Amérique latine Résistances aux stratagèmes américains : Honduras

mardi 28 décembre 2021.
 

HONDURAS Élections générales (présidentielles – législatives – municipales) du 28 novembre

Participation : 68 %.

Présidence : Mme Xiomara Castro est élue avec 53,60 %.

Législatives : la coalition de Mme Xiomara Castro remporte 50 sièges sur 128.

Municipales : forte poussée de la gauche qui emporte la capitale Tegucigalpa.

Mme Xiomara Castro sera la première femme à diriger le Honduras.

Mme Xiomara Castro sera la première femme à diriger le Honduras. Elle le doit à sa ténacité, mais aussi à son amour pour ce pays agressé depuis des décennies par l’Empire américain (comme d’ailleurs tous les pays de Centre-Amérique qui ne s’y soumettent pas). Elle l’emporte avec 20 points d’avance sur Nasry Asfura, le candidat du président sortant Juan Orlando Hernandez

Pour comprendre cette large victoire, il n’est pas inutile de revenir quelques années en arrière. Le 28 juin 2009, par exemple, quand des militaires envahissent la demeure officielle du président en exercice Manuel Zelaya (époux de Xiomara Castro). Il dort, les militaires le réveillent, le menottent, le mettent dans un avion, alors qu’il est encore en pyjama, et l’expédient au Costa Rica voisin. Dans la foulée, le parlement nomme un chef d’entreprise, Robert Micheletti, pour assurer la transition. Pourquoi et comment le Honduras en est-il arrivé là ? Zelaya était-il un dictateur ? Zelaya s’en prenait-il aux opposants, aux droits de l’homme ?

Tout le contraire. Mais Manuel Zelaya souhaitait intégrer son pays dans la dynamique impulsée par Hugo Chavez, faite de solidarité et de partage entre les pays membres : l’Alba, à la création de laquelle avaient participé Fidel Castro et Evo Morales. Zelaya adhère donc à l’Alba, ainsi qu’à Petrocaribes, qui grâce à des crédits report sur 25 ans des factures d’hydrocarbure consenties par le Venezuela, permet aux petits pays d’Amérique latine de développer des politiques sociales, de construire hôpitaux et écoles…). Zelaya ose donc s’écarter de la tradition suivie par ses prédécesseurs au Honduras, totalement soumis au marché américain.

Et comme si cette « erreur » stratégique ne suffisait pas, Zelaya s’interroge également sur une réforme de la constitution qui, à ses yeux, représente plus les intérêts de la classe dirigeante que ceux des citoyens dans leur ensemble. Il propose donc d’organiser un referendum pour une assemblée constituante qui pourrait se dérouler lors du prochain scrutin, fin 2009, quelques mois avant son enlèvement par un commando.

Alors que tous les pays de l’Alba crient au scandale, appuyés par l’Argentine des Kirschner et le Brésil de Lula, les regards se tournent inévitablement vers les États-Unis de Barak Obama et de sa secrétaire d’Etat Hillary Clinton. Le président américain ne vient-il pas de se déclarer, tout juste quelques semaines auparavant, « profondément préoccupé par la situation au Honduras » ?

Les preuves de l’implication des États-Unis seront apportées quelques années plus tard dans une autobiographe d’Hillary Clinton, qui n’hésite pas à parler « d’un plan mis en place pour promouvoir l’ordre et la démocratie au Honduras » (qui depuis s’est converti en un pays parmi les plus dangereux du monde).

Une journaliste très impliquée dans les manifestions contre ce coup d’État, Berta Caceres dénonce très clairement, à la télévision, la « main » des États-Unis. C’est une figure connue, à la tête de la coordination civique des organisations populaires et indigènes du Honduras. Elle s’est déjà affrontée à la police et au patronat honduriens qui lui reprochaient de retarder des projets de centrales hydroélectrique et donc « le progrès du pays ». Elle est assassinée le 5 mars 2016 par un sicaire venu sonner à la porte son domicile. Des manifestions très importantes de solidarité ont alors lieu en sa mémoire dans tous les pays d’Amérique latine, où elle était connue et respectée pour son engagement en faveur des plus démunis et de l’environnement.

L’exigence de sécurité invoquée comme justificatif de l’action américaine ne visait bien sûr pas à protéger Berta Caceres, qui avant même son assassinat, avait déjà échappée difficilement aux tirs des forces de l’ordre lors des manifestations… La décennie 2010-2021

Si Hillary Clinton justifiait son plan par la nécessité de rétablir l’ordre au Honduras, celui-ci a très nettement échoué. Depuis 2010, le désordre y règne : laisser-aller économique, insécurité en hausse, narcotrafic florissant (comme d’ailleurs dans d’autres pays au monde envahis par les États-Unis…)

Sur le plan économique : les deux tiers des 10 millions d’Honduriens sont pauvres. C’est le pays le plus pauvre d’Amérique, 39 % vivent sous le seuil pauvreté et 20 % ont un dollar par jour pour vivre. D’après la banque mondiale, seul Haïti fait pire. 8 % de la population hondurienne a immigré à l’étranger, pour la plupart aux États-Unis.

En matière de sécurité, la secrétaire d’État Hillary Clinton est venue personnellement en mars 2010 appuyer le nouveau président Porfirio Lobo et proposer le large financement d’un plan de rétablissement de la sécurité. Mais la violence augmente, au même rythme d’ailleurs que les attaques contre les défenseurs des droits de l’homme et les activistes politiques.

En matière de narcotrafic, c’est aussi l’inflation. Depuis l’intervention contre le président Zelaya, les Américains ont réussi à transformer ce petit pays d’Amérique centrale où l’on venait tout juste consommer des stupéfiants sur l’île caraïbe de Roatan, en pays de narcotrafiquants :

Le fils du président Porfirio Lobo (2010–2014) élu après la destitution de Zelaya a été arrêté pour trafic de drogue.

Le frère du président actuel Juan Orlando Hernandez (élu en 2014 et encore en fonction) est reconnu coupable de trafic de drogue en 2019. On apprendra au cours de son procès que son frère, le président en exerce, aurait empoché un million de dollars des cartels mexicains.

Juan Orlando Hernandez est d’ailleurs le principal suspect d’une enquête menée par un tribunal de New York : il aurait protégé le narcotrafiquant Geovanny Ramirez en échange de dessous de table.

Ces éléments de contexte éclairent ce qui s’est passé lors de la précédente élection présidentielle, en 2017 : dans la nuit du dépouillement, alors que 70 % des bulletins donnaient gagnante, avec 5 points d’avance, la coalition « Alianza contra la dictatura » de Manuel Zelaya, représenté par le candidat Salvador Nazralla, coupure soudaine d’électricité. Lorsque le courant revient, plusieurs heures plus tard, c’est son rival Hernandez qui est étonnamment en avance de 1,5 % puis gagne l’élection. Soupçons de manipulation électorale, État mafieux : c’est l’héritage onze ans plus tard du prix Nobel de la Paix Obama et de sa secrétaire d’Etat Hillary Clinton, une version made in USA de la démocratie, de l’ordre et de la sécurité.

En conclusion

Xiomara Castro, malgré sa large victoire, n’aura pas un mandat facile, et devra songer sans cesse à sa propre sécurité. Car les vaincus d’un soir n’abdiqueront jamais, et l’on a dans toute la zone latino d’autres exemples de leur action, dont seules les formes d’intervention changent.

Mais le long chemin parcouru depuis 2009 a au moins conduit à une nette victoire, que le candidat battu Nasry Azfura a bien compris en félicitant sa rivale devant les caméras de télévision.

Elle devra être la présidente de tous les Honduriens et tenter de parvenir à une majorité (65 députés pour les simples lois ; 85 pour transformer la constitution), là où son rassemblement ne compte que 50 députés (coalition avec le parti libéral) sur 128. Une majorité difficile à obtenir pour légaliser l’avortement, dans un sous-continent où le poids des églises est souvent plus fort que les convictions politiques.

Mais le long chemin parcouru depuis 2009 a au moins conduit à une nette victoire, que le candidat battu Nasry Azfura a bien compris en félicitant sa rivale devant les caméras de télévision.


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