La gauche doit cesser d’avoir honte d’être de gauche

jeudi 11 novembre 2021.
 

Là où N. Sarkozy inventait il y a quelques années la droite décomplexée, est progressivement apparue la gauche complexée. Les échecs de la stratégie médiatique policée de la gauche, comparés aux succès de la stratégie du choc de l’extrême-droite, devraient inciter les représentants politiques de la gauche à changer de cap : il faut cesser de faire des concessions dans la bataille des idées.

Philippe Poutou et la police qui tue : un cas d’école

« La police tue » a affirmé Philippe Poutou.

Le ministre de l’intérieur Gerald Darmanin s’est empressé de porter plainte et les médias, toujours friands de petites phrases, de commenter celle-ci en stigmatisant son auteur.

Mais P. Poutou a ouvert la fenêtre d’Overton : c’est-à-dire qu’en prononçant cette phrase jugée inacceptable, il a repoussé un peu les frontières de l’acceptable.

L’idée d’une police qui tue, bien que ce soit pour la fustiger dans quasiment tous les médias, a été véhiculée. Ce n’est qu’à cette condition qu’elle pourra infuser l’opinion publique.

Car, comme l’ont depuis longtemps compris les publicitaires, il n’y a pas de bad buzz. La presse a enfin parlé de Poutou et surtout l’idée que la police tue a été prononcée. D’autant que, n’ayant pas les moyens d’apporter la contradiction par des arguments face à ce qui relève d’un fait avéré (les morts de Adama Traoré, Rémi Fraisse, Zineb Redouane, Steve Maia Caniço entre autres), les grands médias se sont contenté de faire défiler des chroniqueurs venus jouer les vierges effarouchées. Que l’on admette ou non la dimension institutionnalisée des violences, le fait que des policiers ont tué a été rappelé dans toute la presse.

P. Poutou réagissait aux propos de Dominique Lanoë, adjoint La France insoumise (LFI) à la maire de Cachan . « Je croyais que le but de la police, c’était de protéger la population, pas nécessairement de posséder des armes pour la tuer », avait déclaré M. Lanoë lors du conseil municipal du 30 septembre. Mais la déclaration de P. Poutou a eu beaucoup plus d’écho, pour deux raisons.

D’abord parce que sa phrase est beaucoup plus engagée et percutante : elle peut être interprétée comme la critique d’un système de violence institutionnalisée à travers le terme de « police » alors que le premier réagissait simplement à la volonté de l’opposition municipale de doter d’armes les policiers. Mais aussi parce que P. Poutou a choisi de persister dans ses propos là où la maire LFI a choisi d’évoquer les travers d’un « montage vidéo » et des « propos non maîtrisés ».

Là où les élus LFI de la mairie de Cachan ont voulu préserver leur image lisse, P. Poutou n’a pas cédé aux sirènes de la police médiatique mais a assumé d’être stigmatisé pour ses idées. On pourrait se contenter de saluer son courage.

Mais on peut également approfondir la réflexion en analysant les logiques qui l’animent : là où des élus LFI se préoccupent de leur image dans une réflexion électoraliste à court terme, Philippe Poutou ne vise qu’à diffuser ses idées dans la perspective d’une lutte sur le long terme.

Sa force, c’est qu’il se présente à des élections présidentielles sans prétention à les remporter : il s’agit d’utiliser la campagne comme une tribune pour des idées d’habitude invisibilisées par les médias. Il peut porter les coups à l’idéologie dominante car il ne craint pas les retours de bâton. Il n’a pas peur de faire peur.

De surcroît, par le phénomène que les sociologues appellent « l’effet d’exposition », il est même possible que Philippe Poutou marque des points par cette déclaration. En effet, lorsque je tape sur google le nom de Philippe Poutou le 4 novembre 2021, soit 3 semaines après cette déclaration, l’onglet « à la une » me propose 3 articles sur 5 au sujet de cette phrase sur la police. Si je fais une recherche sur google vidéo, 6 vidéos parmi les 10 premières proposées évoquent sa phrase sur les violences policières. Double victoire : Philippe Poutou a fait parler de sa candidature à la présidentielle et a imposé comme sujet médiatique les violences policières.

Accepter de heurter l’opinion : comparaison avec l’extrême-droite

On a coutume de dire que les idées d’extrême droite sont banalisées, n’est-ce pas plutôt au contraire que ses porte-voix assument de heurter l’opinion majoritaire ?

C’est pourquoi ils sont plus présents dans les médias, et c’est ainsi qu’ils arrivent peu à peu à diffuser leurs idées à un cercle plus large. En effet, la stratégie du choc paie. Les idées extrêmes et subversives engendrent la polémique, la polémique engendre de l’audience donc les tribuns d’extrême droite monopolisent l’antenne.

Selon une étude du CNRS sur l’émission Touche Pas à Mon Poste (TPMP)1, la moitié du temps de parole accordé aux candidats à la présidentielle et à leurs soutiens est monopolisée par l’extrême-droite ainsi que la moitié des sujets politiques. La gauche dans son entier ne représente que 5 % du temps de parole pour les candidats à la présidentielle et 10 % des sujets politiques.

Est-ce à dire que Cyril Hanouna est d’extrême droite ?

Sûrement pas2 mais il est avant tout focalisé sur ses audiences et il sait que les propos choquants vont en générer.

De la même manière, pourquoi Vincent Bolloré se passerait-il d’Eric Zemmour alors qu’il dope les audiences de sa chaîne Cnews ? En effet, l’émission dans laquelle il apparaît fait le double d’audience (4 % environ) par rapport à la moyenne de la chaîne (1.8%) et le départ contraint d’Eric Zemmour de l’émission lui a fait perdre ces dernières semaines 85 000 spectateurs3. A l’inverse, sa présence sur les divers plateaux télé lors de la non-campagne qui a suivi son départ de Cnews dope systématiquement les audiences : pour exemple, l’emission « On Est En Direct » a fait 16.8 % de part de marché lors de la venue de ce dernier pour seulement 11.9 % la semaine précédente.

Il est donc logique que les médias en quête d’audience se fassent les porte-voix de l’extrême droite, puisqu’elle est la seule tendance politique aujourd’hui à assumer d’aller à l’encontre de ce que ses porte-voix ont même baptisé ironiquement la « bien-pensance ».

C’est avec cette même stratégie que Donald Trump a remporté les élections aux Etats-Unis : la majorité des médias ne le soutenait pas mais le fait d’assumer des idées, même choquantes, lui a permis de bénéficier de l’effet d’exposition. En effet, les médias sont entendus mais de moins en moins écoutés : le point de vue du journaliste sur un sujet a moins d’importance que l’évocation du sujet en elle-même. Peu importe l’opinion des journalistes sur Donald Trump : l’important est qu’il a su nourrir les médias avec des polémiques et qu’il a su se nourrir lui-même de l’obsession médiatique à son encontre.

La gauche a bien des leçons à en tirer : une vraie gauche est plus subversive que l’extrême droite et elle gagnerait à l’assumer.

Comprendre la mécanique des médias

Chercher à être consensuel, si cela apparaît intuitivement une stratégie électoraliste payante, c’est n’avoir rien compris au jeu médiatique : chercher la petite phrase ou le fait choquant, le faire tourner en boucle, le commenter, inviter « l’accusé » à répondre de ses propos.

Cela permet aux chaînes TV de générer de l’audience et au représentant politique d’ouvrir le débat ou d’élargir la fenêtre d’Overton. Ainsi, ce qui a pu choquer de prime abord peut être expliqué et accepté.

Lorsque j’ai vu pour la première fois la séquence cocasse d’Arrêt sur Image où ce militant affirme ne pas être un homme mais être non binaire pour réfuter tout monopole masculin sur le plateau de cette émission, j’avoue avoir beaucoup ri. J’ai peut-être même partagé la vidéo avec des amis. Mais, bien que caricaturale et quasi unanimement moquée, la scène a permis de mettre en lumière le concept de non-binarité et d’en faire un sujet médiatique : aujourd’hui, je sais de quoi il s’agit.

Lorsqu’une élue écologiste refuse de subventionner un aérodrome à Poitiers, arguant du refus de financer des activités émettrices de gaz à effet de serre et de la nécessité de changer les rêves des enfants, elle essuie une polémique nationale. Cependant, elle impose le thème de la pollution par les avions. Elle fait réfléchir les voyageurs à leur empreinte carbone et assume de vouloir changer les mentalités.

Ces deux exemples nous montrent que pour imposer des concepts, un vocabulaire, des idées, il ne faut pas craindre les réactions négatives. C’est ce que l’extrême droite a bien compris et, pour cette famille politique, la fenêtre d’Overton ne cesse de s’élargir. Pour la gauche, la fenêtre ne cesse de se rétrécir. Les frontières de l’acceptable et de l’inacceptable sont en train de connaître une totale inversion : on peut par exemple être raciste mais on ne peut pas dénoncer le racisme sous peine d’être « racialiste » ou « indigéniste ».

Au-delà d’une volonté des classes dominantes que j’avais tenté de mettre en lumière dans un précédent article4, cela s’explique aussi par un manque de courage politique à gauche.

Un manque de courage politique à gauche

Le socialisme de parti qui vise à asseoir ses élus locaux et nationaux, mandat après mandat, a tué le socialisme.

En effet, pour ne pas prendre le risque de heurter l’opinion majoritaire, les hommes politiques transigent sur leurs idées. Ils ont renoncé à la volonté de transformer le monde parce qu’ils ont renoncé à bousculer les mentalités.

Ainsi, lorsqu’Audrey Pulvar, sommée de critiquer les réunions non-mixtes et voulant faire bonne figure, explique qu’elle ne souhaite pas « jeter dehors » les hommes blancs aux réunions de femmes noires mais qu’on peut demander aux personnes non concernées de « rester silencieux », on sent déjà qu’elle a peur d’être radicale alors qu’elle comprend très bien l’intérêt des réunions non mixtes5. Mais c’était déjà trop d’audace. Elle cède carrément sous la pression de la droite et de l’extrême droite dans les jours qui suivent lorsque, invitée à faire l’exégèse de sa propre phrase comme le veut la tradition médiatique, elle explique qu’il s’agit pour elle de se taire pour « écouter l’autre, avant ensuite de prendre la parole ».

Par une totale inversion des valeurs, Marine Le Pen et tous ses sbires avaient mené une campagne de dénigrement sur le prétendu racisme d’Audrey Pulvar. C’est le jeu de l’extrême droite de jouer à « miroir miroir c’est celui qui dit qui est ». Les médias télévisuels ont assez unanimement crié au scandale. C’est le jeu des médias de créer du scandale pour faire de l’audience.

Mais au lieu de profiter d’avoir l’attention des auditeurs, des lecteurs et des spectateurs grâce à l’écho donné à sa petite phrase, Audrey Pulvar a choisi de battre en retraite. Elle aurait pu persister dans son refus des simplifications et continuer à aller dans le sens de la nuance qu’elle avait voulu introduire, car c’est aussi cela être radical : ne pas céder aux schémas binaires imposés par les médias. Mais elle n’est pas allé jusqu’au bout.

Il faut dire qu’elle s’est retrouvée bien seule. Au lieu de la soutenir comme ont pu le faire certains représentants de La France Insoumise (LFI) dont Jean-Luc Melenchon et Clementine Autain, ses collègues du Parti Socialiste (PS) ont évoqué une « phrase malheureuse »6 ou se sont satisfaits qu’elle ait « réparé »7 la polémique en reprenant à leur compte le vocabulaire de droite et d’extrême droite : « Je ne crois pas qu’Audrey Pulvar fasse partie de la gauche racialiste ou indigéniste » supputait timidement Anne Hidalgo. Il s’agit à chaque fois de se défausser et de se désolidariser de toute idée de gauche qui pourrait jouer contre eux dans les urnes.

Mais cette pusillanimité n’est malheureusement pas propre au PS. Hormis le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) dont la presse ne se fait l’écho que pendant les campagnes présidentielles, il semble que La France Insoumise soit le seul parti de gauche qui assume d’affronter des polémiques et refuse de se laisser imposer des sujets d’extrême-droite, selon une stratégie pour laquelle Jean-Luc Melenchon a manifestement opté8. Même le Parti Communiste (PC) court après l’extrême droite sur le thème de la sécurité comme en témoigne la présence de Fabien Roussel à la manifestation des policiers du 19 mai 2021, très contestée chez les militants de gauche pour de multiples raisons.

Là où la gauche cède à l’imposition des sujets par l’extrême-droite, elle ne tente même plus d’imposer ses propres sujets.

Il est édifiant de voir que dans la primaire écologiste, une seule candidate portait le concept de décroissance, Eric Piolle se déclarant par exemple « pas fan » du terme. Or, il est indispensable de rompre avec la religion de la croissance avant de faire accepter à l’opinion des mesures écologistes. Les hommes et femmes politiques de gauche sont tellement focalisés sur l’obtention de poste aux élections les plus proches qu’ils en ont oublié que pour transformer la société, il faut la remettre en question dans ses dogmes et donc prendre le risque de heurter. Avant de changer le monde, il faut transformer les opinions. De plus, la peur de choquer avec le concept de décroissance part du présupposé faux selon lequel les Français vont se détourner d’eux dans les urnes si le mot est prononcé. Or, la majorité des Français sont favorables à la décroissance selon un sondage réalisé pour le Medef par Odoxa en mai 20209.

D’ailleurs, lorsque l’on interroge les Français sur leurs idées, les sondages montrent qu’ils ont plutôt des opinions de gauche.

La bataille des idées n’est pourtant pas perdue

Selon un sondage Ifop commandé par l’Humanité, 81 % des Français sont pour l’augmentation du SMIC, 85 % sont pour taxer les dividendes des actionnaires des plus grandes entreprises, 78 % sont pour le rétablissement de l’Impôt sur la Fortune et 93 % sont pour un grand plan de réinvestissement dans les services publics.

La gauche, au lieu de laisser cet apanage au Rassemblement National, pourrait être celle « qui dit tout haut ce que les gens pensent tout bas ». Pourquoi alors, toujours d’après les sondages, les intentions de vote pour l’ensemble des candidats de gauche à la présidentielle atteignent péniblement le quart des électeurs ?

Parce que la gauche ne met pas en valeur ses idées et beaucoup d’électeurs ne font pas le lien entre ces idées évoquées plus haut et les partis de gauche. Mue -ou plutôt immobilisée- par la peur de heurter, la gauche n’a rien compris au jeu médiatique. Elle bat en retraite lorsqu’une déclaration est critiquée au lieu de se nourrir du battage médiatique.

Pourquoi alors cette peur de faire peur ?

Parce que l’information arrivera aux électeurs par le truchement des médias.

Être de gauche, c’est remettre en question l’ordre social. Or, il est vrai qu’il est plus facile de s’attaquer au bas de la hiérarchie sociale qui n’a pas de pouvoir (les chômeurs, les migrants, les immigrés et leurs descendants) qu’aux puissants (les actionnaires, les grands patrons, le monde de la finance, les 1 % les plus riches). Telle qu’est structurée la presse aujourd’hui, une polémique de gauche a en effet plus de chance d’être mal accueillie par la presse qu’une polémique d’extrême droite : créer une nouvelle tranche d’impôt sur le revenu pour les plus riches, augmenter les fonctionnaires, taxer le kérosène ou les transactions financières, réduire le temps de travail... autant de projets qui peuvent agacer les patrons de presse dans une plus forte mesure que la stérile polémique sur les prénoms lancée par Eric Zemmour.

Mais il faut faire le pari de l’intelligence des électeurs. En tout cas d’un minimum de discernement.

Aujourd’hui, si les médias disposent de moyens de diffusion de masse, la méfiance à l’égard de la presse est un acquis largement partagé et fait partie du sens commun. Jamais les Français n’ont été aussi connectés aux réseaux d’information et jamais pourtant la déconnexion entre les journalistes et les citoyens n’a été si forte. Mieux vaut par conséquent une idée critiquée que l’invisibilité : l’électeur pourra faire fi du commentaire journalistique et juger par lui-même cette idée.

Lorsque durant sa campagne électorale de 2012, dans son fameux discours du Bourget, François Hollande désigne la finance comme son « adversaire », il prend le risque de s’attirer les foudres des classes dominantes et donc de la presse. Pourtant, sa stratégie paie puisqu’il est élu président dans la foulée. La suite montrera que la finance n’a pas véritablement été inquiétée, mais l’exemple vaut pour conjurer la peur de désigner l’adversaire.

Aussi, les reproches médiatiques matraqués contre Jean-Luc Melenchon sur le plan de la radicalité des idées ont rarement atteint leur but : les attaques constantes sur son refus de condamner le Venezuela d’Hugo Chavez et sa participation à la manifestation contre l’islamophobie lui ont été reprochés maintes fois dans la presse sans véritablement atteindre sa popularité. C’est par un habile montage du Petit Journal avec la malheureuse déclaration « La République, c’est moi » que sa popularité s’est effritée considérablement, séquence qui n’a rien à voir avec la radicalité de ses idées.

Au contraire, la radicalité des idées paie : pour preuve la victoire de Benoit Hamon aux primaires socialistes des présidentielles de 2017 avec son projet de revenu universel, lui-même terrassé ensuite par Jean-Luc Melenchon qui se présentait comme encore plus radical. Plus récemment, Sandrine Rousseau, jusqu’alors inconnue par la grande majorité des français, a convaincu les électeurs d’EELV au point d’être portée au second tour et de rivaliser avec Yannick Jadot, secrétaire du parti et déjà largement médiatisé depuis plusieurs années. Elle se voulait la porte-parole d’un courant quasiment inconnu lui aussi : l’éco-féminisme. A défaut d’avoir remporté la primaire, à quelques voix près, elle a su diffuser ses idées radicales et convaincre de nombreux français malgré la campagne de presse largement favorable à son adversaire. Faire découvrir l’existence de l’éco-féminisme est déjà une victoire. La tentative de ridiculisation suite à sa déclaration au sujet de son mari comme « un homme déconstruit » aura fait parler d’elle et de ce concept qui a le mérite d’interpeler. Choquer, c’est aussi parfois faire prendre conscience.

Être radical, ce n’est pas forcément être caricatural ou extrémiste

C’est ne pas lâcher un pouce de territoire sur ses idées.

C’est parfois proposer une alternative nuancée au milieu de la binarisation simpliste imposée par les médias ou les adversaires politiques. Restituer sa complexité au réel et prendre le temps de l’expliquer. Ne pas entrer dans le moule caricatural qui nous est tendu.

Prenons deux séquences médiatiques autour de Jean-Luc Melenchon : l’une ratée, l’autre réussie. Prenons le temps d’en analyser les raisons.

La première est son discours à Marseille en septembre 2018 où il dénonce « Macron, le plus grand xénophobe qu’on ait » suivi d’une rencontre avec ledit xénophobe où il n’assume pas ses propos et parle d’une « exagération marseillaise ». Pourquoi n’a-t-il pas simplement dit « Le président Macron prend des mesures défavorables aux migrants pour satisfaire les xénophobes. » ? Il aurait pu assumer son propos jusqu’au bout : c’est cela être radical.

La deuxième est son interrogatoire chez J.-J Bourdin il y a quelques semaines où ce dernier lui demande d’endosser la phrase « la police tue » ou de la condamner. L’élu LFI refuse les deux positions opposées et invite son interlocuteur à admettre que Zineb Redouane est morte à cause d’une grenade lancée par un policier. Il ne tombe pas dans le piège de la généralisation : J. J. Bourdin n’aura pas sa petite phrase simpliste à positionner dans le bandeau des émissions suivantes mais J.-L. Melenchon n’aura rien concédé à ses idées. Être radical, c’est ne rien lâcher à ce qu’on considère être la vérité, refuser de simplifier outre mesure la réalité et prendre le temps d’expliquer sa propre vision du réel quitte à ouvrir des voies alternatives.

Mais pour contourner la crainte d’être stigmatisé qui paralyse les élus de gauche, il manque surtout des intellectuels médiatiques pour jouer le rôle de fusible.

Le doublon intellectuel/homme politique

Marine Le Pen normalisait, Eric Zemmour radicalisait. L’une visait à gagner à court terme la bataille des urnes, l’autre à long terme la bataille des idées. Voilà les deux mamelles qui ont nourrit l’extrême droite ces 10 dernières années.

Peut-être Eric Zemmour estime-t-il que le combat des idées a été remporté au point que son égo l’amène à penser qu’il peut remporter lui-même la bataille des urnes. Ou peut-être ne va-t-il pas se présenter et alors il aura joué le rôle de rampe de lancement pour sa doublure politique qu’est Marine Le Pen en profitant de sa surmédiatisation de candidat potentiel, ce qui est mon hypothèse.

Toujours est-il que c’est ce genre de doublon intellectuel/homme politique qui fait défaut à la gauche. Quel intellectuel de gauche peut se targuer de parler au grand public aujourd’hui ?

Aymeric Caron jouait ce rôle il y a quelques années dans l’émission On n’est pas couché. Il a réussi notamment à mettre en lumière l’antispécisme et le végétarianisme alors qu’il prêchait dans un désert à l’époque. Il suscitait de vives réactions mais bénéficiait d’un large écho sans équivalent aujourd’hui.

Sans doute les grands patrons qui dirigent les médias préfèrent voir s’exprimer des hérauts de la lutte des races plutôt que des hérauts de la lutte des classes, plus dangereux pour eux10. Sans doute est-ce par conséquent plus compliqué pour un intellectuel de gauche d’aller s’exprimer dans les médias.

Mais peut-être aussi qu’il faudrait avoir un stratégie plus volontariste d’occupation des médias par des polémistes de gauche comme il existe une palanquée de polémistes d’extrême-droite. Eux ne risqueraient pas de sacrifier leur élection et pourraient imposer des polémiques de gauche sans se soucier des déferlements de haine des réseaux sociaux, des rappels à l’ordre des médias dominants et des campagnes de haine des politiciens de droite.

Message aux représentants politiques de la gauche…

Il y a quarante ans, les idées honteuses étaient d’extrême droite, celles d’un Le Pen émergent qui se sentait à juste titre « diabolisé ». Aujourd’hui ce sont les idées de gauche qui font honte et les hommes et femmes de gauche qui sont sommés de s’excuser.

Ce n’est pas simplement la faute des médias.

C’est la faute des politiciens de gauche qui préfèrent les stratégies électoralistes à court terme au lieu de mener la bataille des idées sur le long terme. Ces politiciens n’ont, de surcroît, rien compris au jeu médiatique.

Représentants de la gauche, cessez de rougir de honte lorsque l’un de vous se risque à affirmer des idées de gauche et assumez d’avoir des idées radicales. Cessez de vous embourber dans les thèmes imposés par la droite et l’extrême droite et osez imposer les votres. Assumez vos valeurs : quels que soient les termes à connotation péjorative dont la droite vous affublera, ils ne font que désigner des gens qui luttent pour l’égalité et contre les discriminations. Soyez donc décolonialistes, racialistes, woke, islamogauchistes, décroissants, féministes, parlez d’État social et soyez prêts à affronter les déferlements de réactions négatives dans les médias.

Plutôt que de s’acharner à avoir l’air respectable dans un univers médiatique qui s’emploie à prouver le contraire, la gauche doit retrouver sa force subversive. L’important est d’avoir de l’audience et d’être entendu.

Peut-être même que la majorité des Français sera d’accord avec vous car les médias ne sont pas représentatifs et les jugements qu’ils portent ont de moins en moins de crédit. Peut-être ne le sont-ils pas et ils le deviendront grâce à votre acharnement. Ne rognez pas sur vos opinions, ne cédez pas à la peur de la complexité et de la nuance, prenez le temps d’expliquer vos idées au lieu d’y renoncer par peur d’être caricaturés par les médias et de n’être pas compris par les citoyens.

Sinon la gauche est condamnée à perdre la bataille des idées et donc aussi, à terme, la bataille des urnes.

NOTES

1 Voir à ce sujet l’émission de Mediapart intitulée « Oui. Touche pas à Mon Poste banalise l’extrême droite » https://www.youtube.com/watch?v=0Dl...

2 d’après son interview à ONPC, il apparait favorable à Emmanuel Macron et il a depuis longtemps pris position contre Marine Le Pen

3 https://tvmag.lefigaro.fr/programme...

4 https://blogs.mediapart.fr/leucha/b...

5 Citation complète :"Que des personnes discriminées pour les mêmes raisons et de la même façon sentent la nécessité de devoir se réunir entre elles pour pouvoir en discuter, ça ne me choque pas profondément, selon la façon dont les choses sont formulées. Quelque chose me dit que 95 ou 99% des participants spontanément à cet atelier seront les personnes dont il est question dans l’intitulé, mais s’il se trouve que vient à cet atelier une femme blanche, un homme blanc, etc., j’aurais tendance à dire qu’il n’est pas question de le ou la jeter dehors, en revanche on peut lui demander de se taire, on peut lui demander d’être spectatrice ou spectateur silencieux. Je ne dis pas qu’il faut qu’il soit interdit d’entrée, mais qu’il ou elle se taise et laisse parler les personnes les plus concernées."

6 Olivier Faure, secrétaire national du Parti Socialiste

7 Anne Hidalgo, maire PS de Paris et candidate à l’élection présidentielle

8 Par exemple, le choix d’aller à la manifestation contre l’islamophobie et de ne pas aller à la manifestation de la police aux tendances fascisantes là où tous les grands partis ont fait le contraire.

9 54 % plutôt favorables et 13 % très favorables au concept de décroissance défini comme « la réduction de la production de biens et services pour préserver l’environnement et le bien-être de l’humanité ».

10 Idée développée dans mon billet https://blogs.mediapart.fr/leucha/b...


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