Médecins agresseurs sexuels : l’impossible enquête

dimanche 3 octobre 2021.
 

La nécessité de travailler sur ce sujet nous est venue suite à un constat édifiant : en tant que soignant·es tout le monde a déjà entendu parler de médecins connus comme étant agresseurs sexuels. Plusieurs médecins de notre association ont donc décidé d’enquêter pour comprendre et savoir comment agir.

Pour étayer notre propos, nous avons d’abord décidé de recenser les faits-divers traitant d’agressions sexuelles ou de viols perpétrés par des médecins. Les articles sont glaçants tant par leur nombre que par les faits relatés : il en va de palpations des seins sans justification médicale, à des viols dissimulés sous des « thérapies corporelles ».

Ces agressions sont d’autant plus révoltantes que les médecins profitent de la position de dominants que leur confère leur statut. Ils justifient souvent leurs actes par la nécessité de contact physique inhérent à l’examen médical. De plus, les victimes sont souvent déjà dans un contexte de vulnérabilité physique ou psychique lorsqu’elles viennent consulter puisqu’elles sont généralement malades ou en demande d’aide.

Entre ces histoires entendues dans le cadre de notre travail, les articles de presse, les témoignages de victimes et la lecture des compte-rendus anonymes de plusieurs Chambre Disciplinaire de Première Instance du conseil de l’ordre (CDPI), les récits ne manquent pas pour estimer l’ampleur du problème.

Pourtant, beaucoup de médecins connus comme agresseurs dans la profession ne sont jamais inquiétés, ou bien quand une histoire devient publique suite à un dépôt de plainte, les réactions sont souvent : « Tout le monde le savait ». En tant que médecins féministes, nous nous sommes alors demandées s’il était possible de briser ce silence et ainsi mettre ces personnes hors d’état de nuire. Somme toute : peut-on dénoncer un confrère connu comme agresseur sexuel ?

C’est ainsi qu’a débuté un fastidieux travail de consultation des textes de lois, de contact auprès de juristes, d’appels à des associations défendant les victimes ou encore de rendez-vous auprès des Conseils de l’Ordre des Médecins. Si notre volonté paraissait louable au départ — divulguer des actes illégaux dans l’intérêt des patient·es, nous nous sommes vite rendues compte que la tâche était bien plus difficile qu’il n’y paraissait. Nous nous sommes notamment heurtées aux murs du secret médical et de la confraternité.

Confraternité et secret professionnel

Au départ de nos réflexions et de celles de nos collègues lors de discussions sur le sujet, c’est la question de la confraternité qui était le frein principalement cité. En effet, le code de déontologie stipule que « les médecins doivent entretenir entre eux des rapports de bonne confraternité » (article 56 du code de déontologie médicale – article R.4127-56 du Code de la santé publique).

De nombreux médecins craignent de manquer à leur devoir de confraternité, soit par conviction que ce n’est pas dans l’intérêt des patient·es, soit par crainte de poursuites. Cette confraternité est souvent vécue comme une contrainte, une imposition d’un silence. Or, le silence et le tabou sont des éléments clefs du fonctionnement des systèmes dans lesquels les violences sont commises. Lorsque nous avons sollicité le Conseil Départemental de l’Ordre des Médecins (CDOM) de notre département pour un rendez-vous, nous avons demandé à voir un·e juriste, afin d’être sûres d’avoir tous les éléments légaux pour notre réflexion. Le CDOM nous a répondu que ce n’était pas possible car il n’y avait pas de juriste attitré et disponible pour les médecins. Nous les avons donc ensuite relancés pour une rencontre avec des conseillers ordinaux. Nous devions au départ être reçues par le président et un médecin légiste, ce qui était pertinent par rapport à notre demande et notre sujet d’étude. Mais lorsque nous sommes arrivées, nous avons eu la surprise d’être finalement reçues par un chirurgien orthopédiste retraité, ancien président du Conseil Régional de l’Ordre des Médecins (CROM) et une angiologue. Aucune de ces deux personnes ne semblait avoir d’expertise particulière dans le domaine des violences sexuelles ou sur le plan juridique. Nous avons d’ailleurs eu le sentiment que l’entretien était totalement improvisé. Peut-être même que cette angiologue avait été parachutée là, pour l’image, parce que c’était une femme ?

Lors de cet entretien, nous avons échangé et posé nos questions. Leurs réponses étaient parfois imprécises sur le plan des procédures légales. Très rapidement, il et elle ont voulu convier une juriste à la réunion mais elle n’était pas disponible. Les conseiller·es nous ont répondu notamment que la question de la confraternité n’était absolument pas un problème dans ces situations. Il et elle nous incitaient à dénoncer toute situation dans laquelle les patient·es peuvent être mis·es en danger, en expliquant que la confraternité n’était pas là pour couvrir les actes délictueux de nos confrères et que c’était aussi de la « bienveillance » de signaler à un collègue son comportement problématique. On nous a également indiqué que nous pouvions en tant que médecin contacter l’Ordre pour signaler des violences, sous la forme d’un courrier ou d’une plainte, si la patiente ne souhaitait pas signaler elle-même la situation. Leur conseil était de rédiger un courrier avec, si possible, le nom de la patiente, mais que si elle souhaitait rester anonyme, il y aurait tout de même des suites : soit ils contacteraient le médecin en question pour le recevoir, soit ils proposeraient une conciliation. Dans tous les cas, on nous a expliqué que le récit serait gardé et ajouté au dossier du médecin, au cas où des plaintes de patient·es ou d’autres récits similaires seraient portés à leur connaissance ultérieurement. On nous a bien sûr assurées de l’importance de ce sujet et de l’implication de l’Ordre dans la lutte contre les violences sexuelles.

Nous avons souhaité ensuite confirmer ces informations auprès du Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM). Nous avons donc sollicité le Président de la commission éthique, qui avait déclaré dans une interview du Quotidien du médecin que les médecins « ont l’obligation de signaler les faits concernant leurs confrères portés à leur connaissance ». Nous avons reçu une réponse assez lapidaire.

Dans ce document, on nous indiquait que les médecins ne pouvaient absolument pas signaler eux-mêmes au Conseil de l’Ordre en raison du secret professionnel qui leur est imposé. En effet, les situations de violences sur personnes mineures, ou majeures (seulement avec leur accord dans ce cas), font partie des dérogations possibles au secret professionnel. Mais les seules personnes à qui le médecin peut adresser un signalement sont le Procureur de la République ou la Cellule de Recueil des Informations Préoccupantes (CRIP) lorsqu’il s’agit de mineur·es. Il nous a également répondu que la retranscription de l’interview que nous avions évoquée comportait une erreur. La question de la confraternité n’a pas été abordée ici.

Au total, dans ces interactions avec les Conseils de l’Ordre des médecins, non seulement les informations données ont été contradictoires (possibilité ou non de signaler) mais les éléments considérés comme importants dans ce cadre n’étaient pas du tout les mêmes (confraternité et secret professionnel). Ces grandes discordances entre les réponses du CDOM et du CNOM et la manière dont nous avons été reçues, nous donnent le sentiment d’une désorganisation et même d’un désintérêt total pour le sujet. Si ces structures étaient compétentes sur le sujet des violences sexuelles perpétrées par les médecins, les réponses seraient claires et accessibles. Il y aurait des écrits, des protocoles à suivre et ce serait harmonisé sur le territoire puisqu’il s’agit de questions relatives au Code pénal et aux textes réglementaires et non de questions subjectives ou territoriales. Or, ce n’est pas le cas et même plutôt tout le contraire.

La recherche d’informations sur ce sujet ressemble à une enquête laborieuse, une chasse au trésor et le résultat est tout sauf satisfaisant. Il n’y a pas d’ouverture donnée pour réfléchir à d’autres possibilités d’action ou de travail pour faciliter les signalements de violences. Au contraire, les médecins tentant de signaler des confrères peuvent même être sanctionné·es.

Puisque la marge de manœuvre pour dénoncer ces violences en tant que professionnel·les est réduite, voire inexistante, notre rôle sera principalement d’informer les patientes sur les démarches qu’elles peuvent entreprendre. Nous les décrirons dans la seconde partie de cet article.


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