Documentaire : la logique exterminatrice du suprémacisme

jeudi 3 mars 2022.
 

« Exterminez toutes ces brutes » : l’injonction ne vient pas (encore ?) de la campagne présidentielle mais d’un des personnages d’Au coeur des ténèbres du grand écrivain de l’ère colonisatrice victorienne, Joseph Conrad. Le cinéaste Raoul Peck l’a choisie pour titre de sa remarquable série documentaire de quatre épisodes d’une heure chaque, consacrée à l’histoire du suprématisme blanc (ou suprémacisme). La série peut être vue sur Arte replay jusqu’à fin mai.

Haïtien, le réalisateur sait de quoi il retourne. Sa narration mêle des extraits de films familiaux à une remarquable quantité d’archives photographiques et vidéos entrecoupées de scènes de fiction-reconstitution ou clin d’œil onirique ou métaphorique. Le propos qui s’étire sur cinq siècles n’est pas linéaire mais fonctionne comme un puzzle qui permet un va-et-vient constant entre passé et présent.

En effet, la discrimination sur la base de la couleur de peau, de la race, ne va pas de soi. Elle s’est construite au fur et à mesure des conquêtes en trouvant sa légitimé d’abord dans la religion. Raoul Peck la voit se formuler après l’expulsion des derniers Arabes et Juifs d’Espagne à la fin du XVe siècle. L’Inquisition a pour mission alors de débusquer les faux convertis au catholicisme en se fondant sur « l’impureté » indélébile du sang. Elle a ensuite prospéré avec lesdites « grandes découvertes » quand les théologiens ont statué (Controverse de Valladolid en 1550) sur la très relative humanité des Amérindiens, reléguant « Noirs » et « Jaunes » dans l’animalité. Il était désormais légitime de détruire les nations indiennes dont 90% des individus ont disparu en moins de 100 ans pour s’accaparer leurs terres avant d’y transférer la main d’œuvre servile noire (plus de 12 millions d’individus).

On retrouve la même discrimination à l’œuvre dans l’extermination de près de six millions de Juifs au milieu du siècle dernier. Car la tragédie de la Shoah, pour Raoul Peck, s’inscrit dans la logique des colonisations sanglantes et de l’esclavage opérés au nom de la hiérarchisation des races et du droit de domination de la blanche (elle-même subdivisée avec le nazisme en degrés de perfection). Vestige barbare, cette idéologie raciste a toujours ses supporters notamment parmi les supporters des Trump, Bolsonaro, Le Pen, et Zemmour…

Au-delà du récit du cinéaste, on ne peut s’empêcher de penser à un antidote à leur fureur réactionnaire. La créolisation du monde, de fait en cours, conceptualisée par le poète Edouard Glissant, et intégrée dans le champ politique par Jean-Luc Mélenchon est la clé manifeste d’autres possibles, d’une civilisation digne de ce nom, d’un humanisme à la fois universel et concret.

Jean-Luc Bertet


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