Fait trop rare, une conférence organisée à Londres donnait, enfin, la voix à des femmes victimes de viols durant des conflits armés. À l’image de ces Vietnamiennes abusées durant la guerre par des soldats sud-coréens, Séoul refusant toujours de reconnaître sa responsabilité dans ce drame.
L’oppression des femmes ne connaît pas de frontières. C’est le message, puissant, qu’a une nouvelle fois porté Nadia Murad lors d’une conférence accueillie dans l’enceinte du Parlement britannique, le 16 janvier dernier. L’activiste Yézidie, dont la lutte contre l’utilisation du viol comme arme de guerre a été récompensée par le prix Nobel de la Paix en 2018, fait partie des quelque 7 000 femmes et jeunes filles issues de sa communauté qui ont été enlevées par les djihadistes de l’État islamique pour leur servir d’esclaves sexuelles.
Au cours de son intervention, la combattante féministe a tenu à rappeler le sort des femmes vietnamiennes violées dans leur pays durant la guerre par des soldats sud-coréens, estimant, à juste titre, que tout devait être fait pour traduire leurs agresseurs devant la justice. « Alors que tous ces criminels profitent aujourd’hui de davantage de droits, de libertés et de tranquillité que leurs victimes elles-mêmes, a-t-elle déclaré, comment pouvons-nous espérer redonner leur dignité à ces femmes si tout le monde ferme les yeux sur d’éventuelles poursuites et permet ainsi aux agresseurs de jouir d’une totale impunité ? ». Appelant la communauté internationale à enfin « assumer ses responsabilités en protégeant les femmes des agressions sexuelles commises dans les zones en conflit », Nadia Murad était accompagnée de Tran Thi Ngai, une Vietnamienne aujourd’hui âgée de plus de 80 ans qui, à 24 ans dans son pays, a été violée par plusieurs soldats sud-coréens. Un calvaire qui a duré de longues années, a rappelé la vieille femme à la tribune, Tran Thi Ngai ayant été emprisonnée, violée, puis relâchée sans aucun moyen de subvenir à ses besoins ni à ceux des trois enfants nés des viols qu’elle a subis. Pire, elle a même été accusée au Vietnam d’avoir « couché avec l’ennemi ». Une double, voire une triple peine, renforcée par le fait que ce tragique épisode reste, comme souvent quand il s’agit des violences faites aux femmes, largement ignoré des manuels d’Histoire. Pourtant, entre 1964 et 1973, ce sont plus de 300 000 militaires sud-coréens qui ont été déployés au Vietnam, en appui des forces américaines. Des milliers de Vietnamiennes furent abusées par ces soldats, donnant plus tard naissance à des dizaines de milliers d’enfants illégitimes. Ceux qu’au Vietnam on appelle encore, de manière très péjorative, les « Lai Dai Han » — les enfants de « sang-mêlé ».
Le monde évolue, la Corée du Sud s’enfonce dans le déni Ces victimes de la barbarie des hommes et de l’impérialisme sont, toujours aujourd’hui, ignorées par la Corée du Sud. Séoul s’enferme dans un déni coupable et refuse de reconnaître sa responsabilité comme de présenter des excuses en bonne et due forme aux 8 000 Vietnamiennes, encore en vie, qui ont pourtant témoigné des violences subies par les soldats sud-coréens. « Tout un chacun comprend à quel point il est difficile pour les gouvernements de reconnaître et de traiter ces erreurs historiques, qui sont autant de “cadavres dans leur placard”, a déclaré lors de la même conférence à Londres l’ancien ministre britannique des Affaires étrangères, Jack Straw. Mais au cours des dix dernières années, les choses changent à travers le monde », s’est-il félicité, rappelant la salutaire vague de prise de conscience liée au mouvement MeToo. Si l’ancien ministre a reconnu ne pas savoir si la campagne en faveur des Lai Dai Han et de leurs mères sera couronnée de succès, il a affirmé être certain que « si nous ne faisons rien, nous n’obtiendrons rien ». Puisse son message, et surtout les voix de Tran Thi Ngai et de Nadia Murad, être entendus.
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