Après deux présidentielles sans candidat « maison », Fabien Roussel veut que son parti défende ses propres couleurs en 2022. Mais le PCF a perdu de ses forces et de ses singularités, tandis que l’aspiration à une alternative au capitalisme est revendiquée par d’autres à gauche.
ur d’avoir 100 ans en 2020. Le PCF avait prévu de mettre les petits plats dans les grands pour fêter son âge respectable. Mais d’un confinement l’autre, rien ne s’est déroulé comme prévu. Et en cette triste année privée de Fête de l’Humanité à cause du Covid, les festivités du centenaire ont été annulées les unes après les autres. Comme cette exposition d’affiches, co-organisée par la Fondation Gabriel Péri : censée être l’un de points d’orgue de cet anniversaire, elle restera finalement portes closes (pour une visite virtuelle, rendez-vous ici, pour le catalogue d’exposition, cliquez là).
Quelques jours avant Noël, une poignée de journalistes a toutefois eu la chance d’accéder à l’espace Niemeyer, la partie souterraine du siège parisien que le parti loue désormais pour des défilés de mode ou des événements commerciaux. Sur les murs bétonnés des sous-sols de Colonel-Fabien, la propagande du PCF, choisie avec soin dans les archives de Bobigny (Seine-Saint-Denis), raconte les heures grandioses d’un parti qui a résisté à une guerre mondiale, à la chute du mur de Berlin, aux désindustrialisations, à la montée du chômage de masse et à l’OPA mitterrandienne.
Avec le PCF, c’est aussi l’histoire de la France du XXe siècle qui se dessine : de la défense du « pain quotidien » sous le Front populaire à la protection des petites classes moyennes contre le « grand capital » ; de la résistance au nazisme à celle contre l’impérialisme américain ; de l’anti-gaullisme au « programme commun » ; du parti fer lance de la reconstruction après guerre, au parti creuset de la Sécurité sociale, de la retraite à 60 ans et des congés payés…
Après la déambulation, forcément, la question arrive : cent ans après le congrès de Tours, que reste-t-il du communisme français ? Depuis quelques semaines, Fabien Roussel, le secrétaire national élu en 2018 pour mettre fin à « l’effacement » du parti, écume les médias pour clamer qu’il a des projets « pour les cent ans à venir ». D’abord, celui de présenter un candidat « maison » à la présidentielle de 2022. Plus que de faire un gros score, il s’agit de peser dans les négociations pour les législatives. Et surtout, de faire passer un message : l’avenir de la gauche française ne pourra pas s’écrire sans le PCF.
En mai 2021, les communistes trancheront donc par un vote. Faut-il se ranger, une nouvelle fois, derrière la candidature de Jean-Luc Mélenchon en 2022 ? Ou envoyer son propre candidat (qui pourrait être Fabien Roussel) ?
L’enjeu est d’autant plus crucial que cela fait une décennie que le parti de Thorez ne s’est pas présenté sous ses propres couleurs à l’élection reine, préférant, après le score microscopique de Marie-George Buffet en 2007 (1,93 %), se ranger derrière Jean-Luc Mélenchon, d’abord sous l’étiquette du Front de gauche en 2012, puis sous celle de La France insoumise en 2017.
À l’arrivée, un bilan en demi-teinte. Si Jean-Luc Mélenchon a porté haut la voix de la gauche « de gauche » (19 %), ce fut au prix de l’invisibilisation des vrais « rouges » de la coalition. Par la suite, l’épisode des législatives de 2017, où communistes et Insoumis finirent par s’entredéchirer faute d’avoir trouvé un accord national, ajouté aux saillies du leader insoumis qualifiant le PCF de « parti de la mort et [du] néant », laisseront des plaies encore béantes.
Alors, deux ans après le dernier congrès qui promettait de renouer avec la « fierté communiste », plus question de garder son drapeau dans la poche. Histoire de tenter de ré-exister, enfin, par soi-même.
Exister oui, mais pour quoi ? Et pour qui ? Jeudi 17 décembre, lors d’un bref discours pour le centenaire retransmis, Covid oblige, sur les réseaux sociaux, Fabien Roussel a enchaîné les « punchlines » mais n’a pas dissipé le brouillard. « En 2020, comme il y a cent ans, [le communisme est] la jeunesse du monde face au vieux système capitaliste », a exposé le député du Nord. Il faut « regarder vers l’avenir » avec pour boussoles « l’intérêt populaire », la défense « des plus humbles » et « la combativité ». Puis de lancer, bravache : « Vous pourriez bien être surpris par notre renforcement dans les années qui viennent ! »
Reste que dans une période d’atomisation de la classe ouvrière et de captation du débat public par les questions identitaires, la remontada promise n’a rien d’évident. D’autant que le PCF n’est plus le seul parti de gouvernement à prôner une sortie du capitalisme. La France insoumise continue, sur un mode certes plus « populiste », de creuser le sillon de la « radicalité » à gauche, et n’a que les mots « nationalisation » et « planification » à la bouche. Par ailleurs, au sein des nouveaux entrants de l’écologie, ceux qui peuplent les marches climat jusqu’à une partie des Verts, on dénonce, là aussi, un système économique mortifère pour la planète. Résultat, dans la France contemporaine, la perspective communiste n’est plus la seule à incarner l’anticapitalisme…
« Au fil des années, le PCF s’est en quelque sorte banalisé pour devenir un parti plus classique, avec des adhérents moins nombreux, moins issus de milieux populaires », confirme le sociologue Julian Mischi. « Néanmoins, tempère-t-il, le PCF totalise quand même 50 000 militants présents dans des villes où les autres ne sont pas, et garde des réseaux dans le milieu syndical. Il continue aussi à attirer les jeunes en quête d’engagement dans la mesure où il permet un militantisme de camaraderie, sans qu’un fort bagage culturel soit nécessaire pour trouver sa place. »
Autant d’atouts dans le champ de ruines qu’est la gauche actuelle, que l’on énumère dans les couloirs de Colonel-Fabien pour convaincre que le PCF a toujours un avenir. « Bien sûr que le PCF garde son utilité face à un Mélenchon qui reste un socialiste et des Verts qui sont divisés sur la sortie du capitalisme », affirme ainsi Guillaume Roubaud-Quashie, directeur de la revue Cause commune. Preuve en est, avance-t-il, cette récente étude de la Fondation Gabriel Péri : elle montre que 56 % des Français pensent que la lutte des classes est « toujours d’actualité » et que la moitié des moins de 34 ans ne jugent pas le communisme « dépassé ».
« Le problème, reconnaît toutefois cet agrégé d’histoire, c’est que le communisme, notamment chez les générations les plus anciennes, reste associé au projet soviétique qui garde une image très négative. Pour nous en sortir, soit on change de nom, mais cela nous fait entrer dans une logique marketing, soit on donne plus clairement de sens et de perspective à notre projet. Or j’ai replongé dans vingt ans d’archives pour le centenaire, et je n’ai pu que constater que notre discours tourne souvent autour de la “réinvention”, mais qu’on ne dit jamais ce qu’elle sera précisément. »
Une difficulté que ne nient pas les « idéologues » du parti eux-mêmes. À l’instar du premier fédéral de Paris, le quadragénaire Igor Zamichiei qui, dit-on, lorgnerait la direction du parti une fois Fabien Roussel parti sur les routes de la présidentielle – ce qu’il dément : « Le PCF est-il encore capable de faire advenir de grandes avancées sociales au XXIe siècle ? Est-il encore perçu comme une forme originale ? Voilà le débat que nous devons ouvrir avec les Français », explique celui qui traîne la réputation d’être l’un des plus « identitaires » du parti, nonobstant la propension de la fédération parisienne à nouer des accords avec le Parti socialiste.
Pour lui, pas de doute : le PCF a toutes les cartes en main pour répondre aux grands maux de notre temps – l’ubérisation, l’accroissement des inégalités, la crise sanitaire… Il veut la création d’un pôle public du médicament, imagine un « nouvel âge d’or des services publics », et propose un droit de veto et de contre-propositions salariales lors des licenciements. Autant de propositions qui ressemblent fort à celles portées par… La France insoumise.
Une illusion d’optique, balaie cependant Frédéric Boccara, membre du conseil national, proche d’Igor Zamichiei : « Mélenchon a la radicalité dans le menton, mais son programme est social-démocrate-réformiste ! » Selon l’économiste marxiste à la tête du puissant « secteur éco » du parti, la solution tient en trois lettres : « SEF », pour « sécurité d’emploi et de formation ». Une nouvelle protection sociale (lire ici pour en savoir plus), censée être aussi révolutionnaire que la Sécurité sociale en son temps, qui fut imaginée par son propre père, Paul Boccara, économiste très respecté en interne, au mitan des années 1990.
Vingt-cinq ans plus tard, Boccara-fils espère que la proposition tiendra une place de choix dans le programme de 2022, et qu’elle saura rallier les foules. « Le PCF doit porter la révolution politique et sociale », avance l’économiste, persuadé que, pour changer la société, « le PCF ne doit ni se dissoudre dans d’autres mouvements politiques, ni rester sur ses symboles traditionnels, mais redevenir un grand parti populaire ».
Boccara, Zamichiei, Roussel : nouveaux sauveurs du communisme français ? Chez les militants, actuels ou anciens, beaucoup regardent le scénario qu’ils écrivent avec scepticisme. Tout le monde pense aux récents revers électoraux où le parti a concouru, la fleur au fusil, en solitaire. Il en fut ainsi des élections européennes de 2019, où la tête de liste Ian Brossat, figure du renouvellement, avait soulevé beaucoup d’espoirs, avant le crash final : moins de 3 %, le seuil nécessaire au remboursement de la campagne. Et au bout du compte, plus aucun eurodéputé communiste français à Bruxelles.
Quant aux dernières municipales lors desquelles les communistes ont pu se consoler d’avoir (re)conquis Bobigny, Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis) ou Corbeil (Essonne), elles ont vu de cinglantes défaites dans plusieurs villes-symboles, comme Saint-Denis ou Champigny-sur-Marne, la ville de Georges Marchais.
Comment, dès lors, nourrir l’espoir de remonter la pente ? « Le SEF, c’est bien, mais peu de gens y comprennent quelque chose. Par ailleurs, le sujet économique ne peut pas être la seule matrice de renouvellement. Il faut recréer un récit, savoir quelle histoire on raconte ! », juge ainsi l’ancienne eurodéputée et éditrice Marie-Pierre Vieu qui note que le parti, lequel se revendique toujours productiviste, est encore plus en retard que la CGT sur la question écologique.
« Le Parti communiste est fini, mais pas l’idée communiste », tranche de son côté François Asensi, ex-secrétaire de la fédération de Seine-Saint-Denis, qui fut « blacklisté » en 1985 par le « comité central » du parti, avant de claquer la porte en 2010. « La visée communiste de parvenir à une société sans classes est plus que jamais d’actualité, mais il faut arrêter de vivre sur la nostalgie du passé glorieux de la résistance », ajoute-t-il.
« Quelle est la doctrine du PC aujourd’hui ? Son socle culturel ? Son identité ? À part le désir de réaffirmer la structure partisane, je ne sais pas répondre », renchérit l’historien du communisme Roger Martelli. S’il reconnaît qu’« une certaine pratique militante qui conjugue travail de terrain et présence dans les institutions continue de survivre, notamment à travers le communisme municipal », donner des perspectives nationales est une autre histoire pour un parti dont les troupes ont été divisées par dix depuis les années 1970.
« La vocation du PCF à être majoritaire qui le distinguait autrefois de l’extrême gauche a été récupérée par Jean-Luc Mélenchon qui apparaît, depuis 2012, comme le vote le plus utile à gauche, poursuit l’auteur du PCF, une énigme française (La Dispute, 2020). Dorénavant, le parti a atteint le seuil de la marginalité politique, et même face à un Jean-Luc Mélenchon très affaibli par les perquisitions de 2018, il n’est plus en capacité de reprendre une dynamique qui le place au centre du jeu. »
« Le PCF a dans son ADN le souci d’une démarche majoritaire sans laquelle la révolution n’est pas possible, le souci des catégories populaires, la prise de risque gestionnaire, le dialogue avec les intellectuels et le monde de la culture. Le paradoxe c’est qu’à force de réaffirmer cette identité comme intangible – parce que positive –, il n’a pas perçu les transformations du monde et la nécessité pour lui de se dépasser pour garder le meilleur de sa tradition et l’offrir à la construction d’une nouvelle force », estime de même Frédérick Genevée, président du musée de l’Histoire vivante à Montreuil (Seine-Saint-Denis) qui a consacré une exposition et un ouvrage collectif sur le congrès de Tours.
L’ancien maire de Saint-Denis, Patrick Braouezec, n’est guère plus optimiste quant au destin de l’appareil. Considéré comme l’une des figures « visionnaires » de la banlieue rouge, il voit d’un très bon œil que la réflexion autour des « communs » ait débordé le seul périmètre du Parti communiste pour infuser dans les autres partis de gauche et les milieux écologistes.
À l’opposé de la direction actuelle, celui qui s’est toujours illustré par ses prises de position peu orthodoxes met l’étiolement du parti sur le compte du resserrement identitaire privilégié lors des dernières décennies : « Le problème, c’est qu’on a raté le tournant de l’histoire en 2005 : lorsque le PCF n’a pas su rassembler les forces anticapitalistes après le “non” au référendum sur la Constitution européenne. » Patrick Braouezec se souvient avec émotion des meetings unitaires de l’époque, avec Marie-George Buffet, José Bové, Olivier Besancenot ou Clémentine Autain… Avant que les appareils ne reprennent le dessus. Jusqu’au gadin de la présidentielle de 2007.
« L’esprit de boutique », c’est aussi ce qui désespère Patrice Leclerc, le maire de Gennevilliers. Longtemps communiste « pur jus » pendant près de trente ans avant de quitter le PCF en 2003, estimant que le parti n’était « pas réformable » et dénonçant son « repli sectaire » (lire sa lettre de démission ici). Il se souvient lui aussi de la belle idée du Front de gauche, « un espoir pour moi, qui crois aux idées communistes. Rassembler les cocos, les rouges, les Verts, les anarchistes, les ex-trotskistes… ça avait du sens. Mais les uns et les autres sont restés figés dans la défense de leur espace politique. Et le résultat, c’est qu’on se retrouve atomisés face à Macron et Le Pen. »
Aujourd’hui, juge l’édile, « il faut travailler à une nouvelle forme de rassemblement et à des contenus plus actuels ». Ce qu’il tente de faire dans sa ville, où il essaie d’inventer « un nouvel art de vivre populaire » : mise en place de jardins partagés socialement mixtes, baisse des prix dans les AMAP, solidarité avec les réfugiés, mise en débat de la place du logement social… « Pour rester fidèles au communisme, les cocos devraient avoir le courage de se dissoudre », conclut Patrice Leclerc, qui prédit au parti de Thorez le même avenir qu’à Lutte ouvrière « s’il continue de se recroqueviller sur son héritage ».
À 700 km de là, Jean-Marc Lespade, maire communiste de Tarnos, dans les Landes, n’est pas loin de penser la même chose. Il aimerait que la conférence nationale, où sera désigné le futur candidat à la présidentielle, ne se résume pas à un choix entre Mélenchon et Roussel : « On doit inventer autre chose avec les autres forces de gauche, et élaborer un programme commun en urgence. Le PCF s’est toujours illustré dans les grands moments de l’histoire, nous y sommes ! »
En attendant, il s’emploie à mettre en acte l’idéal communiste à l’échelle de sa ville qui accueille 12 700 habitants et 5 600 emplois dans l’industrie lourde : développer l’économie sociale et solidaire, les expérimentations citoyennes et le droit de propriété collective… Même si, en ces temps de restrictions budgétaires, reprendre la main sur la gestion de l’eau, favoriser le lien social, la culture ou le sport n’a rien d’une sinécure…
Pas simple d’être un maire communiste au XXIe siècle. C’est pourtant au niveau local, sur ces « îlots », que se déploie encore un peu d’inventivité et que le communisme ne se résume pas au « contre » mais aussi au « pour », estime Marie-Pierre Vieu. Des laboratoires locaux, selon elle, insuffisamment observés par l’appareil central… « La force du PCF est d’être un lieu relativement ouvert sur la société, notamment au niveau des municipalités où certains élus travaillent comme animateurs de quartiers, et en lien avec les milieux populaires actuels », abonde Julian Mischi.
Le philosophe Bernard Vasseur, lui, aime à rappeler les fondamentaux : « Il ne faut pas oublier qu’historiquement le socialisme a donné lieu à deux impasses : d’un côté, le socialisme autoritaire, autrement dit la dictature du prolétariat ; de l’autre, la social-démocratie libérale. Or aucune de ces branches n’a aboli le capitalisme. Le communisme tel que l’entendait Marx reste donc à réaliser. »
L’intellectuel, apparatchik s’il en est – il fut le lieutenant de Georges Marchais pendant dix ans avant de devenir celui de Robert Hue, puis de seconder Claude Gayssot au ministère des transports –, publie cette année Le communisme a de l’avenir... si on le libère du passé (éditions de l’Humanité). « Le paradoxe aujourd’hui, reprend-il, c’est que le PCF, et Fabien Roussel le premier, parle du PCF, mais jamais de communisme, si ce n’est pour en extraire des valeurs théoriques et lointaines. Or il faut se proclamer davantage comme les héritiers de Marx, et répéter que le communisme est avant tout un combat. »
Une injonction qui n’est pas pour déplaire à Marie-Hélène Bourlard. L’ancienne numéro 2 de la liste aux européennes, militante du Nord, préfère passer ses journées à faire le piquet de grève avec les femmes de ménage d’Onet de l’hôpital de Valenciennes, plutôt que de s’embarquer dans les débats philosophico-politiques de Colonel-Fabien. Elle résume d’une phrase ce qu’est et sera, à ses yeux, le communisme : « Être au plus près des gens. » C’est ce qu’elle a appris dès ses jeunes années, quand, ouvrière de 16 ans, elle achetait Liberté, vendu par les « cocos » (« les seuls à venir nous voir ») à la porte de l’usine.
Pauline Graulle
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