Second tour des élections régionales : des pages se tournent dans les outre-mer, en Guyane et à La Réunion

jeudi 1er juillet 2021.
 

Au terme de scrutin serrés et à rebondissements, l’île de La Réunion et la Guyane sont les seules régions de France à connaître des bouleversements politiques : à La Réunion, Huguette Bello succède à Didier Robert (LR) tandis qu’en Guyane, Gabriel Serville balaye le président sortant Rodolphe Alexandre.

Les surprises sont venues d’Outre-mer. La Guyane et La Réunion sont les deux seules collectivités territoriales françaises à avoir vu leur majorité basculer à l’issue du scrutin de dimanche 28 juin 2021. Dans le département français d’Amérique du Sud, à la tête d’une liste d’union de gauche c’est finalement Gabriel Serville qui l’a emporté contre toute attente face au président sortant Rodolphe Alexandre. Sa victoire est aussi large qu’inattendue : il parvient à prendre la tête de cette collectivité unique qui rassemble les compétences régionales et départementales avec plus de 54% des suffrages.

Dans l’Océan Indien, à La Réunion, les électeurs ont choisi de porter à la tête de l’exécutif local une femme, communiste historique, Huguette Bello. Après douze ans à la tête de la collectivité, le représentant du parti Les Républicains, Didier Robert, à la tête d’une liste d’union de droite, a rapidement reconnu sa défaite.

Quelques minutes après l’annonce des résultats, le candidat malheureux apparaissait entouré de ses partisans et déclarait devant les caméras : « La campagne a été particulièrement violente. C’est un soir de défaite et il faut l’accepter : je garde la détermination et la foi en mon île. J’aime mon île et les Réunionnais, cette île doit continuer à avancer. Je serai dans une opposition constructive. »

L’allusion à la « campagne violente » n’est pas qu’une formule de circonstance : les nuages s’accumulaient sur l’avenir politique de Didier Robert depuis de longs mois. Il y a quatre semaines exactement, celui qui était déjà candidat à sa succession et déjà à la tête d’une liste unie de droite était condamné à quinze mois de prison avec sursis et trois ans d’inéligibilité pour prise illégale d’intérêts et abus de biens sociaux. Il lui était reproché d’avoir perçu indûment plus de 100 000 euros de salaires et d’avoir instauré un véritable système de captation d’argent public. Il a fait appel.

C’est d’ailleurs le caractère suspensif de la procédure d’appel qui a permis à Didier Robert de maintenir sa candidature, d’arriver en tête au premier tour le 21 juin dernier et même de frôler la réélection à une poignée de voix ce dimanche 28 juin.

« C’est un moment historique ! L’heure de nous-mêmes a sonné ! », se réjouissait au contraire avec son emphase habituelle et sa voix puissante, la grande gagnante de la soirée, Huguette Bello. À 70 ans, cette élue de gauche, maire de la commune de Saint-Paul sur la côte ouest du DOM de l’océan Indien est une ancienne figure du Parti communiste réunionnais (PCR).

Proche de Paul Vergès à l’époque où il était lui-même président de région – jusqu’à ce qu’il soit déboulonné par Didier Robert en 2010 – elle incarne toujours dans l’espace public réunionnais les valeurs du communisme. Et ce bien qu’elle ait quitté le PCR pour fonder sa propre structure, le parti Pour La Réunion (PLR) en 2012.

Longtemps députée (GDR) de La Réunion et militante féministe de la première heure, Huguette Bello était à la tête de la première des quatre listes de gauche au scrutin du dimanche 21 juin 2021. Ces dernières ont très rapidement fait l’union derrière elle. Ericka Bareigts, maire (PS) de Saint-Denis, la capitale, et ancienne ministre des outre-mer, l’avait ralliée sans faire de difficultés, afin de tourner la page de la façon la plus large possible après douze ans d’exercice du pouvoir par la droite.

Dimanche soir, la joie était d’autant plus grande dans le camp d’Huguette Bello et de ceux qui l’ont rallié que la victoire n’a été obtenue que sur le fil. La Réunion a-t-elle vraiment basculé à gauche ? « Le scrutin régional avait pris la configuration d’une confrontation gauche/droite, répond Yvan Combeau, politologue à l’université de La Réunion. Il faut donc en tirer les conclusions sur les rapports de force : La Réunion est divisée en deux blocs. Mais le vote régional doit aussi intégrer les paramètres personnels sur deux figures de la vie politique réunionnaise. Il ne faut cependant pas occulter la réalité de l’abstention qui demeure un défi pour redonner force à la vie politique régionale et nationale. »

Avec un taux de participation de 40 %, La Réunion a connu un sursaut de mobilisation citoyenne puisque presque 10 % d’électeurs supplémentaires se sont déplacés par rapport au premier tour. Une majorité de citoyens et de citoyennes inscrits sur les listes a néanmoins choisi de ne pas se déplacer.

Les enjeux, à l’échelle de l’île peuplée de quelque 850 000 habitants, sont pourtant colossaux. Le département cumule les plus mauvais indicateurs sociaux de France : la misère y atteint des sommets avec plus de 40 % de la population sous le seuil de pauvreté.

Promis pour 2020, le chantier de la Nouvelle route du littoral (NRL), la fameuse liaison routière en mer entre le nord et l’ouest de l’île qui devrait coûter plus de 2,5 milliards d’euros pour douze kilomètres seulement, n’est toujours pas terminé. Attribué par la majorité de Didier Robert à un consortium Vinci-Bouygues, le méga-chantier fait l’objet de nombreuses polémiques. Et d’une enquête pour favoritisme du Parquet national financier (PNF).

Son alimentation en matériaux laisse planer la menace d’ouvertures de carrières de roches massives sur des zones écologiques sensibles partout dans l’île. Pendant ce temps, le coma circulatoire et les embouteillages rendent la vie quotidienne exaspérante pour de très nombreux Réunionnais.

« Si les élections sont globalement en France des scrutins qui ont privilégié les sortants, le scrutin réunionnais est lui un scrutin de rupture, qui rappelle la consultation de 2010, confirme encore Yvan Combeau. La Réunion a voté majoritairement pour un changement de pouvoir, un changement de gouvernance ».

Et Huguette Bello ne s’y est pas trompée, elle qui saluait dimanche soir « la probité qui a gagné » « et l’éthique [qui] nous guide ! » « C’est un moment historique ! », s’enflammait-elle encore. Elle devra maintenant composer avec une majorité certes de gauche mais très étroite. Et va devoir gérer, selon ses termes, « un milliard et trois cent millions d’euros de dettes ». Tout en devant terminer une route interminable.

Julien Sartre


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