Macronisation du lepénisme et lepénisation du macronisme

vendredi 5 mars 2021.
 

Dans la perspective d’un nouveau second tour face à Marine Le Pen en 2022, se pose alors cette question : à quoi bon voter pour Emmanuel Macron si c’est pour voir gouverner les idées de l’extrême droite ?

Lorsqu’Emmanuel Macron a été élu président de la République, nombreux à gauche – ou s’estimant sympathisants de gauche – ont vu en lui un espoir. Ils y ont cru. Pas tant sur les questions économiques que sur les questions sociétales (a minima), en particulier celles de nos libertés.

La vérité, c’est qu’à l’heure où approche le bilan, l’ensemble de la politique d’Emmanuel Macron est un échec. Un échec exacerbé par le coronavirus et les impardonnables impensés politiques – trop de technocratie dans le macronisme – et les ratés des masques, des tests et des vaccins qui resteront comme une trace indélébile. Les effets de cette politique seront sans doute plus perceptibles et plus graves encore dans quelques mois : sur le chômage, la misère, la santé mentale, morale et psychologique des Français. Aujourd’hui, la priorité du gouvernement n’est pas de sécuriser les Français mais de remettre en selle la réforme de l’assurance chômage – que ni le Medef ni les syndicats ne veulent – pour économiser près de deux milliards d’euros. Quelle irresponsabilité.

Parmi les premières victimes du macronisme, dans cette rude période, il y a les étrangers, les migrants, les exilés. Les images d’évacuations quotidiennes des camps de migrants par des policiers qui détruisent les ressources vitales de ces hommes, ces femmes, ces enfants, sont insoutenables. Et dans ce froid d’hiver, les voir détruire leurs tentes et leurs duvets, ne peut que susciter l’indignation. Ça se passe en France : quelle inhumanité. Comment, devant ce triste spectacle orchestré par les hommes de Gérald Darmanin – celui-là même qui juge Marine Le Pen trop « molle » –, ne pas être d’accord avec François Gemenne lorsqu’il tweete : « Sincèrement, ça me fait mal de le dire mais je ne suis même plus sûr que la situation des migrants serait moins catastrophique si Marine Le Pen était présidente » ?

Les digues ont sauté parce que ceux qui gouvernent ont rendu possible le rêve de l’extrême droite. Déjà sous Hollande avec la déchéance de nationalité. Ils (nos gouvernants) sont responsables de la banalisation des idées du Rassemblement national.

En 2017, beaucoup imaginait, par défaut, voter Emmanuel Macron pour battre la fille de son père : une Le Pen. Quatre ans plus tard, c’est l’ancien ministre de l’Économie de François Hollande qui mène la politique qu’aurait sans doute rêvé conduire Marine Le Pen. Voilà déjà longtemps que le duo est installé. Que l’on veut installer pour 2022. Et ça n’est évidemment pas pour déplaire les deux intéressés – comme si la centralité du débat politique se jouait entre eux. Ce qui est, hélas, le cas. Et pour s’approprier leurs électorats, les deux meilleurs ennemis n’en sont pas à une entorse près : on assiste dans le même temps à une macronisation du lepénisme qu’à une lepénisation du macronisme. Emmanuel Macron s’est présenté pour contrer et contester l’extrême droite. Il est celui qui l’aura fait le plus progresser en si peu de temps et en rendant plus que jamais crédible, l’accession de Marine Le Pen au pouvoir.

À quoi bon voter pour Emmanuel Macron, que l’on présente comme raisonnable, si c’est pour voir gouverner les idées de l’extrême droite ? Nul ne peut oublier que dès le début du quinquennat, Emmanuel Macron a fait passer la loi Asile et Immigration qui permet notamment l’enfermement – jusqu’à 90 jours – d’enfants en bas âge dans des centres de rétention. À quoi bon voter pour un homme qui fait sienne les idées les plus rances et nauséabondes de feu le Front national ? C’est bien de cela dont a parlé le journal Libération ce week-end. Vingt ans après sa Une très politique sur le « NON » à Jean-Marie Le Pen, Libé publiait un reportage très fouillé, très journalistique, sur cet électorat de gauche qui ne votera plus jamais Macron s’il devait se retrouver à Le Pen au second tour de la prochaine présidentielle – celle de mai 2022. Inutile de le nier. C’est une réalité.

Pour autant, cet électorat-là, de gauche, n’a pas perdu la raison. Il n’est pas responsable des digues qui ont sauté – comme le dénoncent massivement les cadres macronistes depuis quelques jours. Les digues ont sauté parce que ceux qui gouvernent ont rendu possible le rêve de l’extrême droite. Déjà sous Hollande avec la déchéance de nationalité. Ils (nos gouvernants) sont responsables de la banalisation des idées du Rassemblement national. Un proche conseiller de Macron ne déjeune pas par hasard avec Marion Maréchal. Et ça n’arrive pas plus par hasard dans la presse. Ils jouent avec le feu. Et le danger nous guette plus que jamais.

Il faut le redire avec force : non la gauche n’a pas perdu la raison. Et il est raisonnable de penser, quand on est un électeur de gauche, qu’au second tour de 2022, tout peut être fait pour à la fois nous épargner et Le Pen et Macron. Mais pour ça, c’est à la gauche et aux écologistes d’être responsables. Et de prouver qu’ils peuvent peut-être une alternative crédible et durable face au replis identitaire et autoritaire qu’incarnent désormais à l’unisson le président de la République et la présidente du Rassemblement national.

Pierre Jacquemain


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message