cette stratégie politique n’est pas dénuée de fond idéologique. « Alors que les institutions de la Ve République ont présidentialisé le régime, cette stratégie renvoie à la culture républicaine française marquée par le parlementarisme, explique-t-il. L’union des gauches s’est d’ailleurs faite lors du Front populaire parce que les ligues d’extrême droite ont marché sur le Palais-Bourbon, qui était le symbole même de la IIIe République. »

Le 19 mai, Jean-Luc Mélenchon a de lui-même fait référence aux expériences passées d’union de la gauche pour donner du sens à sa démarche, tout en la distinguant de ces précédents historiques. Ainsi considère-t-il que la Nupes est « en meilleure posture » que les partis de gauche qui s’étaient rassemblés lors du Front populaire sans avoir détaillé de véritable programme commun, hormis quelques grands engagements – faisant l’impasse sur l’existence en 1936 d’un mouvement social puissant qui avait poussé le gouvernement, et qui pourrait cette fois-ci manquer à l’appel. À lire aussi Photo illustration Législatives : pourquoi l’accord des gauches est historique 3 mai 2022

À ses yeux, la démarche de la Nupes n’est en revanche pas sans liens avec le programme commun signé entre le PS et le PCF en 1972. Celui-ci avait clos une période de querelle idéologique entre les deux formations, qui aurait pu s’éterniser si le choix politique de la mettre de côté au profit d’un programme n’avait pas été fait. Dans le cadre de ce débat idéologique, Guy Mollet, secrétaire général de la SFIO (ancêtre du PS), posait la question en ces termes dans la préface du livre de Roger Quilliot Les Communistes et nous (1964) : « Peut-on effacer 1920 ? », en référence au congrès de Tours.

« Je me souviens qu’à l’époque, le débat de la formation à laquelle j’appartenais [le PS – ndlr] consistait à savoir si on devait d’abord trancher les questions idéologiques ou les questions programmatiques. On s’était dit que si on commençait par les questions idéologiques, on en avait pour cent ans. Aujourd’hui encore, l’idée n’a pas été d’aboutir à une fusion idéologique », affirme ainsi Jean-Luc Mélenchon, qui avait alors 21 ans. Le chef de file insoumis « justifie ainsi le fait de conserver des divergences avec les autres partis par le fait qu’historiquement, la gauche l’a déjà fait pour arriver à un programme, et parvenir au pouvoir », remarque Christophe Batardy.

Il y ajoute l’argument de la reparlementarisation, puisque ces désaccords seront tranchés par l’Assemblée nationale. Quant à l’éventualité d’une cohabitation entre une majorité Nupes et Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon s’en remet là encore à la logique parlementaire, en garantissant qu’il n’y aura pas de paralysie.

Corinne Narassiguin approuve, puisque « les socialistes ont toujours été pour une république parlementaire ». C’est jeter un voile pudique sur le renforcement de la logique présidentialiste permise par les socialistes depuis les années Jospin, à travers la renonciation à la proportionnelle et l’inversion du calendrier électoral dans le cadre du quinquennat, qui a relégué les législatives au second rang. Il est néanmoins vrai que le programme d’Anne Hidalgo, en cohérence avec le nouveau projet du parti, revenait de manière notable sur cette tendance.

« Mélenchon est imprégné par l’identité du modèle républicain depuis 1789 jusqu’à la IVe République. À ce titre, la reparlementarisation de la Ve République peut être considérée comme une étape vers la VIe République. Il s’inscrit ainsi dans une longue histoire, réformiste et républicaine », conclut Jean Vigreux.

Mathieu Dejean


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