Le quotidien Le Monde daté du 9 avril publie un article sur un sujet connu des militants vraiment à gauche, ignoré au-delà (ignoré par exemple dans les pages francophones du web). De 1945 à 1947, les puissances "occidentales" :
ont aidé des nazis à se recycler professionnellement (en particulier dans les services de renseignement US) ou à se cacher (par exemple en Amérique latine)
ont maintenu le camp de concentration et sa torture institutionnalisée à l’encontre d’Allemands "suspects" d’être restés communistes après 12 ans de nazisme.
Ce fait est important pour comprendre les causes du nazisme. Devons-nous privilégier celles concernant l’Allemagne seule ou plutôt comme Hannah Arendt le contexte de la première moitié du 20ème siècle : impérialisme, colonialisme, capitalisme industriel despotique..
Ce fait est également important pour comprendre la répression professionnelle, politique et psychologique subie dans les années 1945-1968 par d’Anciens Résistants suspectés de communisme dans les départements français marqués à droite où beaucoup d’élus sont passés du pétainisme anticommuniste à l’américanisme anticommuniste.
Jacques Serieys
Les trois photos ont choqué l’Angleterre. Deux représentent un homme nu et squelettique, de face et de dos. Il a le visage émacié, les yeux hagards et ses longs bras osseux ressemblent à de maigres bâtons. Sur la troisième, un jeune homme au torse grêle regarde fixement le photographe.
Les images de ces deux prisonniers ont été prises en février 1947 dans un camp d’internement britannique en Allemagne. Publiées pour la première fois cette semaine par The Guardian, elles confirment que la puissance occupante a pratiqué la torture sur des Allemands soupçonnés de sympathies communistes au moment où l’Europe basculait dans la guerre froide. Les photos font partie d’un dossier confidentiel qui dormait dans les archives du Foreign Office. Selon le quotidien britannique, le MI5, les services secrets de Sa Majesté, a conduit secrètement un programme de torture dans un camp ouvert pendant l’été 1945, à Bad Neendorf, près de Hanovre. Après la fin de la guerre, ce centre a d’abord " accueilli" des nazis, d’anciens membres de la SS et d’éminents industriels du régime hitlérien.
La chute du rideau de fer et la croyance, chez certains dirigeants britanniques, de l’imminence d’une troisième guerre mondiale amènent les forces d’occupation à changer de cibles. Les agents de Moscou, réels, ou le plus souvent supposés, fournissent le gros des détenus qui passeront à Bad Neendorf entre 1945 et 1947. Ces 372 hommes et 44 femmes seront victimes de tortures infligées au moyen d’instruments récupérés dans une prison de la Gestapo à Hambourg et de mauvais traitements : privation de nourriture et de sommeil, coups, blessures, entraves aux jambes, orteils gelés.
L’un des deux hommes photographiés, Gerhard Menzel, est un étudiant de 23 ans. Prisonnier de guerre en Sibérie, il a été arrêté lors de son entrée en zone britannique. Il passera huit mois à Bad Neendorf avant d’être transféré dans un camp de détention. Il sera enchaîné les mains derrière le dos pendant 18 jours, frappé régulièrement au visage et plongé dans l’eau glacé. Le médecin qui l’examinera ne pourra pas prendre sa température, son corps étant trop froid pour faire réagir le thermomètre.
L’autre détenu, Heinz Biedermann, 20 ans, employé de bureau, a été arrêté à cause de son père, resté en zone soviétique, et identifié comme un "ardent communiste". Il est resté quatre mois dans le centre, seul dans sa cellule, endurant, à peine vêtu, des températures inférieures à zéro. Parmi les autres détenus, quelques-uns sont morts de faim ou des suites des coups reçus.
Les méthodes du département du ministère de la guerre chargé des interrogatoires, le CSDIC (Combined Services Detailed Interrogation Centre) ont indigné des responsables britanniques, dont un médecin, un officier de l’artillerie royale et le commandant du camp d’internement où échouera Heinz Biedermann. Il ordonna qu’on prît les photos pour que cesse le scandale. Les plaintes de ces témoins ont entraîné l’ouverture d’une enquête, confiée à l’inspecteur de Scotland Yard Tom Hayward. Son rapport est la pièce maîtresse du dossier révélé.
Grâce au Freedom of Information Act, une loi votée en 2000 et qui permet à tout citoyen britannique d’exiger des administrations qu’elles ouvrent leurs archives, The Guardian a eu communication de ces informations détenues par le ministère des affaires étrangères. Mais il lui a fallu insister, et faire appel, pour obtenir aussi les photos, soustraites du dossier à la demande du ministère de la défense.
L’existence des camps d’internement britanniques en Allemagne était connue des historiens. Mais personne n’en avait eu jusqu’ici de preuve visuelle. Un autre centre d’interrogatoires secret a fonctionné à Londres entre 1945 et 1948. Des documents en font foi dans les archives du ministère de la défense. Mais ce dernier assure ne pas pouvoir encore les rendre publics, car ils auraient été contaminés par de l’amiante...
Jean-Pierre Langellier
Source : Le Monde du 09 04 2006
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