Présidentielle (France) : « Les animateurs de la Primaire populaire veulent utiliser l’aspiration à l’unité des gauches et de l’écologie pour promouvoir un social-libéralisme repeint en vert »

lundi 7 février 2022.
 

Cette tribune publiée dans Le Monde, est signée par David Flacher, économiste, Pierre Khalfa, économiste, Michèle Riot-Sarcey, historienne, et Claude Touchefeu, ancienne adjointe au maire de Toulouse. Ils ont participé à toutes les initiatives unitaires, y compris celle de la Primaire populaire.

Près de 400 000 participantes et participants au vote de la Primaire populaire. C’est évidemment un succès pour une initiative citoyenne lancée en dehors des partis politiques. Certes il ne s’agit pas d’un raz de marée et on est loin de la participation lors des primaires pour les élections présidentielles précédentes.

Mais quand, refusant la logique mortifère d’un affrontement porteur d’une très probable défaite, plusieurs centaines de milliers de personnes veulent peser sur la vie politique et participer à la désignation d’une ou d’un candidat commun de la gauche et de l’écologie politique, c’est de bon augure pour la démocratie et pour la gauche.

Division et confusion

La politique n’est pas simplement l’affaire des partis, et ceux-ci feraient bien de l’accepter et d’en tenir compte. Le refus de certains de participer à ce processus montre qu’ils n’ont pas pris toute la mesure de la crise de la politique. Ils restent enfermés dans une logique classique de la recherche d’hégémonie, chacun espérant que l’élection présidentielle sera l’occasion de prendre la main.

Cependant, au-delà de ce succès indéniable, les problèmes politiques commencent pour la Primaire populaire et ses animateurs et ses animatrices. Son objectif initial était de désigner une candidature commune en forçant tous les prétendant.es à participer à une primaire et à se rallier à la gagnante ou au gagnant.

Devant le refus des principaux candidats, la Primaire populaire a dû changer d’objectif. D’une primaire, elle est passée à une « investiture » où ont été soumis au vote sans leur accord un certain nombre de candidats et dont d’autres ont été d’emblée exclus. Dans cette situation, il n’est guère surprenant que Christiane Taubira, seule candidate déclarée à accepter ce processus, en soit sortie gagnante, puisque les autres n’ont pas demandé à leurs soutiens de participer à ce vote.

Le premier problème concerne Christiane Taubira elle-même. Lors de sa première déclaration elle avait affirmé ne pas vouloir être une candidate de plus. Les promesses n’engageant, on le sait, que celles et ceux qui les écoutent, la voilà cependant candidate en plus et contre les autres. Et, comme les autres, elle compte en réalité sur les sondages pour faire la différence dans un processus darwinien qui n’a rien à voir avec une dynamique de rassemblement. Loin de clarifier la situation, sa candidature a donc ajouté à la division et à la confusion.

Un parti politique de plus

Le second problème concerne la Primaire populaire. Elle va donc entrer dans la compétition électorale en devenant un instrument au service d’une candidate contre les autres. Elle annonce aussi qu’elle va « labéliser » des candidates et candidats pour les législatives. Ses animateurs se réclament de l’expérience du Sunrise étatsunien [Sunrise Movement, un mouvement né en 2017] pour justifier leur projet. Mais ce dernier agissait dans le cadre des primaires du Parti démocrate avec l’objectif de faire gagner les candidates et candidats les plus favorables à un Green New Deal ambitieux.

Il s’agissait de pousser vers la gauche le Parti démocrate, pas de le faire éclater. Rien de tel dans la situation française. Un « mouvement politico-citoyen » qui fait campagne pour une candidate à la présidentielle et qui donne son label à des candidats pour les législatives, cela ressemble fort à un nouveau parti politique, quel que soit le nom qu’il se donne et même si ses animateurs le nient. Au lieu de s’appuyer sur son succès pour éclairer et rénover la vie politique, la Primaire populaire va donc assez banalement se comporter comme un parti de plus parmi les partis qu’elle critique.

Par glissements successifs, la Primaire populaire est donc en train de passer d’un processus visant au rassemblement de la gauche et de l’écologie politique à une initiative qui va accroître la division. Les animateurs de la Primaire populaire veulent utiliser l’aspiration à l’unité qui s’est manifestée lors de ce vote pour un projet qui se révèle en réalité contraire à cette aspiration. Il s’agit d’un détournement politique.

Ce comportement problématique se traduit d’ailleurs dans le mode de fonctionnement de la Primaire populaire. Il met en scène un empilement d’instances sans pouvoir réel, et celui-ci ne repose en réalité que sur un groupe très restreint de personnes qui décident d’à peu près tout, que ce soit de l’orientation générale ou des initiatives à prendre. Ce mode de fonctionnement avait été accepté, non sans critiques, au nom de l’efficacité pour préparer l’échéance de la primaire. Le futur « mouvement politico-citoyen » reprend le même schéma de fonctionnement très vertical et peu démocratique.

Absences significatives

Reste maintenant à savoir quelle orientation ce nouveau mouvement politique entend promouvoir. Les animateurs de la Primaire populaire ont récemment impulsé et largement diffusé une tribune « Pour un nouveau cap économique » qui en définit l’ambition sur ce terrain essentiel. Les économistes ou les syndicalistes qui, depuis des années, se battent pour un « nouveau cap économique » n’ont pas été associés à cette tribune, ou même d’ailleurs celles et ceux qui soutiennent la Primaire populaire. La seule personne citée dans ce texte est le député européen macroniste Pascal Canfin, et parmi les signataires on trouve surtout des entrepreneurs et des PDG.

Les propositions concrètes, en nombre réduit, frappent surtout par leur ambition très limitée. Ainsi, par exemple, la proposition phare de cette tribune qui consiste à modifier les normes comptables pour y intégrer les externalités négatives des entreprises. Elle fait non seulement l’impasse sur les nécessaires réglementations publiques pour les empêcher, mais n’évoque même pas les sanctions financières nécessaires et reste en deçà même de la notion de « pollueur payeur ».

Les absences dans ce texte ne sont pas moins significatives : rien sur l’industrie financière et le contrôle des banques commerciales, sur la dette publique, sur le fonctionnement des entreprises et la valeur actionnariale, etc. Bref, rien sur ce qui est au cœur du fonctionnement du néolibéralisme.

A en juger par cette tribune, les animateurs de la Primaire populaire entendent donc utiliser l’aspiration légitime à l’unité des gauches et de l’écologie politique pour promouvoir un social-libéralisme repeint en vert en mettant Christiane Taubira en tête de gondole. Si tel est le cas, la gauche et l’écologie politique n’auraient pas grand-chose à y gagner.

David Flacher, économiste, Pierre Khalfa, économiste, Michèle Riot-Sarcey, historienne, et Claude Touchefeu, ancienne adjointe au maire de Toulouse, ont participé à toutes les initiatives unitaires, y compris celle de la Primaire populaire.

• Le Monde. Publié le 31 janvier 222 à 12h06, mis à jour à 14h47 :


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