Christiane Taubira, une candidature sociale-libérale

samedi 1er janvier 2022.
 

D’où vient l’aura si positive que dégage Christiane Taubira chez de nombreux sympathisant·e·s de la gauche antilibérale ? Pourtant, au regard de sa carrière politique, force est de constater que Mme Taubira est une figure de la gauche idéaliste, libérale et bourgeoise, en témoigne son programme présidentielle de 2002, et son engagement dans le gouvernement antisociale du PS entre 2012 et 2016. Signalez ce contenu à notre équipe

Marcuss

Introduction

Pour commencer, cet article n’est pas une charge contre Christiane Taubira mais simplement une réflexion semée de doutes, et surtout d’incompréhension, sur cette image si positive que porte l’ancienne ministre de la Justice sur une partie des sympathisant.es de la gauche, jusqu’à prendre la figure de la « sauveuse » qui réunira la gauche. Je signale également – bien que ceci ne devrait pas être nécessaire -, que je ne suis ni un insoumis, ni un partisan d’EELV, ni un sympathisant de la primaire de gauche. J’ouvre ici une petite parenthèse. Si Taubira souhaite une candidature commune à gauche, à l’instar de Montebourg et d’Hidalgo, il est intéressant de constater que ces personnalités politiques sont les anciens ou actuels membres du PS. Ainsi, cet appel résonne moins comme une volonté de présenter un programme de lutte sociale commun, qu’un désir opportuniste de ne pas mourir politiquement. Fin de la parenthèse.

Je disais donc que j’ai toujours été fascinée par l’aura si positive – tout en n’arrivant pas à la comprendre - que dégage Christiane Taubira chez de nombreux sympathisant.es de la gauche antilibérale, chez certain.es de mes camarades féministes et antiracistes, et ce, d’autant plus depuis une possible candidature à l’élection de 2022. Mon incompréhension est encore plus grande quand on sait, à travers un aperçu rapide de sa carrière politique, qu’elle s’est principalement ralliée à des groupes parlementaires et des partis politiques de la gauche bourgeoise et libérale. Tout d’abord, elle a fait partie du groupe parlementaire « République et Liberté » présidé par le conservateur Jean Royer pendant 4 ans (1993-1997), et soutien du gouvernement Balladur. Puis, elle intègre le groupe parlementaire « socialistes et apparentés » (constitué autour du PS) entre 1997 et 2002, avant de s’engager au Parti Radical de Gauche dont elle sera vice-présidente (2002-2006). Après avoir de nouveau intégrée le groupe parlementaire « socialistes et apparentés » entre 2007 et 2012, elle est ministre de la Justice sous la présidence de François Hollande entre 2012 et 2016.

Comment expliquer donc que Mme Taubira soit une figure sur laquelle de nombreux sympathisant.es de la gauche antilibérale, y compris chez des camarades féministes et antiracistes, portent autant d’espoir et d’optimisme ?

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1. Humanisme et capitalisme

Figure symbolique et militante des droits humains

Pour expliquer cette aura, je pose une double hypothèse : sa figure militante et humaniste et une méconnaissance de son parcours politique et de ses idées générales.

Tout d’abord, Christiane Taubira est une femme, noire, originaire de Guyane, et issue des petites classes moyennes. Cette figure est une puissance symbolique importante. Dans une société ultraconcurrentielle où s’entrecroisent la domination capitaliste, raciale et genrée, l’émancipation de Mme Taubira des différents déterminismes socio-économiques et ethno-raciaux force le respect et l’admiration. En 2002, elle fait figure d’exception dans un monde politique très bourgeois, blanc et masculin, et devient la première personne noire en France à se présenter l’élection présidentielle. Néanmoins, cette explication est incomplète, auquel cas Rachida Dati aurait la même popularité à gauche.

Ce qui change avec Mme Taubira, c’est son engagement politique sur des questions sociétales essentielles. Toute sa vie, elle a lutté contre les formes plurielles de discrimination, contre la gestion néocoloniale de la France dans les territoires d’Outre-Mer, pour la défense des droits fondamentaux des plus fragiles et pour la reconnaissance des minorités comme citoyens à part entière, sans jamais vouloir être une porte-parole. La loi sur la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité ou encore l’adoption du mariage pour tous, - sans vouloir résumer sa carrière à ces deux lois -, marquent le parcours de Mme Taubira.

En d’autres termes, sa figure symbolique et sa grille de lecture humaniste ne peuvent que faire écho positivement aux sympathisant.es de gauche.

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Une sociale...libérale

Cependant, l’humanisme n’est pas suffisant pour développer une grille de lecture de gauche. Nous arrivons ici au deuxième point : la méconnaissance du parcours politique et de la pensée socio-économique de Taubira. Comme je l’ai expliqué plus haut, Taubira s’est majoritairement inscrite autour de la nébuleuse du Parti Socialiste, ce dernier étant passé de la fraction modérée de la droite UMP à sa fraction extrême avec François Hollande.

Élue en 1993 à l’Assemblée nationale, Christiane Taubira vote l’investiture du gouvernement de droite d’Edouard Balladur en 1993. Elle se présente ensuite aux européennes sur la liste de Bernard Tapie avant d’entrer dans le groupe parlementaire du PS en 1997. Puis, elle se lance dans la course à la présidentielle en 2002 sous les couleurs du Parti Radical de Gauche avec un programme capitaliste néolibéral. Après un retour dans le groupe parlementaire du PS entre 2007 et 2012, elle est ministre de la Justice de 2012 à 2016 sous la présidence de François Hollande, qui est sans nul doute, le mandat présidentiel (terminé) le plus à droite du 21ème siècle.

Il faut donc revenir sur la pensée socio-économique libérale de Mme Taubira.

. 2. Sur sa candidature de 2002

Un programme économique bourgeois

Je vais reprendre ici sa candidature à la présidence de 2002 au sein du Parti Radical de Gauche (RPG). Sa grille de lecture socio-économique est capitaliste, évidemment, mais plus précisément sociale-libérale. En d’autres termes, elle prétend honorer certaines idées de la gauche (par exemple la lutte contre la pauvreté) mais à partir des valeurs (et des solutions) propres au libéralisme économique.

La lecture de son programme en témoigne : baisse de l’imposition fiscale sur les plus riches pour relancer l’activité (théorie du ruissellement) ; retraite par capitalisation au-delà d’un certain niveau de revenu ; création d’une Europe fédérale avec une constitution commune à tous les Etats ; diminution massive des « charges » (terme employé) fiscales et sociales pour relancer l’emploi ; fiscalisation de la protection sociale ; développement des commandes publiques et des appels à projets qui mettent en concurrence les associations entre elles ; « ajustement » (terme employé dans sa vidéo de campagne) des services publics. En d’autres termes, son programme s’inscrit dans une idéologie de droite, dont certaines idées sont en adéquation avec la politique actuelle de Macron !

Alors qu’elle prétend défendre une économie « au service de l’homme », elle reprend de nombreux clichés et lieu commun économiques de la droite UMP. Il y a surtout deux éléments qui, pour ma part, décrédibilise totalement Mme Taubira : sa vision de sa fiscalité et son attaque contre le régime général de la sécurité sociale. Dans un premier temps sur la question de la fiscalité, elle affirme que si « La progressivité (...) est indispensable à l’égalisation du sacrifice fiscal. Elle ne doit pas pour autant décourager l’effort et l’initiative, et doit donc s’accompagner de la fixation de taux modérés, y compris le taux marginal supérieur ». En d’autres termes, il faut diminuer les impôts sur les plus riches et les entreprises pour ne pas effrayer notre fragile patronat et décourager les "premiers de cordées". La bourgeoisie applaudit une première fois pour la théorie du ruissellement.

Ensuite, elle engage une critique virulente – en reprenant tous les arguments de la droite et du MEDEF – sur notre système social qui pénaliserait soi-disant l’emploi et les entreprises ! En effet, elle soutient que « Le système français de prélèvements obligatoires (…) fait peser une part excessive du financement de cette protection (…) sur le travail salarié, au risque de pénaliser l’emploi. » Plus loin elle affirme que « les cotisations sociales ou autres prélèvements destinés au financement de la protection sociale, qui sont les plus élevés du monde, et les seuls et vrais responsables d’un niveau général de pression fiscale situant la France au-dessus de la moyenne européenne. » Ainsi, elle conclut qu’« Un effort de rationalisation dans la gestion de notre système de financement de la protection sociale est indispensable. » Les capitalistes applaudissent une deuxième fois pour la déconstruction de notre modèle social basé principalement sur la cotisation sociale, et donc sur le salaire socialisé.

Plus précisément, Taubira opte pour une transformation radicale du mode de financement du Régime Général. Dans son programme elle mise sur la fiscalisation totale de la sécurité sociale, notamment par la CSG, avec la suppression progressive des cotisations sociales. Cette idée est fondamentalement antisociale et bourgeoise. En effet, il faut se rappeler que la bourgeoisie et les partis politiques libéraux, depuis 1946, ont toujours défendu l’idée de la fiscalisation contre la logique de la cotisation sociale proposée par la classe ouvrière. En effet, lors de la mise en place du Régime Général en 1946, principalement par le parti communiste – premier parti de France à l’époque – et la CGT avec ses 4 millions d’adhérents, le PC d’Ambroise Croizat et la CGT ont mené une lutte acharnée pour construire le Régime Général à partir de la cotisation sociale.

Avec l’impôt, l’Etat a la mainmise sur la répartition et la redistribution, ce qui n’est pas le cas avec la cotisation sociale. Surtout, comme l’analyse le Réseau Salariat, l’impôt légitime la nécessité du capital et du marché du travail, ainsi que la domination bourgeoisie. L’impôt est utilisé pour réduire les inégalités en proposant une meilleure répartition entre le capital et le travail, il ne s’attaque pas structurellement à l’accumulation du capital. C’est justement la force de la cotisation sociale ! Elle délégitime le capital puisqu’elle est aussitôt prise sur la valeur ajoutée des entreprises et immédiatement transformée en salaire socialisé. Elle fait reculer le profit alors que l’impôt doit passer par lui pour le taxer. En d’autres termes, l’impôt légitime le capitalisme alors que la cotisation s’institue contre lui.

En définitif, la volonté de Mme Taubira de fiscaliser le Régime Général est l’expression concrète de sa grille de lecture économique profondément bourgeoise.

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Des idées sociales sans le courage politique

Certes, il y a des éléments intéressants dans son programme socio-économique de 2002. Christiane Taubira insiste sur l’égalité des salaires entre les hommes et les femmes ; sur la nécessité de la gratuité des crèches ; sur la création d’un revenu minimum étudiant etc. Cependant, ce type de promesses ne se conjugue à aucun programme de régulation économique qui permettrait leur mise en œuvre et leur financement. Rien sur une possible taxe sur les revenus du capital (dividendes, placements financiers etc.), sur les transactions financières et les mouvements de capitaux, sur les hauts revenus de la bourgeoisie. Rien non plus sur la lutte contre l’évasion et la fraude fiscale, ou encore sur la suppression des niches fiscales.

Christiane Taubira s’inscrit dans la droite lignée du PS, prise entre l’idéalisme et l’opportunisme politique, qui prétend se mettre au service de l’humain tout en refusant le conflit social et en dernière analyse, la lutte des classes. Pour les quelques miettes sociales de son programme, elle construit des promesses sans se donner les moyens pour y parvenir en refusant toute conflictualité avec le patronat, le monde de la finance, les traités européens. Comme toute la gauche libérale, elle croit au dialogue social avec ceux qui nous dominent. Ainsi dans son programme, elle écrit qu’il faut engager une discussion avec les entreprises pour les convaincre à de nouvelles régulations : il faut « rechercher l’institution d’un dialogue permanent entre les entreprises européennes et multinationales, d’une part avec la Commission Européenne, d’autre part avec les instances internationales, de façon à ce que de nouvelles voies de régulation soient explorées. »

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Un changement chez Taubira ?

Néanmoins, 20 ans ont passé depuis l’élection de 2002 et Mme Taubira a pu évoluer dans sa grille de lecture. Ainsi, prenons son dernier rôle dans la politique. Entre 2012 et 2016, elle est ministre de la Justice sous le mandat du parti socialiste. Or, la politique économique de François Hollande est sans nul doute la plus à droite depuis 30 ans – outre Macron évidemment.

Pendant 4 années, elle a côtoyé les Ayrault, Fabius, Valls, Macron et a acquiescé l’ensemble des politiques économiques qui ont fragilisé le corps social : le CICE et le Pacte de responsabilité, soit prendre 60 milliards dans les caisses de l’Etat, donc des contribuables, pour les donner sans contrepartie aux entreprises ; la loi Macron qui flexibilise le marché et fait reculer le droit du travail ; la pression fiscale accentuée sur les ménages ; les suppressions de cotisations patronales ; l’ensemble des politiques d’austérité ; l’imposture de la COP 21 et de la croissance verte ; la soumission aux traités européens ; etc. En réalité, si Christiane Taubira ne s’est pas révoltée contre les politiques libérales et bourgeoises du PS, c’est parce qu’elles s’ancrent globalement dans sa grille de lecture idéologique. Par ailleurs, si Taubira s’est opposée à la loi El Khomri et s’est rangée dans le camp de Benoit Hamon, c’est après sa démission du gouvernement en janvier 2016, un peu facile.

. 3. Conclusion : une sociale-libérale

Si le développement d’une pensée radicale, c’est prendre les choses par la racine comme le disait Marx, force est de constater que ce processus de pensée est inconnu chez Taubira en ce qui concerne la question économique, intimement liée à la question sociale. Si je ne peux qu’être d’accord avec ses combats anti-discriminatoires, contre le néocolonialisme français en territoire d’Outre-Mer ou le devoir de mémoire, Mme Taubira reste plutôt une figure politique idéaliste et libérale qui, lorsqu’elle propose certaines idées plutôt de gauche, refuse de se donner les moyens pour les appliquer par un évitement de la conflictualité de la lutte des classes.

Marcuss


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