Qui veut la mort d’EDF ? Une régulation au bénéfice du privé.

jeudi 25 février 2021.
 

par Anne Debrégeas & David Garcia

Source : Le Monde diplomatique. Février 2021

Principale raison avancée par le gouvernement pour justifier le projet Hercule, la révision de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) focalise les débats, aux dépens des autres enjeux du projet. Mis en place en juillet 2011, à la demande des fournisseurs alternatifs, et entériné par la Commission européenne, ce mécanisme oblige Électricité de France (EDF) à céder un quart de sa production nucléaire à ses concurrents. La vente se fait au prix coûtant, estimé à 42 euros par mégawattheure, ou au prix du marché quand celui-ci est plus favorable aux opérateurs privés.

Les concepteurs de ce dispositif reconnaissent ne pas avoir imaginé que les prix de marché pourraient passer durablement au-dessous de ces 42 euros… ce qui s’est produit de manière répétée, par exemple sur quasiment toute la période 2016-2017 et durant une grande partie de 2020. En contraignant EDF à céder une partie de sa production nucléaire à perte, l’Arenh contribue aux difficultés financières du groupe public. Et bien sûr, lorsque ces prix de marché repassent au-dessus de 42 euros, EDF n’en retire aucun bénéfice. Président-directeur général de l’entreprise publique au moment de la mise en place de l’Arenh, M. Henri Proglio compare ce régime à « une table de black jack dont EDF tiendrait la banque, paierait les gains, mais n’empocherait pas les mises des perdants (1) ». Par ailleurs, le prix de l’Arenh n’a pas été réévalué depuis 2012 et ne prend en compte ni l’inflation ni une réestimation à la hausse des coûts de prolongation des centrales nucléaires. Le code de l’énergie prévoyait pourtant un ajustement annuel.

« Ce “machin” complètement illogique et byzantin n’a pas permis en quinze ans l’émergence de véritables producteurs alternatifs, mais plutôt de revendeurs qui se sont servis chez EDF quand les prix de gros étaient hauts, et qui sont parvenus à s’exonérer de leur devoir de rachat lorsqu’ils étaient plus bas », dézingue le député (Les Républicains) du Vaucluse Julien Aubert, dans une tribune cosignée par trente-deux parlementaires de droite, guère éloignés des positions de la gauche sur ce sujet (2). Dans ces conditions, « le statu quo n’est pas souhaitable », euphémise la Cour des comptes (3). La nécessité de réviser ce mécanisme ne fait plus débat.

La nouvelle régulation proposée dans le cadre du projet Hercule imposerait un prix fixe et revalorisé de la production nucléaire cédée aux fournisseurs, sans possibilité d’arbitrage avec les prix de marché. Pour l’économiste Jacques Percebois, l’un des concepteurs de l’Arenh, « en garantissant une rentabilité stable, ce système pourrait convenir à EDF ». Cette correction ferait du nucléaire un service d’intérêt économique général (SIEG), selon les termes de la Commission européenne. Autrement dit, un bien commun, ce qui justifierait sa gestion en monopole par une entité publique : EDF Bleu. La nationalisation du nucléaire permettrait également l’accès à des financements publics moins chers.

Mais la contrepartie imposée par Bruxelles est salée. Sous prétexte d’éviter des subventions croisées, ce monopole public devrait être séparé des autres activités d’EDF, comme l’ont été le Réseau de transport d’électricité (RTE) et le réseau de distribution (Enedis). D’où l’éclatement du groupe public en trois pôles, et la privatisation des réseaux de distribution et des énergies renouvelables.

Anne Debrégeas

Notes :

(1) Henri Proglio (avec Pierre Abou), Les Joyaux de la couronne, Robert Laffont, Paris, 2020.

(2) Julien Aubert, « Démantèlement d’EDF : le projet de Macron qui menace la souveraineté française », Valeurs actuelles, Paris, 9 décembre 2020.

(3) Courrier du premier président de la Cour des comptes aux ministres de la transition écologique et de l’économie, relatif à l’évaluation de la mise en œuvre de l’accès régulé à l’électricité nucléaire

historique, Paris, 22 décembre 2017.

** Annexe : Livre intéressant publié en 2018 sur le même thème. voleurs d’énergie. Accaparement et privatisation de l’électricité, du gaz, du pétrole Aurélien BernierUtopia, Paris, 2018, 208 pages, 10 euros.

Aurélien Bernier relate ici la manière dont les grands groupes privés ont accaparé les ressources énergétiques sur toute la planète, et remet en question nombre d’idées reçues : « Tout l’argumentaire des libéraux repose sur un mensonge, répété comme un psaume : le secteur privé est plus efficace que le secteur public. (...) L’histoire de l’énergie dans son intégralité contredit absolument ce psaume libéral. » Battant les sociétés privées à leur propre jeu, l’entreprise publique canadienne Ontario Hydro a ainsi permis d’apporter l’électricité dans les campagnes délaissées par les groupes privés. En Amérique du Nord et en Europe, le secteur public a fait la preuve de sa supériorité. Dès lors, pourquoi se résigner à l’emprise des multinationales sur le gaz, l’électricité et le pétrole ? Bernier plaide pour une nationalisation totale de l’électricité et du gaz. « Cette nationalisation-socialisation doit s’accompagner bien sûr d’une définanciarisation de l’énergie. Comme ce fut longtemps le cas pour l’électricité et le gaz, la Société française des énergies disposera d’un monopole sur le commerce national et international », propose-t-il.

David Garcia

Source : Le Monde diplomatique décembre 2018, page 25

HD


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